La progression des djihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui contrôle désormais une vaste partie de l’Irak, a déclenché un vent de panique à Washington.
La conquête de plusieurs grandes villes et l’hypothèse d’une offensive sur Bagdad ont convaincu l’administration Obama de réagir, même si pour l’instant les plans US demeurent flous. Mais de toute évidence, et ce quel que soit le type d’intervention choisi, la stabilisation de l’Irak n’est pas pour demain.
Une crise qui vient de loin
La progression de l’EIIL ne peut être comprise sans la situer dans l’histoire récente de ce pays dévasté par l’intervention anglo-étatsunienne de 2003, dont l’appareil d’État a été en grande partie démantelé au nom de la traque des fidèles de Saddam Hussein, et dont le Premier ministre Nouri al-Maliki est largement décrié par une grande partie de la population, notamment par la minorité sunnite. Les événements actuels ne sont pas un coup de tonnerre dans un ciel serein, mais une spectaculaire expression de la crise qui mine l’Irak depuis de longues années : l’année 2013 a ainsi été la plus meurtrière depuis 2007, avec près de 8 000 civils et plus de 1 000 membres des forces de sécurité tués.
Les racines de la crise sont profondes. Le régime de Nouri al-Malaki, en poste depuis plus de huit ans, est accusé de corruption, d’autoritarisme, de népotisme et de discrimination à l’égard de la minorité sunnite. À la fin de l’année 2012, plusieurs villes sunnites se sont soulevées pacifiquement contre le pouvoir central, lequel a tenté d’écraser dans le sang le soulèvement. Dans la ville d’Hawija, au cœur de laquelle un sit-in était organisé depuis plusieurs semaines, les troupes de Bagdad ont commis le 23 avril 2013 un véritable massacre : au moins 50 morts et plus d’une centaine de blessés dans une opération qualifiée, bien évidemment, d’« anti-terroriste » par le gouvernement central. Le silence du pouvoir face aux revendications et la violence de la répression ont convaincu nombre d’Irakiens de rejoindre les rangs des factions les plus radicales, au premier rang desquelles l’EIIL, qui a connu un spectaculaire développement après les événements d’Hawija.
Les tergiversations US
C’est précisément parce que cette crise vient de loin que l’administration Obama tergiverse quant à la réponse à y apporter. Le risque est en effet grand de jeter de l’huile sur le feu et de déstabiliser encore un peu plus le pays. Les États-Unis ont consacré plusieurs dizaines de milliards de dollars à la formation et l’équipement de l’armée irakienne, et pourraient renforcer leur aide militaire pour que les forces « régulières » tiennent face à l’EIIL. On évoque également l’envoi de plusieurs centaines de « conseillers militaires » US, voire même le recours à des bombardements « ciblés » sur les troupes djihadistes. Mais chacun sait que ces réponses strictement militaires ne résoudront pas la crise, et auront même tendance à l’approfondir un peu plus.
D’où l’hypothèse iranienne. L’Iran chiite est en effet l’un des principaux soutiens du régime al-Maliki et voit d’un mauvais œil la progression de l’EIIL, en Irak comme en Syrie. Les déclarations de certains officiels iraniens, qui ont affirmé être prêts à coopérer militairement avec les États-Unis pour écraser l’EIIL, en ont surpris plus d’un.
Mais elles s’inscrivent en réalité dans la continuité des pratiques en cours : les États-Unis forment et équipent l’armée irakienne, l’Iran forme et équipe les milices chiites au service d’al-Maliki. Il existe donc déjà une coopération de facto sur le terrain, et les États-Unis qui, sans exclure le recours à la force, semblent aujourd’hui convaincus de la nécessité d’une solution politique, savent parfaitement que l’Iran est incontournable en Irak. La suite des événements pourrait précipiter un rapprochement Iran-États-Unis, qui démontrerait que lorsqu’il s’agit de tenter de stabiliser une région aussi riche en hydrocarbures, le pragmatisme politique l’emporte toujours sur les postures et sur la rhétorique.