Il y a trois ans, le 25 Janvier 2011, les masses populaires égyptiennes sont sorties dans toutes les villes et villages scandant deux slogans principaux : « Le peuple veut renverser le régime » et « Pain, liberté, justice sociale, dignité humaine ».
L’articulation entre ces slogans était le secret de la révolution et son dynamisme. Les larges masses, qui se démènent pour gagner dignement leur vie, étaient convaincues que le chemin vers « le pain, la liberté, la justice et la dignité » nécessitait le renversement de l’ancien régime par la lutte populaire dans les rues et sur les places publiques.
La révolution du 25 Janvier était une réponse à l’injustice, la corruption et la répression dont a souffert la majorité de la population et dont a profité une infime minorité ayant monopolisé les richesses de l’Egypte et de ses ressources naturelles et ses terres.
Celle-ci a thésaurisé des milliards et s’est servie des institutions de l’Etat pour augmenter ses privilèges. Pendant des décennies, les familles égyptiennes pauvres et moyennes ont lutté pour l’éducation et l’enseignement de leurs enfants, mais ce combat n’a pas abouti à soustraire la majorité des gens de la pauvreté et de la maladie.
Jeunes comme adultes ont souffert du chômage, et il leur était impossible de trouver un logement ou obtenir un revenu suffisant pour subvenir à leurs besoins élémentaires. Les jeunes ont souffert aussi de l’oppression et des brutalités de la police, des arrestations abusives, des condamnations arbitraires et de la torture dans les commissariats de police et les pénitenciers.
C’est pour toutes ces raisons que le peuple s’est révolté le 25 Janvier 2011 et il est important – alors que le régime en place actuellement s’efforce à travers ses dispositifs médiatiques de dénigrer la révolution de Janvier – que nous nous rappelions des raisons qui ont conduit à cette révolution et nous nous rendions compte que ces mêmes raisons sont toujours là.
Il est également important de se remémorer et de souligner que la Confrérie de Frères musulmans a commencé avant même sa victoire aux élections législatives et les élections présidentielles à changer d’alliés et à se coaliser avec les forces de l’ancien régime plutôt qu’avec les forces révolutionnaires. Les Frères musulmans ont renoncé aux revendications de la révolution, ils ont glorifié certains symboles du régime Moubarak et réprimé les révolutionnaires. Ils ont dissimulé la corruption des institutions de l’Etat et utilisé ces dernières à leur profit. Ils ont essayé de réprimer les manifestations populaires sous prétexte de donner ainsi la priorité à la stabilité et au fonctionnement du processus de production.
Aujourd’hui, après trois années de protestations et de manifestations, de sit-in et de grèves, alors que la majorité de la population croule sous le poids des mauvaises conditions économiques et sécuritaires, à la limite du désespoir quant à la possibilité d’améliorer ses conditions de vie, le nouveau régime recourt aux mêmes vieux slogans de « stabilité » et de « fonctionnement du processus de production » comme prétextes pour tuer et arrêter ceux qui protestent et manifestent. Il veut rétablir un Etat d’injustice, de corruption et de répression, et convaincre les larges secteurs des pauvres et des défavorisés, en particulier parmi ceux qui vivent au jour le jour, que la voie vers le pain et la justice sociale nécessite avant tout la stabilité. Pour le régime, cet appel à la stabilité signifie étouffer toutes les voix qui s’opposent à lui et réprimer les manifestations. Il veut se venger de ceux qui ont courageusement bravé l’Etat Moubarak le 25 janvier 2011 et les jeter en prison sous de fausses accusations.
Nous sommes conscients que la revendication de « pain, liberté, justice sociale et dignité humaine » ne peut être satisfaite qu’à travers la deuxième revendication fondamentale, à savoir « le peuple veut renverser le régime ». Le peuple égyptien ne pourra atteindre un stade avancé où tout un chacun peut jouir de ses droits élémentaires en matière de logement, de soins, d’éducation et de liberté d’expression, qu’en renversant le régime qui est fondé sur la discrimination sociale et économique, le monopole de la richesse et la répression de la liberté d’expression.
Ceux qui croient en la révolution de Janvier et ses revendications sont appelés maintenant à se rassembler autour de ces deux revendications : « Pain, liberté, justice sociale, dignité humaine » et « renverser le régime ». L’articulation entre ces deux revendications peut sembler difficile actuellement – en raison de l’épuisement et la fatigue ressentis par la majorité du peuple – mais il n’y a plus d’autre moyen d’entrevoir la fin du sombre tunnel dans lequel nous enfoncent les forces de l’ancien régime et leurs anciens alliés, les Frères musulmans. Nous devons travailler tous à rétablir le lien entre ces deux revendications. Nous devons œuvrer à rassembler les masses autour d’elles, même s’il faut faire face à la guerre médiatique que le régime mène contre ses opposants et quels que soient la patience, le temps et les efforts que cela nécessite.
On ne peut remettre la révolution de 25 Janvier sur les rails qu’en rétablissant la confiance chez des gens ordinaires, les dizaines de millions de pauvres et défavorisés, envers les moyens révolutionnaires pour atteindre les objectifs nobles dont nous avons aussi longtemps rêvés et auxquels nous avons aspiré.
Notre conviction est profonde que la révolution continue à brûler encore sous les cendres. Les millions d’Egyptiens qui cherchent aujourd’hui la stabilité cependant en s’adressant au pouvoir actuel et à l’ancien appareil d’Etat ne demandent en fait que leurs droits fondamentaux de liberté, justice et dignité mais pensent qu’ils peuvent les atteindre par cette stabilité. Mais si cela était possible, nous aurions bénéficié de ces droits pendant les années de stabilité du régime Moubarak. Nous finirons tous par découvrir que ce qui a usé le peuple et la révolution – qu’il s’agisse d’erreurs des révolutionnaires, de trahison des Frères musulmans ou de complots et conspirations de la contre-révolution – sont des choses susceptibles de changer. Cela afin qu’une nouvelle page s’ouvre pour redonner confiance aux masses populaires dans le fait qu’elles sont les seules capables d’opérer un changement grâce à leur lutte infatigable.
Nous sommes convaincus que les révolutions ont des cycles, des flux, des reflux et ainsi de suite. Si la contre-révolution menée par les forces de l’ancien régime contre la révolution de Janvier était capable d’assurer la sécurité, l’autosuffisance alimentaire et la justice, et de satisfaire les besoins de la population en matière de travail, de logement, d’enseignement et de soins, au lieu de priver les libertés, nous aurions dit que la victoire de la contre-révolution est viable pour de nombreuses années. Mais la contre-révolution ne fait que rétablir strictement l’ancien système, avec les mêmes circuits de corruption, les mêmes politiques, les mêmes choix économiques, ainsi que les mêmes figures. Ainsi les masses vont-elles découvrir rapidement que le retour de l’ancien système n’est pas la solution, et que la vraie solution nécessite de continuer l’action autour des principes de la révolution et ses méthodes. C’est ce qui va redonner la joie des premiers jours de la révolution, quand les masses avaient découvert par leur lutte qu’elles pouvaient influencer les dinosaures du pouvoir et ses institutions pourries et qu’elles étaient capables de prendre leur destin en main.
En ce troisième anniversaire de la révolution du 25 Janvier, nous appelons tous ceux qui croient au droit du peuple égyptien à la liberté et à une vie décente – et pas seulement les quelques révolutionnaires qui s’attirent les foudres de la contre-révolution – de rester fermes sur les revendications de la révolution de Janvier, quels que soient les pressions et les dangers. Nous les appelons à garder espoir et à bien prendre en compte la différence entre la révolution et la contre-révolution. Cette dernière est représentée par les forces de l’ancien régime ainsi que des forces qui se cachent derrière la religion et qui étaient alliées auparavant avec l’ancien régime, et dont une partie est toujours alliée avec lui. Nous appelons tous les Egyptiens à croire en leur capacité à changer leurs mauvaises et injustes conditions et à renverser le régime au travers de la lutte pacifique.
Nous appelons également tous les révolutionnaires à continuer à croire au rôle essentiel du mouvement de masse dans le changement. Il n’y a pas de révolution sans les gens, ni de changement sans les gens ; ils sont le but et le moyen.
En ce troisième anniversaire de la révolution du 25 Janvier, nous réaffirmons que notre ligne basée sur la conviction que la révolution est le moyen du changement, ainsi que la démarcation entre les courants et les forces politiques.
Derrière l’épais brouillard, derrière l’effort fou pour transformer les « amis » d’hier en « ennemis », et pour présenter la « guerre contre le terrorisme » comme une alternative aux revendications de «Pain, liberté », la bataille principale reste la lutte contre toute forme de répression, d’exploitation et d’oppression.
Le message du 25 Janvier est clair : l’ennemi est celui qui se trouve à la tête du pouvoir parmi les forces de l’ancien régime, est en connivence avec lui, ou celui qui essaye de diviser les gens en fonction de leur religion, leur race ou leur origine.
En cet anniversaire grandiose, alors que nous déposons des gerbes de fleurs sur les tombes des martyrs de la liberté, nous nous rappelons les revendications fondamentales de la révolution :
– Une démocratie véritable qui va au-delà de la démocratie des urnes, et qui repose sur la garantie du droit des masses populaires à s’organiser, du droit de grève, de protestation et de rassemblement sans conditions ni restrictions ;
– Une justice véritable basée sur la répartition équitable des richesses de l’Egypte et de ses ressources, sur la protection des intérêts des pauvres et des travailleurs, sur le combat contre le délire du marché libre et la corruption des hommes d’affaires et de la finance, sur l’interdiction du monopole de n’importe quelle caste sur les richesses et les ressources ;
– Une vraie liberté qui va au-delà de la liberté politique au sens étroit du terme. Une liberté basée sur la garantie de l’intégrité de l’être humain contre toute violence physique ou psychologique. Une liberté qui consacre toutes les libertés, civiles collectives et individuelles, de la liberté de conscience à la liberté d’opinion et d’expression, ainsi que le droit à la différence et la diversité ;
– Une véritable réforme qui va au-delà du changement de quelques figures à la tête des institutions de l’Etat que ce soit dans l’armée, la police, les médias ou la justice, et qui repose sur le changement des fondements de ces institutions afin d’éliminer la corruption rampante et les mettre au service des masses ;
– Un système global et tranchant de justice transitionnelle permettant de poursuivre sérieusement tous ceux qui ont commis des crimes envers le peuple, que ce soit à l’époque de Moubarak, de Tantawi, de Morsi et ou al-Sissi. Il rendra possible un châtiment véritable qui dépasse certaines procédures formelles.
En ce 25 janvier et pour toutes les années à venir, chaque jour et chaque heure, nous œuvrerons tous, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, nous les Égyptiens de toutes les religions et croyances, de toutes les villes et villages à satisfaire ces revendications, pour que l’Egypte soit une patrie dans laquelle nous jouissions de tous nos droits et libertés. Tel est notre engagement.
Le 25 janvier 2014
Signataires
1- les partis et organisations :
– Front Chemin de la Révolution – Thuwar
– Les Socialistes Révolutionnaires
– Le Mouvement de la Jeunesse du 6-Avril
– 6 Avril – Mouvement démocratique
– Mouvement de la jeunesse pour la justice et la liberté
– Parti Courant égyptien
– Parti Egypte Puissante
– Etudiants Egypte Puissante
– Etudiants Parti de la Constitution
– Mouvement de résistance des étudiants
– Talabat Sawt el Midan
– Le Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme (ANRHI)
– Hisham Mubarak Law Center (HMLC)
– National Community for Human Rights and Law (NCHRL)
– No Military Trials For Civilians
– Manifesto Chaâb
– Campagne « Nation Without Torture »
– Campagne « Warakom Bi Taqrir »
– Groupe 7akimohm
– Mouvement « Thairoun Hatta Al Qasas »
– Mouvement « Hanlakihom » – pour soutenir les familles des personnes disparues de la révolution
– Mouvement Bahaya ya Masr
– Révolutionnaires 25 Janvier à Boulaq Dakrour
2- Les personnes :
Suit une liste de 137 militants.es et activistes à consulter sur ce lien.
https://docs.google.com/forms/d/14u2DVGvuueGh9cgurGs6CFGENvXLr4lpDvv4wsC1ogg/viewform
Traduction de l’arabe par Rafik Khalfaoui