Parmi ses dernières trouvailles lumineuses, Théo Francken, Secrétaire d’Etat à l’asile et la migration, a déclaré vouloir instaurer des « cours de respect des femmes » pour les demandeurs d’asile. Sous ce prétexte, profitant du contexte lourdement sécuritaire et islamophobe, il stigmatise à nouveau les migrant-e-s comme des hommes machos et des femmes soumises tout en poursuivant une politique migratoire au mépris des droits fondamentaux, et tout en dédouanant l’ensemble de la société -et particulièrement les pouvoir publics- de la responsabilité collective des violences envers les femmes. Alors, du respect, oui, parlons-en!
Populisme et colonialisme
Avec sa sortie populiste -pour laquelle on se demande bien où il envisage de trouver les moyens alors que même les cours de français prévus par les parcours d’intégration ne sont pas dispensés en suffisance- Franken crée la polémique (1). Mais, en même temps, il rencontre sans surprise un certain écho favorable. Son idée va en effet dans le sens des peurs populaires, de l’image fantasmée des « hordes » d’étrangers qui nous « envahissent » en « menaçant » « nos valeurs » et, en l’occurrence, « nos femmes ». Elle est aussi dans le ton des convictions paternalistes et colonialistes de celles et ceux qui estiment nécessaire de « civiliser » ces populations « barbares ». Certain-e-s même y sont favorables en pensant naïvement et de bonne foi que de tels cours pourraient effectivement faire progresser les droits des femmes.
Il est évident que l’intention proclamée n’est qu’un prétexte politiquement correct pour masquer maladroitement -mais avec malgré tout une certaine efficacité- un objectif plus sournois. L’annonce cible exclusivement les hommes demandeurs d’asile et elle tombe comme par hasard en plein contexte sécuritaire, raciste et islamophobe, quelques semaines après les attentats de Paris et quelques jours après les violentes agressions sexistes qui ont eu lieu la nuit du nouvel an en Allemagne. A chaque fois, les personnes (d’origine) étrangères, en particulier les musulman-e-s, ont été pointés du doigt. Les amalgames sont vite faits. Et Francken en rajoute une couche. Ce n’est pas innocent. Le Secrétaire d’Etat n’innove pas sur la méthode; d’autres ont instrumentalisé avant lui les droits des femmes pour promouvoir des mesures discriminatoires, comme l’interdiction du foulard. Avec sa sortie, le Secrétaire d’Etat tente pour sa part de gagner des adeptes de plus aux politiques en vogue « d’immigration choisie », de contrôle des frontières, de restriction des droits des migrant-e-s, mais aussi de l’armée et de la police en rue, des restrictions des libertés au nom de la sécurité, etc.
S’il voulait vraiment…
S’il voulait vraiment respecter les femmes, Théo Francken pourrait commencer par adopter des mesures de l’ordre de ses compétences pour faciliter la vie des migrantes en Belgique, mesures que les féministes, les migrant-e-s et leurs soutiens revendiquent depuis de nombreuses années. Par exemple, il pourrait enfin installer un accueil digne pour les demandeuse-eur-s d’asile en prévoyant des espace où les femmes puissent se sentir en sécurité. Une préoccupation qui ne lui a visiblement pas effleuré l’esprit lorsqu’il a installé cet été, sous la pression citoyenne, des places temporaires de pré-accueil au WTC avec des lits en rang d’oignon dans un dortoir commun. Pas étonnant que les femmes aient rechigné à dormir côte à côte avec des inconnus, d’autant plus après le parcours éprouvant qu’elles ont vécu.
Si Théo Francken est adepte des formations, il pourrait aussi en instaurer à l’attention des agents de l’office des étrangers, pour que les inégalités de genre soient réellement prises en compte dans le parcours des femmes migrantes. Certaines, en effet, quittent leur pays à cause des violences de genre qu’elles y subissent. Et toutes ne peuvent pas prétendre à l’asile pour cette raison, notamment celles qui viennent des pays estimés comme « sûrs » par l’Etat belge et desquels les ressortissant-e-s perdent leur droit à l’asile en Belgique. Pour les femmes, il n’existe aucun pays sûr!
Au-delà des candidat-e-s à l’asile, Théo Francken pourrait aussi répondre enfin à la situation inadmissible que vivent les femmes victimes de violences conjugales et dont le titre de séjour dépend d’un regroupement familial. Celles-ci doivent en effet rester mariées de 3 à 5 ans pour conserver leur titre de séjour. Elles ont ainsi le « choix » de quitter leur mari violent en perdant leurs papiers ou bien de garder leurs papiers tout en continuant à vivre un enfer. Pour respecter et faire avancer les droits des migrantes et des femmes en général, il y a donc de quoi faire, rien qu’avec ces propositions qui ne sont que des extraits d’une longue liste.
L’égalité déjà là?
Francken ne se préoccupe absolument pas des droits des femmes migrantes. Ce n’est pas un scoop. Se fait-il pour autant davantage de souci pour les droits des femmes belges en laissant entendre qu’il souhaite les protéger des coutumes barbares tel un cheptel précieux? En prétendant que les femmes vivent en Belgique à l’égal des hommes puisque -la preuve est flagrante- ici elles peuvent travailler (sic!), le Secrétaire d’Etat démontre toute son ignorance des réalités quotidiennes de la moitié de la population. Rien qu’avec un écart salarial de 22%, un quart des femmes déclarant avoir subi un viol conjugal, 157 femmes tuées en 2013 dans un contexte de violences conjugales, 32% d’interventions féminines dans les émissions d’information des médias audiovisuels, il est difficile de parler d’égalité de fait.
Mais, là aussi, Francken n’est pas très original. D’autres se spécialisent dans la négation des discriminations sexistes. Et les gouvernements successifs accumulent les mesures qui creusent encore davantage les inégalités en impactant particulièrement les femmes, comme la limitation dans le temps des allocations d’insertion pour les travailleur-euse-s sans emploi (65% de femmes), la diminution de l’Allocation de Garantie de Revenus (AGR) pour les travailleuses à temps partiel (80% de femmes), la « modernisation » du calcul des salaires qui risque d’accroitre l’écart salarial en favorisant les primes au détriment des barèmes, etc. Ces quelques exemples démontrent à eux seuls que le non-respect des femmes n’est pas du seul chef des demandeurs d’asile, loin de là.
C’est le constat de discriminations et de violences sexistes bien présentes en Belgique à travers toutes les cultures, tous les âges et toutes les classes sociales, qui amènent certain-e-s à suggérer que les « cours de respect » qu’imagine Francken soient envisagés pour l’ensemble de la population. Il est clair qu’une sensibilisation antisexiste générale, intensive, dès le plus jeune âge et confiée, avec les moyens nécessaires, aux mouvements de femmes les mieux placés pour être pertinents et efficaces, aiderait à avancer vers davantage d’égalité. Mais, même dans les meilleures conditions qu’il soit, viser des changements de comportements par la sensibilisation revient à faire reposer sur des épaules individuelles la responsabilité d’un phénomène de société qui devrait être assumé de manière collective.
Il est urgent que les pouvoirs publics mettent en place des moyens structurels pour garantir les droits, l’autonomie et la dignité de toutes les femmes en prévenant, en traquant et en éliminant les discriminations existantes à travers les institutions et politiques publiques, ainsi qu’en créant les conditions d’une meilleure perception des violences machistes, d’une lutte efficace contre l’impunité des auteurs, et de la reconstruction personnelle des survivantes. Là aussi, la liste de revendications concrètes est bien longue. C’est en s’engageant dans cette voie, et alors seulement, que le gouvernement et ses représentants pourront se permettre de parler de respect des femmes sans se vautrer dans une hypocrisie vomitive.
(1) Notamment avec les réactions immédiates de Vie Féminine, des Femmes Prévoyantes Socialistes ou encore d’Amnesty International.