Le numéro de juin-juillet d’INPRECOR a publié une bonne analyse de la situation du mouvement ouvrier en Belgique et du rôle essentiel d’Ernest Mandel depuis le milieu du XXe siècle jusqu’à son décès en 1995. Hendrik Patroons, dans sa conclusion, précise que « l’approche méthodique, internationaliste et marxiste d’Ernest Mandel demeure toujours valable » .
Une grosse fausse note marque cependant le début de cet article où Mandel est traité de « militant flamingant ».
C’est évidemment hasardeux parfois d’écrire dans une langue qui n’est pas notre langue maternelle.
Avec prudence cependant Hendrik Patroons a consulté deux dictionnaires, le Larousse et le Robert . Mais une définition du dictionnaire, même si elle n’est pas fausse, peut ne pas tenir compte de la signification usuelle d’un mot, de la façon dont il est compris par la masse des gens.
Wallingant, flamingant : cette terminaison « gant » donne un sens péjoratif au mot pour ceux qui l’entendent
Quand on utilise un mot aussi riche en contradiction que wallingant ou flamingant, il faut analyser de façon dialectique les sens que toute l’opinion publique – au-delà de la formule étroite d’un dictionnaire – donne à ce mot.
Cela permet de comprendre ce que peuvent ressentir les lecteurs et par ailleurs, de nous situer.
Né en 1930 dans le Brabant wallon, je suis Wallon d’origine et Liégeois depuis 1953, mais je n’ai jamais été wallingant. Membre de la IVe Internationale depuis mai 1953, je suis internationaliste. Comme l’était évidemment Ernest Mandel.
En menant une lutte acharnée dès janvier 1965 contre le réactionnaire wallingant François Perin, j’ai été le principal fondateur et ensuite le plus actif dirigeant, de Liège à Mouscron, du Parti Wallon des Travailleurs (PWT). J’avais aussi été – quand nous l’avons décidé en Comité Central de la section belge au début de 1961 – un militant du mouvement populaire wallon (MPW) créé par André Renard. J’ai donc été opposé aux wallingants comme d’ailleurs aux flamingants.
Mandel, à juste titre, a dénoncé l’oppression nationale, pas seulement culturelle mais aussi sociale dont le peuple flamand a été victime tout au long du XIXe siècle et nous avions raison de dire que si le mouvement ouvrier, né en Belgique au début des années 80, avait appuyé la revendication culturelle du peuple flamand, le clergé flamand n’aurait pas pu apparaître comme son seul défenseur.
« La question nationale donne toujours du fil à retordre au mouvement socialiste » écrit Hendrik Patroons.
Défendre l’égalité des droits entre Flamands et Wallons n’est ni du flamingantisme ni du wallingantisme, mais un souci d’équité, de solidarité entre deux ailes de la classe ouvrière belge.
La façon dont Lénine a adopté le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été contradictoire avec la façon dont Rosa Luxemburg a traité cette question. Elle souhaitait l’indépendance de la Pologne face à la dictature tsariste mais elle a quitté son organisation socialiste polonaise pour adhérer au parti social-démocrate allemand.
Le droit des peuples défendu par Lénine a eu une conséquence dramatique : les ouvriers marxistes de Finlande et de Pologne ont été victimes de leur propre bourgeoisie nationale qui a pris le pouvoir dès la chute du tsarisme, au lieu de pouvoir rester des bataillons essentiels du parti bolchévik.
L’internationalisme nous a protégés des déviations nationalistes bénies par Staline et approuvées – drapeau national en avant – par les staliniens dès 1941.
Quand nous avons défendu le droit du peuple vietnamien puis celui du peuple algérien à l’indépendance nationale, ce n’était pas au détriment de la lutte anticapitaliste à mener dans ces deux pays.
Jamais la lutte pour des droits égaux des travailleurs flamands en tant que tels par rapport à ceux des travailleurs wallons n’a été la lutte prioritaire de la classe ouvrière par rapport à la lutte anticapitaliste. Mandel n’a ni écrit ni dit le contraire.
Dans un article que je n’ai pas pu lire et qu’il a écrit à 15 ou 16 ans, il a contesté les critiques « patriotiques » belges dans l’entre deux guerres contre le docteur Martens. Celui-ci avait été très ouvertement, sous l’occupation allemande de la Belgique entre 1914 et 1918, un collaborateur actif en public de l’armée de Guillaume II.
Il est clair que face à une guerre interimpérialiste, nous n’avions pas à appuyer l’Angleterre impérialiste contre la Prusse, mais à dénoncer les buts réels des belligérants cherchant à dominer le marché mondial.
Mais le docteur Martens n était pas seulement l’ami de l’armée prussienne. Il savait, lui – ce que le jeune Mandel ignorait sans doute – que cette armée avait commis ce que nous appelons aujourd’hui des crimes contre l’humanité, en massacrant à Liège, à Aarschot et surtout à Dinant plusieurs centaines de civils sans armes, femmes, enfants, tués sans nuance. Défendre Martens n’était donc pas du tout admissible mais Mandel aussi jeune a pu ne pas connaître cette horrible page d’histoire.
Pendant plus d’un demi-siècle de lutte de classe en Belgique et dans le monde, il a organisé et parfois dirigé des luttes exemplaires de travailleurs contre les impérialismes, contre le capitalisme.
Comme lui, que nous soyons Flamands ou Wallons, nous devons rester fidèles à l’idéal internationaliste. Celui de Trotsky, celui de Rosa Luxemburg, celui de Mandel.