On fête le centième anniversaire de la mort du poète Émile Verhaeren, né en 1855 à Saint-Amand en Flandre et mort, écrasé par un train, dans la gare de Rouen en 1916. Mais quel était le pays d’Émile: la Belgique, la Flandre, la France ? Du point de vue linguistique c’est la France, bien que l’intonation de ses vers ne semblait pas tout à fait comme il faut dans les oreilles parisiennes. Il se peut que le choix de cet idiome fut intentionnel. Le Francophones belges aimaient se différencier de la France en invoquant le passé de la « Flandre ». Il était donc belge. Cette Flandre qui était le sujet de la poésie verhaerienne était peuplée comme il se doit de Flamandes, de moines, de villages hallucinés et de villes tentaculaires où les usines jettent leur fumée dans un ciel morne et bas. Le plat pays quoi, qui est le mien. J’oublie les beffrois comme uniques montagnes.
Verhaeren appartenait à cette frange moderniste – rare en Flandre et un peu moins en Belgique – qui apparût à la fin du 19e siècle. Il n’hésitait pas à chanter des choses laides (l’industrialisation), tout comme d’une certaine façon Baudelaire avant lui. Verhaeren se rangeait derrière le Parti Ouvrier Belge et son évolution politique fut une illustration de la logique ultime du réformisme. Ayant ses entrées à la Cour, il approuvait la guerre contre la barbarie germanique en alliance avec le tsar, le petit père non moins barbare de la prison des peuples. Mais que représentait aux yeux de notre poète ce tsar négligeable à côté de l’immortelle âme russe ? Voici ce qu’il écrivait à une traductrice russe en 1915 : « Ce qui apparaît surtout en cette guerre c’est que ceux qui veulent tenir l’Europe sous leur domination sont inférieurs aux races qu’ils oppriment et qu’ils manquent du don d’intelligence et de finesse pour comprendre à quel point ils sont rétrogrades et barbares. La grande tare de l’âme allemande est qu’elle est une âme sans forces fraternelles. Elle s’est appauvrie de tous les hauts sentiments qu’avaient essayé (sic) d’y propager les Schiller et les Beethoven. Elle s’est faite dure et féroce, mercantile et militaire, rébarbative et pédagogique. Elle est l’ennemie du monde moderne. L’âme russe tout au contraire tend vers la grandeur morale la plus large. (…) Vraiment l’Allemagne fait pauvre figure avec sa science courte, avec son organisation durcie, avec ses préoccupations uniquement matérielles quand, un seul instant, on éclaire sous l’admirable et fulgurante lumière russe. »
Il admirait « âme russe », considérait l’Allemagne « asiatique » comme « incivilisable », cachait mal un certain antisémitisme et abjurait son ancien ami et admirateur autrichien Stefan Zweig, qui lui, s’était prononcé contre la guerre. Le « monde de hier », peint par ce même Zweig, était derrière lui.
Un an après sa mort accidentelle le peuple russe fit sa révolution contre le régime tsariste en refusant de continuer la guerre barbare contre les barbares allemands, et cela contre les souhaits des barbares alliés, dont Vandervelde, le chef du Parti Ouvrier Belge. Et deux ans plus tard certaines sections de la population allemande incivilisable se révoltèrent contre le régime du Kaiser. En Belgique c’était le calme plat.
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