Entretien. à la veille des élections générales dans l’État espagnol qui ont lieu ce dimanche 20 décembre, nous nous sommes entretenus avec Raul Camargo, membre de la direction d’Anticapitalistas et de Podemos.
Quelle est la situation politique et sociale du pays à la veille de ces élections ?
L’État espagnol est dans une situation d’état d’urgence sociale. Près de 25 % de chômeurs, 9 millions de personnes dans une situation d’extrême pauvreté, et des milliers d’expulsions de logement, des milliers de foyers frappés par les coupures d’électricité, d’eau et de chauffage. L’inégalité et la répartition des richesses de plus en plus injuste sont les facteurs déterminants de ces élections, autant que la corruption qui éclabousse les deux partis majoritaires, le Parti populaire (PP) et le Parti socialiste (PSOE).
Au cours de cette première partie de législature qui arrive à son terme (2011-2015), nous avons assisté au cycle de mobilisations le plus intense que l’on ait connu depuis 30 ans. Le surgissement du mouvement du 15-M (15 mai 2011, occupation de la Puerta del Sol à Madrid) quelques mois avant les dernières élections, a allumé la mèche d’un processus d’auto-organisation populaire dans les quartiers et dans des secteurs comme la santé et l’éducation. Connu sous le nom de « Marées », il a embrasé toute la vie politique du pays jusqu’au milieu de l’année 2013, au cours des mouvements contre les coupes budgétaires du gouvernement Rajoy.
Avec l’épuisement du cycle de mobilisations et le début du cycle électoral avec les élections européennes de mai 2014, une bonne partie des énergies se sont reportées sur la construction d’un instrument politique qui canalise toutes les énergies qui avaient montré leur force dans la rue. C’est ainsi qu’a surgi Podemos. L’autre facteur qui marque la vie politique, c’est la situation de la Catalogne où se sont tenues des élections le 27 septembre dernier. Elles ont donné comme résultat la victoire aux forces indépendantistes, mais sans qu’elles obtiennent pour autant la majorité absolue en voix. La défense ou le refus de pouvoir tenir un référendum d’autodétermination est également l’un des axes de la campagne électorale.
Quoi qu’il en soit, le fait que, depuis deux ans, il n’y ait plus de processus de mobilisation soutenu a eu une influence quant aux propositions programmatiques de Podemos, si on les compare à celles qui ont été présentées lors des élections européennes.
Du coup, dans ce contexte, quel est l’enjeu de ces élections ?
Dans la prochaine législature, et c’est pour cela que ces élections sont si importantes, l’enjeu va bien au-delà de la question d’un gouvernement, c’est quel type de société nous voulons construire. Nous vivons ici l’histoire de deux pays. Le pays officiel, celui des « cartes black » (cartes de crédit d’une banque semi-publique dont disposaient des conseillers de tous les partis, y compris Izquierda Unida), celui de Florentino Pérez (président du Real Madrid et entrepreneur en BTP), celui des grands entrepreneurs qui exploitent les travailleurs. De l’autre côté, le pays qui crée les richesses avec son travail, celui qui subit les baisses de salaires (au cours de cette législature, les salaires sont passés de 50 % à 45 % du PIB), le pays du chômage permanent : il y a, à l’heure actuelle, plus de deux millions de personnes en situation de chômage de longue durée.
La question qui se pose dans ces élections n’est pas celle du parti qui va gouverner : c’est qui va gouverner, lequel des deux pays va gagner. C’est sûr que le 15-M, ce pays non officiel, a commencé à donner de la voix. à présent, on parle de votes par consensus et de réforme de la Constitution. Pourtant ce sont les mêmes qui méprisaient les assemblées par consensus du 15-M : celles qui disaient « ils ne nous représentent pas, nous ne sommes pas des marchandises aux mains de politiciens et de banquiers, ça suffit les expulsions, car les citoyens normaux ne peuvent être représentés que par des citoyens normaux »… Podemos est en train de remonter (dans les sondages, il y a seulement un mois, Podemos avait chuté à 15 %), parce qu’il y a un pouvoir constitutif qui n’est pas mort, parce que le 15-M est comme un spectre qui resurgit pour réaffirmer sans cesse « nous ne vous voulons pas, nous voulons être nous, nous autres, celles et ceux qui prendrons les affaires en mains ». Cette législature est celle où peut se nouer un pacte entre celles et ceux d’en bas, et pas les vieux pactes entre les élites et les partis.
Mais si on gagne les élections, cela ne va pas être facile. Les pouvoirs de la troïka disent déjà qu’il faut opérer des coupes budgétaires de 13 000 millions d’euros. C’est là qu’il faudra répondre radicalement : pas une seule coupe budgétaire dans les services publics, nous allons augmenter les impôts des riches. Nous n’allons pas permettre que des gens que personne n’a élus nous imposent la misère. Nous allons virer non seulement les politiciens, mais nous allons également faire front aux bureaucrates qui, depuis Bruxelles, ruinent des pays, comme celui de nos frères grecs.
Au sein de Podemos, quels débats ?
La situation interne dans Podemos, c’est qu’il y existe au moins deux âmes : l’une liée à la mobilisation et à l’esprit du 15-M et qui défend un programme de rupture et un modèle de parti plus horizontal et démocratique. L’autre est plus pragmatique et a construit jusqu’ici un modèle d’organisation verticale, où le discours et le programme se sont peu à peu modérés à mesure que se rapprochait le rendez-vous si important de ce 20 décembre.
Après ces élections, il va y avoir un intense débat interne dans Podemos, où nous verrons de quel côté s’incline le plateau de la balance, même si des changements semblent inévitables, au moins en ce qui concerne le modèle de parti, ceci afin de le rendre plus participatif…
Quelles sont alors les perspectives du courant Anticapitalistas ?
Anticapitalistas participe à la campagne de Podemos et a une présence significative dans de nombreux endroits de l’État espagnol, occupant des responsabilités tant internes que publiques. Dans les semaines précédant la campagne électorale, Anticapitalistas a porté dans beaucoup de villes de l’État espagnol une campagne propre, avec un Manifeste-programme intitulé : « Oui nous pouvons. Il existe des alternatives ».
à cause du système électoral imposé par la direction de Podemos, il n’y a aucun membre de notre courant dans les listes pour les élections législatives générales. Mais cependant, il y a au sein de quelques-unes des listes qui se présentent associées à Podemos en Galice (En Marea) ou en Catalogne (dans En Comun Podem « Ensemble nous pouvons ») des personnes avec lesquelles nous pouvons nous sentir très identifiés. Un bon résultat de Podemos lors des prochaines élections créera un tableau où gouverné sera difficile pour les partis traditionnels. Et cela est maintenant un objectif très important.
Le défi est énorme. Ces élections ne sont la fin de rien, mais au contraire peuvent être le début d’une nouvelle phase. Les élections ne sont pas seulement le moment du vote, il faut les utiliser pour accumuler des forces vers la rupture. Gagner le 20 décembre dans les urnes pour, dès le 21 décembre, accélérer la construction du pouvoir populaire. Il faut voter en masse, vigilants et organisés, pour Podemos, En Marea et En Comù Podem.
Propos recueillis par Manu Bichindaritz
Traduction de Jean Puyade et François Pallares
Source : NPA