En septembre 1872, la Ière Internationale scissionnait : marxistes et anarchistes se séparaient. L’ouvrage d’Olivier Besancenot et Michael Löwy montre que cette rupture ne met pas fin aux affinités entre courants marxistes et libertaires.
Les deux courants se séparent sur la « politique » (participation du mouvement ouvrier aux luttes politiques et aux élections) et la conception du processus de l’extinction de l’État. Mais les modalités de réponse à ces deux questions vont continuer de faire débat parmi les marxistes. Périodiquement des penseurs marxistes se font dénigrer comme anarchisants par leurs adversaires politiques ; ce fut en particulier, le cas de Rosa Luxembourg. Par ailleurs, anarchistes et marxistes se sont retrouvés bien souvent du même côté sur les barricades : durant la Commune de Paris, la Révolution espagnole, Mai 68, mais aussi à certains moments de la Révolution russe. Enfin, à l’instar des marxistes, les anarchistes n’ont pas été épargnés par l’opportunisme lors de rendez-vous de l’histoire : Première Guerre mondiale et guerre d’Espagne (durant laquelle certains anarchistes se rallièrent au gouvernement de la République après avoir éludé la possibilité de l’instauration d’un pouvoir prolétarien en Catalogne).
Questions de fond
Tous ces éléments sont rappelés dans cet ouvrage qui alterne développements généraux, portraits et rappels historiques (avec notamment un intéressant exposé des débats sur Kronstadt) et se termine par un chapitre qui passe en revue plusieurs questions de fond : individu et collectif, révolution et prise du pouvoir, rapports syndicats/parti, écosocialisme, etc. Une question est cependant négligée : l’anarchisme (sauf dans sa variante individualiste à la Stirner, mais c’est une impasse) ne donne pas une compréhension globale du monde. Comme le reconnaissait d’ailleurs Bakounine, il y a un apport incontournable du marxisme en économie.
Par ailleurs, la question du rapport des libertaires au pouvoir aurait pu être plus développée, notamment pour mieux éclairer l’attitude des anarcho-syndicalistes de la CNT durant l’été 36 après qu’ils eurent pris le contrôle de Barcelone.
On peut aussi discuter de la portée générale de l’affirmation selon laquelle les « révolutions du XXe siècle… ont souvent souffert de l’omniprésence des partis qui, en se bureaucratisant se sont substitués à la Révolution – la Révolution russe de 1917 en est un exemple. » D’autres processus ont au contraire d’abord souffert de la faiblesse des forces révolutionnaires organisées (même, si bien entendu, la formule de Trotski de 1938 sur la crise de la civilisation humaine qui se réduit à la crise de direction du prolétariat est caduque, si jamais elle a été valide).
Au total, le livre apporte ou ravive des éléments de connaissance, stimule une réflexion indispensable et devrait être lu par tous ceux qui restent fidèles aux paroles du deuxième couplet de l’Internationale : « Ni Dieu, ni César, ni Tribun ».
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Mille et une nuits, 2014, 5 euros
Source : NPA