La manifestation d’extrême-droite qui s’est tenue samedi 12 août à Charlottesville, dans l’Etat de Virginie – probablement le plus vaste rassemblement jamais tenu de l’alt-right [mouvance de droite nativiste, suprémaciste blanche, sexiste, antisémite, conspirationniste, opposée à l’immigration et au dit melting-pot] raciste – constitue une preuve évidente des forces meurtrières alimentées et renforcées par Donald Trump au cours des deux années dernières.
Elle a eu des conséquences mortelles : une manifestante antifasciste a été tuée et plus de deux dizaines de personnes ont été blessées lorsqu’un terroriste néonazi a foncé avec sa voiture au cœur de la contre-manifestation organisée par des organisations de gauche, dont, entre autres, l’International Socialist Organization (ISO), les Democratic Socialists of America et l’America and Industrial Workers of the World.
Trump a émis une condamnation sournoise [ces démonstrations flagrantes] «de haine, de bigoterie et de violence de tous les côtés», qui n’a trompé personne – en particulier l’extrême droite. «Il a même refusé de mentionner quoi que ce soit qui a un rapport avec nous» jubilait un site internet raciste [the Daily Stormer, titre qui fait référence à l’un des plus célèbres journaux nazis, Der Stürmer, hebdomadaire dirigé par julius Streicher de 1923 à 1945 ; Streicher a été jugé et condamné à mort lors du Procès de Nüremberg]. «Lorsque les journalistes lui ont crié au sujet du nationalisme blanc, il est juste sorti de la pièce.»
Les fascistes considèrent donc que Trump est l’un des leurs – et ils ont de bonnes raisons de le croire. La haine qui s’affichait à Charlottesville – promue par le semeur de haine en chef – galvanise les gens à travers le pays.
La nouvelle de l’attaque raciste à la voiture a suscité une vague de solidarité – dans les heures qui ont suivi des veillées et des manifestations ont été organisées dans des dizaines de villes, protestations qui se sont multipliées le jour suivant (et d’autres encore sont planifiées pour les jours à venir). A la fin de week-end, les gens ont affirmé leur solidarité avec Charlottesville dans des centaines de localités.
Ces personnes qui envoient un message de défi n’ont pas seulement été dégoûtées par la haine des fascistes et horrifiées par leur violence, mais elles comprennent qu’il est nécessaire d’affronter cette menace avant qu’elle n’engendre d’autres souffrances et ne tue d’autres personnes.
Charlottesville a montré la nature de la grave menace à laquelle nous faisons face, celle d’une extrême-droite enhardie. Les événements révèlent également le potentiel de mobilisation d’une opposition de masse contre les semeurs de haine, qu’ils se pavanent dans les rues ou qu’ils siègent à la Maison-Blanche.
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Les milliers de personnes qui se sont mobilisées contre les politiques menées par Trump au cours des derniers mois empêchent l’extrême-droite d’affirmer qu’elle représente autre chose qu’une petite fraction de la population des Etats-Unis.
Lorsque le Ku Klux Klan s’est rassemblé à Charlottesville le mois dernier afin de protester contre le retrait d’une statue du général confédéré Robert E. Lee d’un parc de la ville, ils ont attiré environ 50 partisans. Les antiracistes étaient 20 fois plus nombreux. Humiliés, les groupes d’extrême-droite ont annoncé l’organisation d’un autre rassemblement, en août. La ville a donné son autorisation aux organisateurs du rassemblement Unite the Right sur l’Emancipation Park [nom ironique pour le parc où se dresse la statue du général Lee, qui s’appelait auparavant Lee Park] samedi dernier [12 août] – une tentative de dernière minute de retirer l’autorisation a été suspendue par un juge à la suite d’un appel de l’ACLU [American Civil Liberties Union, qui représentait un blogueur d’extrême-droite de Charlottesville, Jason Kessler]. Des autorisations ont également été émises permettant aux contre-manifestants de se réunir deux pâtés de maisons plus loin, au Justice Park.
L’extrême-droite est venue en cherchant un affrontement à Charlottesville. Ils ont commencé vendredi soir par un défilé au flambeau sur le campus de l’Université de Virginie. Criant « Heil Trump ! » et « vous ne nous remplacerez pas ! » – un slogan dont la variation était parfois « les Juifs ne nous remplacerons pas ! » –, certains d’entre eux ont utilisé leurs flambeaux pour menacer le petit groupe de manifestants antiracistes venu sur le champ pour leur faire face.
Si les racistes s’imaginaient disposer de la même force écrasante le jour suivant, ils ont eu tort. L’opposition aux fascistes – allant des groupes Antifa à la gauche radicale en passant par des organisations antiracistes plus modérées – ont été plus nombreux que les fascistes. L’avantage des antifascistes n’était toutefois pas aussi important qu’il aurait dû être. Des groupes des deux côtés faisaient des marches de passage à la vue les uns des autres dans la matinée de samedi et il y a eu des affrontements isolés, provoquant un climat de confusion et d’incertitude.
Lorsqu’un groupe de membres de l’ISO s’est approché de l’entrée sud-ouest de Justice Park, le lieu de la contre-manifestation, ils ont vu une poignée de jeunes Blancs tenant des armes automatiques et des bandanas rouges noués autour de leurs nuques, observant. La peur s’est dissipée lorsque les socialistes ont été accueilli par les acclamations et les poignées de main : il s’agissait de Redneck Revolt, un groupe d’auto-défense récemment formé dans les Etats du Sud.
La police locale et de l’Etat était présente, mais ils ont maintenu une politique de non-intervention lorsque les militants d’extrême-droite se sont déplacés de manière menaçante en direction des contre-manifestants. Ainsi que le rapporte un rapport de ProPublica :
«Lors d’un de ces innombrables affrontements, un groupe en colère de suprémacistes blancs a formé une ligne de bataille face à un groupe de contre-manifestants, la plupart d’entre eux plus âgés et aux cheveux blancs, qui s’étaient réuni près d’un parking d’une église. Sur ordre de leur leader, les jeunes hommes ont chargé et ont passé à tabac avec désinvolture leurs ennemis idéologiques. Une femme a été projetée contre la chaussée, le sang coulant de sa tête contusionnée a été immédiatement visible.
Se tenant à proximité, un mélange de gendarmes de la police d’Etat de Virginie et de policiers de Charlottesville portant un équipement de protection observait silencieusement derrière une barrière métallique – ils n’ont rien fait.»
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Lorsque Terry McAuliffe, le gouverneur de Virginie, a déclaré l’état d’urgence à 11 heures, la Garde nationale a fait son apparition. La police a dispersé l’extrême droite de son lieu de rencontre à Emancipation Park. Cela a eu comme résultat que des groupes itinérants de racistes cherchaient la bagarre dans les rues des alentours.
Les contre-manifestants ont été informé que les fascistes se dirigeaient vers une partie de la ville dans laquelle était située plusieurs logements publics. Ils voulaient agresser les personnes à bas revenu qui y habitaient. Une manifestation a été organisée spontanément pour défendre le quartier : « La sensation d’incertitude et de vulnérabilité s’est transformée immédiatement en confiance et en autorité» a déclaré un membre de l’ISO qui a pris part à l’action. «Nous ne voulions pas laisser les fascistes remporter la journée. »
Environ 300 manifestants antifascistes ont marché et scandaient des slogans en formant un tronçon serré, s’arrêtant juste au coin de la rue où les logements étaient situés. Alors qu’ils arrivaient, ils n’ont toutefois vu aucun militant d’extrême-droite. Un organisateur du quartier s’est dirigé à la tête de la manifestation et a expliqué au porte-voix qu’il était nécessaire de s’en aller afin de réduire les chances d’amener la police dans le quartier.
Le groupe a fait demi-tour vers le centre-ville, rencontrant un autre contingent de contre-manifestants envahissant les rues dans un climat joyeux. Les groupes ont fusionné et ont monté la rue en direction de Justice Park, prévoyant de célébrer leur victoire apparente sur l’extrême-droite. Environ à mi-chemin, les manifestants ont été surpris d’un coup par ce qui semblait être un crash ou une explosion. Des corps ont été projetés dans les airs, les gens criaient. Une voiture fonçait dans la foule à toute vitesse, avant de faire demi-tour et de disparaître.
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Dans le chaos qui a suivi, les gens ont fait de leur mieux pour garder une attitude maîtrisée, faire le point sur la situation et appeler les médecins assignés à la manifestation. Ils ont déplacé les blessé·e·s hors de la scène – donc hors de danger en cas d’une nouvelle attaque – et ont appelé les ambulances.
Au lieu d’ambulances, c’est un char de la police qui est arrivé. Un homme en uniforme militaire est sorti de la trappe muni d’un fusil-projecteur de gaz lacrymogène. Trois véhicules de police le suivaient ainsi qu’un détachement de flics en tenue antiémeute. La police a finalement bouclé la zone et les manifestants se sont dispersés.
Plus tard, la police a fait état de l’arrestation d’un homme de l’Ohio, James Fields Jr., et de sa mise en accusation pour homicide involontaire, pour trois actes de blessures délibérées et malveillantes ainsi que pour ne pas s’être arrêté sur les lieux d’un accident qui a provoqué la mort d’une personne. Des photos prises plus tôt ce même jour montrent le meurtrier brandissant un bouclier portant l’emblème du groupe néo-nazi American Vanguard.
L’attaque à la voiture de Fields a provoqué la mort de Heather Heyer, une femme de 32 ans, originaire de Charlottesville, qui travaillait comme assistante juridique et était profondément engagée en faveur de la justice sociale. Un voisin a déclaré qu’«elle vivait sa vie comme son chemin – pour la justice». Susan Bro, mère de Heather, a dit, en larmes, au HuffPost :
«D’une manière ou d’une autre, j’ai la presque la sensation que c’est ce pourquoi elle était née : être un point de ralliement pour le changement.»
Plus d’une vingtaine d’autres personnes ont été gravement blessées. Bill Burke, un membre de l’ISO d’Athens (Ohio), était de ceux qui ont été emmenés par une ambulance en raison des craintes qu’il aurait pu être atteint de lésions à la colonne vertébrale. Cela n’a pas été le cas, mais il a été traité pour une commotion et placé sous surveillance pour une lésion cérébrale, outre plusieurs blessures au visage, qui ont nécessité de nombreux pansements, et des écorchures aux bras et aux jambes.
Dimanche, en fin d’après-midi, Burke est sorti de l’hôpital et les médecins s’attendent à un rétablissement complet. Il a envoyé ce message:
«J’apprécie le soutien et la solidarité de tout le monde. J’espère que ce que les fascistes ont fait provoquera une prise de conscience dans notre camp. Le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie et le capacitisme [préjugé ou de traitement défavorable contre les personnes vivant un handicap] : la droite représente les pires aspects de ce système capitaliste. Si nous voulons vraiment les arrêter, nous devons être mieux organisés et nous battre solidairement contre toutes les oppressions. Enfin, nous devons combattre pour un autre monde organisé autour des gens et non des profits.»
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Le fait que l’attaque à la voiture n’était pas un accident est manifeste pour tout le monde, à l’exception de Donald Trump et de ses semblables.
Quiconque en doute devrait prendre en considération le mème de l’alt-right qui est apparu plusieurs mois avant les événements de Charlottesville [voir l’image]. On y lit : ALL LIVES SPLATTER [quelque chose comme « toutes les vies éclaboussent »] au-dessus d’une voiture renversant trois personnes. Au-dessous : « tout le monde s’en fout de votre manifestation. Dégagez vos culs de la route. »
Cela s’inscrit dans l’esprit de terrorisme «fun» – avec sa proposition «pour plaisanter» de payer les frais légaux si ses partisans frappaient des manifestants ou faisaient des références «ironiques» quant à l’assassinat d’un candidat de l’opposition. Une telle rhétorique a encouragé des réactionnaires tels que ceux qui ont organisé une marche aux flambeaux, reproduisant le rassemblement de Nuremberg, vendredi soir à Charlottesville.
Leur violence dégoûtante a déjà engendré une explosion de manifestations antiracistes à travers le pays. Nous ne pouvons en rester là. Nous avons besoin d’un mouvement nourri qui mobilise afin d’affronter l’extrême droite sur une base bien plus large lorsqu’ils lèvent la tête et qui organise une alternative de gauche radicale aux politiques fascistes du désespoir et de la recherche d’un bouc émissaire.
Ainsi qu’un participant aux manifestations antifascistes de Charlottesville l’a écrit sur les réseaux sociaux :
« Afin de contrôler les rues, nous devons les remplir. Si nous avions été nombreux à un tel point que chaque parcelle du centre de Charlottesville avait été recouvert, nous n’aurions pas été si vulnérables. Pour démobiliser le mouvement fasciste, il faut qu’ils soient physiquement surpassés en nombre et chassés […]. Il faut les isoler, les démoraliser. Ce qui brise le cœur, c’est le fait que les contre-manifestants à Charlottesville commençaient seulement à sentir une confiance et une unité d’action [avant l’attaque]… Deux contingents, deux foules manifestant ont convergé au centre-ville et se dirigeaient vers Justice Park pour célébrer, après avoir finalement atteint un sentiment d’organisation après avoir été séparé en plusieurs lieux. C’est l’objectif de l’extrême-droite : terroriser, intimider et détruire l’organisation des travailleurs et de la gauche ; et tout ceux qui considèrent comme étant une menace. Nous ne pouvons faire en sorte qu’ils se sentent encouragé par ce qui s’est passé aujourd’hui. »
Article publié le 14 août sur le site SocialistWorker.org, Alan Maass a contribué à la rédaction de l’article.
Traduction par le site A l’Encontre.
Illustration : Charlottesville, le 12 août 2017. Rodney Dunning / Flickr.