Quatre ans après la chute du dictateur Moubarak, l’Égypte, croulant sous le poids de la dette (1), traverse une crise économique et sociale d’ampleur dans une situation économique mondiale défavorable. Le régime voit dans la répression le seul moyen de maintenir son pouvoir. Mais dans le monde du travail et dans les universités, les mobilisations ne cessent de se multiplier
La répression se déchaîne…
La veille de l’anniversaire de la révolution du 25 janvier, des dizaines de manifestants ont été assassinés par les forces du régime.
Les photos choc de l’assassinat de Shaïmaa El-Sabbagh, une militante de gauche et des droits des travailleurs d’Alexandrie, ont été relayées dans le monde entier. Shaïmaa était à la tête d’une petite manifestation pacifique et voulait déposer une gerbe de fleurs sur la place Tahrir au Caire pour commémorer les martyrs de la révolution du 25 Janvier 2011. Le lendemain, les forces de sécurité se sont acharnées contre les manifestants en tirant systématiquement des salves de chevrotine et de gaz lacrymogène. Bilan : 28 personnes ont été tuées au Caire, à Alexandrie, Damanhur, Gizeh. Rien qu’au quartier El-Matariyya, au Caire, 13 personnes sont mortes (beaucoup plus que le nombre des martyrs de la révolution le 25 janvier 2011). Ce sont les actes de répression les plus sanguinaires depuis l’élection de Abdel Fattah Sissi comme président.
Selon un rapport publié par la Campagne Al-Horriyya Lil Jidaan (Liberté pour les Braves) (2), qui établit le bilan de la répression lors du quatrième anniversaire de la révolution, 927 personnes ont été arrêtées le 25 janvier dans différentes provinces, dont 36 mineurs, 104 femmes, 82 étudiants et 20 journalistes.
Cette répression n’est pas une nouveauté, car elle n’a jamais cessé depuis l’avènement de Sissi au pouvoir. C’est un choix, un mode d’emploi. Touchant militants de gauche et Frères musulmans, elle a permis au régime de se débarrasser d’une partie de ses opposants en les jetant en prison. Combinée à une justice aux ordres et une « Sissi-isation » des médias, selon l’expression de Reporters Sans Frontières, elle constitue l’un des piliers du régime et lui permet de contenir la colère sociale.
… mais la résistance continue
La répression n’a cependant pas réussi à écraser tous les mouvements de contestation. Déjà en ce début 2015 on a enregistré plusieurs mouvements de grève dans différents secteurs, dont voici quelques exemples :
* Le 18 janvier quelque 500 travailleurs de la distribution du pain au gouvernorat de Beheira ont organisé un rassemblement de protestationdevant le Conseil des ministres pour exiger un emploi permanent.
* Les travailleurs de la Compagnie de filature et de tissage de Mahalla ont entamé mi-janvier une grève de cinq jours pour exiger, entre autres, la cessation du harcèlement contre les dirigeants syndicaux, la démission du représentant de l’administration, une prime et l’application du salaire minimum.
* Le 29 janvier, des travailleurs de la Société Tanta du Lin et des Huiles ont débrayé pour exiger l’exécution d’un arrêt de justice portant sur la réintégration des travailleurs mis en retraite anticipée et le retour de l’entreprise au secteur public.
Ces grèves montrent l’énorme force potentielle de la classe ouvrière qui reste l’épine dorsale du mouvement revendicatif. Elles constituent un vrai défi au régime.
Des mobilisations ont également lieu dans les universités.
La magnifique manifestation de femmes suite à l’assassinat de Shaïmaa El-Sabbagh est un autre acte de défi à la machine répressive du régime.
Un pouvoir qui reste instable
Le FMI avait prévu une croissance de 3,8% pour l’exercice 2014/2015, il faut le dire au prix de restructurations et mesures à faire saigner les travailleurs et les couches paupérisées. Mais ces taux de croissance restent difficiles à atteindre. Et ni les discours pompeux ni les projets pharaoniques de Sissi, comme celui de doubler le Canal de Suez, ne peuvent cacher le malaise profond dans la société égyptienne.
Rien n’est cependant totalement gagné pour la contre-révolution, quoique rien ne menace son pouvoir à court terme.
Les forces révolutionnaires sont affaiblies, mais elles sont toujours là. Plus largement, pour ceux et celles qui ont expérimenté la répression et l’injustice, la rupture avec le régime est faite, même si elle ne s’exprime pas politiquement.
Le chômage, la précarité, les problèmes de logement, les difficultés d’accéder aux soins, l’érosion constante des salaires, la vie chère, le musellement des libertés démocratiques et syndicales… qui étaient le détonateur de la révolution du 25 Janvier 2011 ne sont toujours pas résolus.
Avec sa fuite en avant répressive et une politique qui ne peut mener qu’à l’appauvrissement et au non-investissement, le régime ne peut qu’élargir le champ de la contestation.
En considérant tous les pro-Morsi comme des terroristes, il en pousse un certain nombre à rejoindre les groupes terroristes djihadistes.
Dans ces conditions, les élections législatives prévues en mars prochain intéressent peu la majorité des Égyptiens dont le souci premier est de sortir de la misère et d’en finir avec la machine répressive.
Notes :
1- http://countryeconomy.com/national-debt/egypt
http://fr.tradingeconomics.com/egypt/government-debt-to-gdp
2- Groupement indépendant de militants politiques et juristes d’horizons divers qui travaillent depuis la fin 2013 sur la question des prisonniers et détenus politiques en Égypte.