La fin du tunnel est loin d’être en vue. Nous ne sommes qu’au début d’une gigantesque offensive du capitalisme européen contre le monde du travail, les jeunes et les femmes. Depuis 2008, dans l’UE, plus de deux mille milliards de dettes privées des banques ont été transformés en dettes publiques, et ces dettes « publiques » servent de prétexte à une austérité féroce.
Ces sacrifices imposés à la majorité de la population aggravent les déficits et la récession. Mais la classe dominante n’en a cure: elle continue de plus belle. Pourquoi ? Parce que son objectif n’est pas purement économique mais stratégique : elle veut briser la résistance sociale, démanteler ce qui reste de l’Etat-providence, réduire le secteur public à sa plus simple expression et affaiblir structurellement les syndicats. Le glissement du discours patronal sur la compétitivité est révélateur: pour les patrons, il ne suffit plus que le « coût du travail » soit aligné sur les autres pays européens – c’est dorénavant sur le marché mondial, face aux capitalismes « émergents » de Chine et d’ailleurs que les travailleurs et travailleuses du Vieux continent devraient être « compétitifs ».
L’UE, machine de guerre capitaliste
L’Union européenne et ses gouvernements sont au service de cette politique cruelle et injuste. La structure même de l’UE en fait une machine de guerre capitaliste, et fournit un alibi aux gouvernements nationaux : « Ce n’est pas nous, c’est l’Europe », disent-ils. Mais l’Europe, c’est eux ! Le nouveau traité européen (TSCG) qui grave la « règle d’or » dans le marbre, c’est eux ! L’Europe forteresse qui repousse, enferme et déporte les demandeurs d’asile, c’est eux. Le Conseil, seul organe de pouvoir effectif, est composé des chefs d’Etat et de gouvernement. Le Parlement européen n’a quasiment aucun pouvoir réel. La Commission, seule habilitée à proposer des initiatives législatives, est composée par les Etats membres…
L’influence des lobbies patronaux vient encore d’être mise en lumière par le projet de communication de la Commission sur le marché de l’électricité. Ce texte a été dicté par le secteur des énergies fossiles et la Table Ronde des Industriels européens. Les patrons veulent moins de renouvelables et des centrales au gaz de schiste, comme aux Etats-Unis, – pour que le courant soit moins cher. Et tant pis pour la catastrophe climatique dont le typhon qui a ravagé les Philippines montre pourtant le danger !… Le fait qu’un ancien de Goldman Sachs – Mario Draghi – dirige la Banque Centrale Européenne est symbolique : toutes ces institutions sont liées au grand capital qui exploite le travail et pille les ressources naturelles.
Social-libéralisme
C’est peu dire que la social-démocratie collabore à l’offensive de régression sociale et de destruction écologique. En Allemagne, en Grande-Bretagne, en France, en Italie, en Grèce, en Espagne, au Portugal… partout, les partis « socialistes » au garde-à-vous ont appliqué le programme néolibéral et productiviste. En Belgique, le PS et le Sp.a sont au gouvernement depuis vingt-cinq ans. Un moindre mal ? Non : comme dans les autres pays, les « socialistes » ont activement contribué au démantèlement de nombreuses conquêtes sociales (droits à la prépension, aux allocations de chômage) et des services publics (sous-financés, libéralisés voire privatisés), au tournant sécuritaire et à la transformation de l’impôt au service du patronat et des plus riches. Ils sont maintenant prêts à s’attaquer au contre-pouvoir syndical, en cassant les conventions collectives, et ils discréditent les luttes des travailleurs. Comme dans les autres pays, cela favorise un glissement à droite de l’opinion : montée du racisme, de l’islamophobie, du sexisme, du chacun pour soi et de la droite extrême.
La polarisation à droite coïncide chez nous avec une polarisation communautaire. Cette particularité ne doit pas amener à la fausse conclusion que le PS et le Sp.a seraient le dernier rempart contre une scission de la sécurité sociale. En coulisse, le PS est déjà d’accord avec le MR et le Cdh pour dire que le prochain gouvernement réduira drastiquement les cotisations patronales à la Sécu. En réalité, c’est la politique social-libérale du PS et du Sp.a qui alimente la montée du national-libéralisme de la NVA… Et celle de l’extrême-droite. Car quel message donne le président du PS quand, en tant que bourgmestre, il pénalise la mendicité à Charleroi? Qui, si ce n’est l’extrême-droite, se réjouit de la violence policière que les bourgmestres PS de Bruxelles et de Saint-Josse ont déchaînée contre les Afghans et contre les squatters du Gèsu ? Une dynamique dangereuse se met en place, qui pave le chemin pour des coalitions encore plus à droite- avec ou sans le PS et le Sp.a.
2014, quel enjeu ?
C’est dans ce contexte général qu’il faut situer les élections législatives, régionales et européennes de mai 2014. Quel est l’enjeu, pour la gauche ? Faire en sorte que se poursuive une politique qui, au nom du moindre mal, planifie l’exclusion de dizaines de milliers de chômeurs et de chômeuses? Non, l’argument «sans le PS ce serait pire » est « une insulte à notre intelligence » – comme disait le secrétaire régional de la FGTB de Charleroi, Daniel Piron… L’enjeu, le vrai, est d’ouvrir une première brèche dans le monopole de la social-démocratie et des Verts sur la représentation parlementaire « à gauche ». De donner une expression politique anti-austérité au désespoir et à la colère qui s’accumulent dans une partie de la société. De montrer au PS et au Sp.a que l’heure approche où ils ne pourront plus berner leur base sociale avec de belles promesses, jetées aux orties sitôt les élections terminées. De poser un jalon vers une nouvelle expression politique des exploité-e-s et des opprimé-e-s.
Un peu partout en Europe, la dégénérescence de la social-démocratie (et des Verts) libère un espace politique pour des forces plus à gauche. La Belgique, jusqu’à présent, fait exception. C’est le résultat d’une multitude de facteurs : contrôle social-démocrate sur la base syndicale et bas niveau politique des mouvements sociaux, d’une part, sectarisme stalinien de la principale formation de gauche (le PTB) et incapacité des autres à s’unifier durablement autour d’un projet anticapitaliste novateur, d’autre part. Or, cette situation est en train de changer. Deux éléments en attestent : 1°) l’évolution du PTB, qui lui a permis de s’élargir et de réaliser un début de percée lors des élections communales et provinciales d’octobre 2012 ; 2°) le fait que de plus en plus de syndicalistes et de militants d’autres mouvements sociaux comprennent la nécessité de mener le combat aussi sur le terrain d’une alternative politique.
Prendre ses responsabilités
La LCR a donc décidé de voir la réalité en face et de prendre ses responsabilités en ayant à l’esprit l’intérêt de l’ensemble des travailleur*ses. En Flandre, nos camarades du SAP ont conclu un accord avec le PTB : nous serons présents sur les listes PVDA+. Le communiqué commun des deux organisations est clair : « Pour la première fois depuis longtemps, les élections de mai 2014 offrent la possibilité, par un vote pour le PTB+, d’avoir des élus de gauche (…) qui donneront une voix claire à la lutte contre la politique d’austérité. (…) Le PTB et le SAP ont une vision différente sur quantités de questions. Par cet accord, nous renforçons la gauche. De la sorte, nous pouvons aider à faire avancer la lutte contre l’austérité, le chômage et pour une alternative radicalement sociale, écologique et démocratique ».
La situation en Belgique francophone est différente : le PTB n’y est pas aussi hégémonique qu’en Flandre. Surtout, l’appel de la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut et l’écho qu’il a reçu (notamment à la CNE) permettent d’espérer faire un premier pas en direction d’une recomposition en profondeur du mouvement ouvrier, à la fois sur le terrain politique/électoral et sur le terrain social/syndical. Cette chance doit être saisie. C’est pourquoi la LCR travaille depuis des mois en faveur d’une proposition qui réponde à la fois à quatre objectifs : la volonté de la gauche syndicale de poser un jalon vers une alternative politique unitaire à gauche du PS et d’ECOLO, le souci légitime du PTB de ne pas abandonner son sigle, l’autonomie des autres formations de gauche et à la volonté de « personnalités » indépendantes de participer au processus.
Programme anticapitaliste d’urgence
Le succès dépendra en premier lieu du PTB. C’est lui qui a les cartes en mains. En Belgique francophone, le « programme anticapitaliste d’urgence » de la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut constitue une contribution solide au regroupement des forces. C’est principalement sur cette base que la LCR prendra ses responsabilités. Nous espérons que d’autres feront de même, car c’est aujourd’hui le seul moyen pour que l’appel de Daniel Piron et de ses camarades reçoive un début de concrétisation politique et électorale – et il est essentiel qu’il en reçoive un, fût-il imparfait. La LCR (et le SAP en Flandre) maintiennent leur complète indépendance politique vis-à-vis du PTB. Nous mènerons notre propre campagne en appelant à voter de préférence pour nos propres candidat-e-s qui défendront notre programme : anticapitaliste, internationaliste, féministe, écosocialiste.
Certains prétendront peut-être que « la LCR se couche devant le PTB », etc. C’est ridicule. « Eux c’est eux, nous c’est nous ». Nous le prouvons dans la solidarité avec la révolution syrienne, dans la lutte contre la bureaucratie syndicale et contre le patriarcat, dans la défense de l’écosocialisme et de l’auto-organisation des luttes. Comme le dit le communiqué en Flandre : « le PTB et la LCR ont des visions différentes sur beaucoup de questions ». En même temps, le PTB change, chacun s’en aperçoit. Nous suivons son évolution en espérant qu’il rompra avec le mao-stalinisme sans rompre avec l’anticapitalisme… et sans adopter la posture pseudo-radicale purement verbale qui est celle du PC grec ou du PC portugais. Mais ces questions-là, pour importantes qu’elles soient, ne nous empêcheront pas de mener campagne loyalement pour que Raoul Hedebouw et Peter Mertens soient élus à la Chambre… Et tant mieux s’ils ne sont pas seuls. Notre souhait : que ce soit le début d’une nouvelle période de luttes communes à gauche.
Le Secrétariat de la LCR-SAP
Le 15 novembre 2014