Dans le sillage du massacre raciste commis par Dylann Roof dans une église de Charleston, la prise de conscience du public s’accroît quant à l’étendue effrayante des réseaux violents de droite.
Le quotidien New York Times a, par exemple, accordé une attention particulière à un fait que des observateurs de groupes haineux tels que le Southern Poverty Law Centerconnaissent depuis fort longtemps: les suprématistes blancs ainsi que d’autres groupes d’extrême droite ont tué bien plus de personnes aux Etats-Unis que les «djihadistes» depuis le 11 septembre 2001.
Cependant, dès qu’il est question de passer des paroles aux actes, la principale proposition mise en avant par la classe politique – au-delà de l’appel bienvenu, qui aurait dû depuis longtemps devenir réalité, de retirer le drapeau confédéré des emplacements du capitole de Caroline du Sud – est celle du contrôle des armes.
Plusieurs jours après le massacre, le président Obama a déclaré ceci: «on ne constate des meurtres de cette ampleur à cette fréquence dans aucune nation sur terre. On trouve dans chaque pays des personnes violentes, haineuses ou mentalement instables. Ce qui est différent c’est que tous les pays ne sont pas inondés par des armes facilement accessibles.»
Pour de nombreux progressistes, faire de la question du contrôle des armes une priorité relève du sens commun. Le raisonnement est simple: si seulement Dylann Roof n’avait pas eu d’arme, neuf Afro-Américains de Charleston seraient aujourd’hui en vie. Quoi d’autre pourrait être plus pratique que de réduire le nombre d’armes en circulation dans la société des Etats-Unis? En particulier, lorsque l’on compare cette question à celles complexes soulevées par la nécessité de faire face à la violence et à la haine.
En réalité, les appels de cette dernière semaine de membres du Parti démocrate en faveur d’un contrôle des armes ne sont en rien pratique, eu égard à la division partisane sans espoir au Congrès. Cette division garantit de bloquer toute législation substantielle sur les armes – c’est-à-dire, mis à part l’objectif «pratique» que les partisans du camp libéral (gauche) des démocrates en colère contre les opposants républicains à cette législation fassent des donations pour la campagne présidentielle et consacrent du temps lors du prochain cycle électoral.
Mais la raison la plus importante pour laquelle les personnes horrifiées par le massacre de Charleston devraient interroger le fait que l’on se fixe sur le contrôle des armes est qu’elle canalise notre indignation loin des puissantes institutions qui produisent le racisme et la violence dans une société qui emprisonne et bombarde plus de personnes – la plupart d’entres eux Noirs et basanés – que tout autre pays sur Terre.
«Maladie de l’Amérique» criait la une du New York Daily News en surimpression d’une photo de Roof. Ce qui est parfaitement correct. Mais les sous-titres et les images de fond clarifiaient le fait que la maladie n’était pas tant le racisme ni le terrorisme blanc que «la violence des armes» frappant à nouveau la nation.
«Violence des armes», une formule sans contenu politique, ni contexte. Elle n’a jamais été employée pour décrire la fusillade de Nidal Hassan, un américain musulman, qui a tiré sur des dizaines de soldats à Fort Hood [importante base militaire au Texas] lors de ce qui a été universellement appelé «une attaque terroriste».
Les médias n’utilisent pas non plus, à ce propos, la formule «violence des armes» pour se référer aux tirs quotidiens de la police, des patrouilles aux frontières [du Mexique] ou des soldats américains. Il s’agit de dizaines de milliers de personnes, équipées de l’armement le plus sophistiqué de l’histoire et à même de les employer impunément. Ils font partie du tissu d’une société qui ne semble pas capable de saisir pourquoi il y a autant de violence.
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Mettre en doute la logique qui sous-tend l’appel aux contrôles des armes ne signifie en aucune mesure devoir s’aligner sur la politique de cerbère paranoïaque, de la principale organisation qui s’oppose à une telle législation: la National Rifle Association (NRA).
La NRA émergea comme simple organisation de chasseurs et de tireurs d’élite, mais Harlon Carter, ancien directeur de la patrouille aux frontières (Border Patrol), l’a transformée en force politique de droite dans les années 1970. Dans sa jeunesse dans la campagne texane, Carter assassina un Chicano âgé de 15 ans qui traînait trop près de sa maison. Carter a été libéré lorsque sa condamnation a été annulée au motif douteux de l’autodéfense – présageant les lois «Stand Your Ground» dont la NRA se fait aujourd’hui le champion.
Dans le sillage de chaque «incident» de fusillade de masse, on peut être certain que la NRA tirera les conclusions les plus réactionnaires possible: débutant et terminant toujours par la proclamation que ce qui est indispensable dans ce pays qui a le plus grand nombre d’armes au monde, c’est un nombre supplémentaire d’armes.
Cette fois-ci, Charles Cotton, membre de la direction de la NRA, est arrivé à rendre l’une des victimes des assassinats de Dylann Roof responsable: Clementa Pinckney, pasteur et sénateur de l’Etat, parce qu’il avait voté contre l’autorisation de porter des armes dissimulées.
Cotton a rapidement supprimé ses commentaires émis sur les médias sociaux, mais ils faisaient simplement écho à l’appel du dirigeant de la NRA, Wayne LaPierre, qui, après le massacre de l’école primaire de Newtown [dans l’école primaire Sandy Hook, Etat du Connecticut], réclamait que des gardes armés soient placés dans chaque école. Une attitude que LaPierre avait résumée d’un slogan largement porté en dérision: «La seule chose qui puisse arrêter un type mauvais avec une arme, c’est un bon type avec une arme.»
Il est facile de rejeter des déclarations sur le droit à porter des armes lorsqu’elles proviennent de démagogues de droite membres de la NRA. Ce n’est plus si simple lorsque cette revendication est émise par des femmes menacées par leurs ex ou des Noirs qui, à juste titre, estiment qu’ils ne peuvent compter sur la police pour être protégés.
Les premiers appels en faveur d’un contrôle sur les armes n’ont, en réalité, pas été émis en réponse aux racistes de droite, mais plutôt à la vue de membres du Black Panther Party qui patrouillaient les rues avec des armes afin de protéger leurs communautés de la violence policière. Ces événements, vieux de plusieurs décennies, peuvent sembler à certains de l’histoire ancienne, mais ils sont bien plus récents que le drapeau de la Confédération [drapeau des Etats esclavagistes qui firent sécession en 1861, événement à l’origine de la Guerre civile] qui continue à inspirer Dylann Roof et des centaines de milliers d’autres racistes.
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Les partisans les plus bruyants du contrôle des armes actuellement sont des politiciens qui occupent les mêmes postes que leurs prédécesseurs qui se sont battus – souvent littéralement – contre les Black Panthers, il y a plusieurs décennies: les maires et les commissariats de police de villes enregistrant d’importantes inégalités raciales et sociales.
Aucun n’occupe le devant de la scène autant que l’ancien maire de New York, Michael Bloomberg, fondateur de Mayors Against Illegal Guns [maires contre les armes illégales] et, plus récemment, d’Everytown for Gun Safety [littéralement: toutes les villes pour la sécurité des armes]. Bien que Bloomberg se soit construit une réputation nationale comme chaud partisan du contrôle sur les armes, il était lui-même un enthousiaste des armes: pour autant que les armes soient aux mains de son New York City Police Department (NYPD).
Bloomberg est tristement célèbre pour se vanter d’être à la tête de la septième armée du monde. Et ce n’était pas une vaine fanfaronnade. Sous sa supervision, le NYPD a été déployé chaque jour lors de heurts violents principalement avec les habitant·e·s Noirs et basanés (Brown) de la ville: sous prétexte de retirer les armes des rues.
C’est là le problème avec les principaux arguments en faveur du contrôle sur les armes: ils ne disent rien au sujet de la militarisation massive de l’Etat, des agents de polices, des patrouilles aux frontières en passant par les forces de sécurité privées – ou au sujet de la dynamique manifestement raciste de cette militarisation.
Au-delà des oppositions animées qui les mettent aux prises avec la NRA, les démocrates liberal qui mettent en avant le contrôle comme une solution à la violence partagent un point commun avec la NRA qu’ils méprisent: chacun part du principe que les armes resteront aux mains de l’armée et de la police afin de maintenir l’ordre.
Les démocrates comme Barack Obama ne songent pas plus tracer le parallèle entre les guerres sans fin de l’Amérique et la glorification de l’armée avec les fusillades qui se déroulent dans le pays.
«Il s’agit “d’hélicoptères noirs”», a répondu en plaisantant Obama à une question enjouée posée par le comédien Marc Maron lors de son émission sur les craintes notoires de la droite. «Nous les déployons contre Ben Laden… mais nous ne le déployons généralement pas sur le sol américain.»
Cela dit énormément sur la profonde immersion de notre société dans la culture impériale, à tel point que peu nombreux sont les commentateurs qui penseraient – ou oseraient – établir un possible lien entre l’assassinat célébré d’Osama ben Laden et la série de fusillades de masse réalisées aux Etats-Unis.
Il est bien sûr impossible d’établir un lien causal, mais nous devrions au moins étudier le fait que le massacre d’Adam Lanza à l’école primaire de Sandy Hook s’est déroulé quelques mois après la sortie du film sur l’opération contre Ben Laden, publicisée par des affiches omniprésentes célébrant «la plus grande chasse à l’homme de l’histoire». Zero Dark Thrity a été acclamé autant par des conservateurs que par des liberals – tandis que peu on réfléchit sur le fait que le cadavre de Lanza était paré d’un camouflage militaire.
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Quels sont les autres arguments en faveur du contrôle des armes?
Pour beaucoup, le fait qu’il y ait un lien direct entre les taux de violence et la possession d’armes peut sembler une vérité qui s’impose d’elle-même. En réalité, il y a certains pays, tels que la Russie, où l’on trouve moins d’armes qu’aux Etats-Unis mais un plus grand nombre d’homicides ainsi que d’autres où l’on trouve énormément d’armes et peu de violence. La Suisse, par exemple, se situe au quatrième rang mondial quant au nombre d’armes par tête d’habitant et au dixième quant aux homicides.
Un article du Time explique que, à l’instar des Etats-Unis, «la possession d’armes en Suisse est profondément enracinée dans un sens de devoir patriotique et d’identité nationale. Les armes sont conservées à domicile en raison d’une longue croyance que les ennemis pourraient envahir la petite Suisse rapidement, ainsi chaque soldat devait être à même de combattre de son côté jusqu’au point de rassemblement de son régiment.»
Qu’est-ce qui permet, alors, de rendre compte des différents niveaux de violence entre les Etats-Unis et la Suisse? Serait-ce qu’un pays possède une histoire fameuse de neutralité lors de guerres, alors que l’autre préside à un empire global, impliqué dans une succession de guerres sans fin, de coups d’Etat et d’occupations au cours du siècle dernier? Le Time ne pose pas cette question.
La façon dont certains médias tentent d’éviter les questions politiques plus amples lors qu’ils discutent de la violence des armes avoisine le ridicule.
Un tableau récent du Washington Post, par exemple, entend dramatiser les taux bien plus élevés d’homicides par armes aux Etats-Unis que dans d’autres pays [près de 3 pour 100’000, les pays suivants sont la Suisse, la Turquie avec environ 0,8; puis l’Italie, la Belgique, etc.], expliquant en petits caractères que les pays d’Amérique latine ayant des taux similaires étaient exclus en raison qu’ils ont «traditionnellement des taux de meurtres élevés, dus souvent à l’instabilité politique et à la guerre contre la drogue».
Mais, les Etats-Unis ont aussi un taux de meurtres élevé traditionnellement – bien avant que la plupart des Américains possèdent des armes, ils pouvaient confectionner des nœuds [pendaison lors de lynchages] – et une bonne partie de la violence par les armes actuelle est enracinée dans la guerre contre les drogues.
C’est apparemment trop attendre du Washington Post qu’il enregistre certains éléments historiques conduisant à la culture de violence que les Etats-Unis partagent avec l’Amérique latine: la conquête génocidaire de populations indigènes, la violence quotidienne infligée aux esclaves africains pendant des siècles ainsi que l’utilisation régulière de soldats et de forces de sécurité privées pour tirer sur des travailleurs en grève, pour en citer quelques-uns.
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Mettre en question les appels pour un contrôle sur les armes en provenance de personnes telles qu’Obama et Bloomberg ne revient pas à écarter le problème horrible de la violence des armes aux Etats-Unis. Au lieu de cela, il s’agit de prendre cette violence suffisamment au sérieux pour poser les questions réelles de son origine.
L’un des développements les plus positifs en réaction à la tragédie de Charleston est que les gens parlent de l’héritage du racisme dans le Sud et exigent que le drapeau confédéré soit partout enlevé. Les gens comprennent correctement que le Stars and Bars [le drapeau confédéré] est un symbole de la suprématie blanche, soutenu par des millions d’armes, de baïonnettes et de fouets.
Ne faisons toutefois pas en sorte d’oublier qu’avant le massacre commis par Dylann Roof, des milliers d’activistes du mouvement Black Lives Matter appelaient l’attention sur la manière raciste dont les armes étaient utilisées par le gouvernement qui fait flotter un autre drapeau, le Stars and Strips [le drapeau des Etats-Unis], un gouvernement que Martin Luther King a fameusement nommé «le plus grand pourvoyeur de violence dans le monde» [dans l’un de ses meilleurs discours, prononcé en avril 1967 dans l’Eglise de Riverside à New York].
Cela doit être notre point de départ pour comprendre comment nous pouvons combattre «la maladie de l’Amérique». (Traduction A l’Encontre, article publié sur le site SocialistWorker.org le 25 juin 2015).
Source : A l’encontre