Edgard a une spécialité : râler sur tout le monde. Si on l’écoutait, on renverrait tout le monde dans son pays. Les jeunes qui passent leur temps à râler, basta, dehors! Les vieux qui bloquent les caisses chez Delhaize parce que c’est toujours le samedi midi, comme lui, qu’ils ont décidé d’aller acheter la litière du chat : go home! Bien entendu les chauffeurs des TEC n’échappent pas à son ire : retour dépôt ! Et tous les autres là qu’il ne peut pas citer, tellement ils sont nombreux et surtout parce que il se trouvera bien un groupuscule gauchiste pour les défendre, du balai !
Il n’hésite pas à dire tout haut ce qu’il pense de plus bas. Chaque matin, son petit-déjeuner c’est le courrier des lecteurs de Sud-Presse. Sauf le lundi car il veut aussi les pages foot de la DH.
Son autre spécialité c’est de critiquer les syndicats (ils conduisent le peuple vers l’abîme) et surtout les politiques, même s’ils ne sont pas tous à jeter.
Edgard se disait qu’avec le nouveau gouvernement ça irait mieux, même si le petit Charles n’a pas la carrure de son père. Il se disait qu’on allait enfin voir de vraies pointures comme ministres. C’est là qu’il a commencé à déchanter Edgard. D’abord il n’a pas bien vu la différence avec « avant », c’est-à-dire quand les soi-disant socialos étaient aux affaires. Bon, les libéraux étaient avec eux, il y a donc une logique à cette presque continuité.
Mais ce qui lui fait le plus mal c’est de constater que la plupart des ministres d’aujourd’hui n’ont pas l’air plus malin que lui. Il se demande pourquoi on n’est pas venu le chercher pour la photo de groupe. Il ne parle pas le flamand ? Ne vous en faites pas, il aurait su trouver les bonnes intonations. Si Jacqueline Dejurbise est bien devenue « Ministre fédérale de la Mobilité, chargée de Belgocontrol et de la SNCB » on aurait bien pu lui confier un maroquin de choc : il ne faut pas être trilingue pour donner un coup de pied au cul de tous ces fainéants qui se prélassent dans le hamac de la sécurité sociale.
Ce qui l’ennuie le plus c’est d’être tiraillé en permanence entre son éternelle envie de critiquer ceux d’en haut et sa mémoire qui lui rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, il criait partout qu’on « allait voir ce qu’on allait voir quand la NVA serait au gouvernement ».
Il n’en dort plus. Lui aussi son cœur saigne.
fRED