Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que Donald Trump commence sa guerre contre les immigré·e·s, les réfugié·e·s et les musulmans dont il avait fait la promesse lors de sa campagne présidentielle.
Vendredi 27 janvier il a signé un ordre exécutif interdisant, entre autres, aux ressortissant·e·s de sept pays dont la population est majoritairement musulmane d’entrer aux Etats-Unis pour au moins 90 jours et suspendant l’admission de tous les réfugié·e·s en provenance de tout pays pour au moins quatre mois [le texte complet de cet ordre a été publié par le New York Times]. [1]
Il n’a pas non plus fallu attendre longtemps pour que plusieurs milliers de personnes lancent un message fort: «No ban, no war, let them in!» [Pas d’interdiction, pas de guerre, laissons-les entrer!]
Elles se sont mobilisées pour des protestations d’urgence appelées en hâte dans les aéroports aux quatre coins du pays, de New York City à San Francisco. Des foules se sont dirigées vers les aéroports le soir même où Trump publia son décret et elles ont continué à manifester au cours de la nuit ainsi que le jour suivant en lançant des slogans tels que: «No hate, no fear, immigrants are welcome here» [Pas de haine, pas de peur, les immigré·e·s sont bienvenus ici!].
L’ordre exécutif signé par Trump, portant le titre Protection de la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis, interdit les ressortissant·e·s d’Iran, d’Irak, de Syrie, du Soudan, du Yémen, de Libye et Somalie – une liste que le gouvernement actuel déclare avoir adopté de l’administration Obama à l’occasion de ses initiatives de «guerre contre la terreur» – d’entrer dans le pays, qu’ils possèdent ou non des visas légaux.
Pour Sahar Algonaimi, une femme de nationalité syrienne voyageant à Chicago afin de visiter sa mère, atteinte de cancer, cette décision a signifié sa détention pendant cinq heures à l’aéroport international O’Hare ainsi que son retour à son domicile en Arabie saoudite, sans avoir pu voir sa famille.
Algonaimi, âgée de 60 ans, détenait un visa ainsi qu’une lettre signée d’un chirurgien destinée aux agents de l’immigration expliquant que sa présence «était nécessaire» aux soins de sa mère, âgée de 76 ans. Cela n’a toutefois pas suffi aux agents de la douane des Etats-Unis. L’ordre signé par Trump vendredi interdit aux réfugiés syriens d’entrer aux Etats-Unis pour une durée indéfinie.
L’une des premières personnes détenues, Hameed Khalid Darweesh, est un interprète irakien qui a servi pendant plus d’une décennie l’armée américaine lors de l’occupation [de l’Irak]. Il était toutefois toujours pris dans les filets de Trump. Citons une autre victime de la décision: Samira Asgari, une scientifique de nationalité iranienne devant venir à la Harvard Medical School afin de travailler à un traitement de la tuberculose [chercheuse ayant travaillé à l’EPFL, en Suisse]. Elle a déclaré dans un tweet: «J’étais très enthousiaste de rejoindre @soumya_boston’s lab mais on m’a refusé l’embarquement en raison de ma nationalité iranienne. Vous sentez-vous plus en sécurité?»
Cette décision survient quelques jours après que Trump a signé un autre ordre exécutif enjoignant au Département de la sécurité intérieure [Department of Homeland Security] de construire un mur à la frontière avec le Mexique ainsi que de raviver d’anciens programmes persécutant les immigré·e·s sans papiers n’ayant commis d’autre crime que de rechercher la sécurité et des conditions d’existence dignes aux Etats-Unis.
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Lorsque les détenteurs de visa déjà dans les avions ont entendu parler de l’ordre de Trump, nombre d’entre eux ont été glacés d’effrois, terrifiés sur ce qui arriverait ensuite. Lorsqu’ils ont atterri aux Etats-Unis, ils ont été plongés dans le chaos et la confusion. Mais ils ont aussi été reçus par des centaines de personnes mues par une volonté de témoigner leur solidarité contre la haine.
A l’aéroport international JFK de New York, où les agents de la sécurité intérieure détenaient 109 personnes, environ 3000 personnes ont bloqué la zone devant le terminal des arrivées internationales.
Rita, une Palestinienne qui enseigne dans une école publique de New York, a raconté une histoire dont un très grand nombre de personnes ont fait l’expérience:
«L’ami d’un de mes proches est sur le point de se marier. Sa fiancée vient de Syrie. Elle a été détenue à l’intérieur [de l’aéroport]. Elle possédait tous les documents nécessaires et venait pour le mariage, mais ils l’ont stoppée. Je trouve cela dégoûtant. Les gens viennent aux Etats-Unis avec un espoir – celui de recommencer leur vie – et c’est une honte que tout semble en train de changer.
J’aime lorsque je vois les gens ensemble. Je suis Palestinienne et j’ai grandi avec des manifestations comme celle-ci. J’en connais l’importance et le changement que cela peut apporter. Parfois, c’est le seul moyen par lequel les gens peuvent se faire entendre.»
La Taxi Workers Alliance a appelé à un boycott d’une heure de la prise en charge des voyageurs à JFK, expliquant dans un communiqué les raisons pour lesquelles les chauffeurs de taxi participent à la protestation:
«Notre syndicat fort de 19’000 membres s’oppose fermement à l’interdiction des musulmans [«Muslim ban»] de Donald Trump. En tant qu’organisation dont les adhérents sont largement musulmans, une force de travail presque entièrement composée d’immigrés ainsi qu’un mouvement de la classe laborieuse enraciné dans la défense des opprimés, nous disons Non à cette interdiction inhumaine et inconstitutionnelle […]
Nous nous tenons en solidarité avec tous nos voisins qui aiment la paix contre cet acte inhumain, cruel et inconstitutionnel de pur fanatisme.»
Jessica Garcia, une enseignante d’anglais comme deuxième langue, a annulé ses projets cette nuit car elle sentait qu’elle devait participer aux manifestations à JFK. «J’aime mes étudiants», a-t-elle déclaré, «ils sont terrorisés à l’idée d’être emmenés et la seule chose que je ne peux cesser de leur dire c’est que cela n’arrivera pas.»
A New York et Seattle, la police a semble-t-il été en mesure d’obtenir la fermeture des transports rapides vers les aéroports lors des manifestations, pour aucune autre raison autre que «les flics en ont décidé ainsi».
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L’aéroport JFK a fait la une des médias nationaux, mais la même chose s’est déroulée dans de nombreuses autres villes.
A Chicago, des milliers de personnes ont déferlé dans les trains de la CTA [Chicago Transit Authority] à destination de l’aéroport international O’Hare et rempli entièrement le parking du terminal international après que l’Arab American Action Network a appelé à une manifestation d’urgence tard dans l’après-midi de samedi. La foule a rempli le terminal et 2000 personnes se sont répandues à l’extérieur, bloquant finalement tout le trafic.
Mayra, une immigrée du Belize [Amérique centrale], portant des panneaux sur lesquels on pouvait lire «Respect et dignité pour tous» et «Pas d’interdiction des musulmans», a déclaré qu’elle était venue parce qu’elle voulait «soutenir mes frères et sœurs qui sont musulmans et qui sont immigrés, parce que je suis aussi une immigrée. Nous sommes absolument convaincues qu’être un immigré est une combinaison de cultures et de peuples, c’est cela qui rend l’Amérique grande.»
A l’aéroport international de San Francisco, plus de 1000 personnes ont participé à une manifestation organisée par une coalition locale, agissant sous le nom de Bay Resistance, comprenant l’Arab Resource and Organizing Center ainsi que l’Alliance of South Asians Taking Action.
Des avocats de l’American Civil Liberties Union (ACLU) et de l’Arab American Legal Services étaient présents pour soutenir ceux qui étaient détenus alors que la foule criait «Faisons sortir les familles! Faisons entrer les avocats!» Les manifestant·e·s portaient des panneaux sur lesquels étaient inscrits: «Pas d’interdiction! Pas de mur!» et «Plus jamais ça», attirant l’attention sur le fait hideux que Trump a décidé d’émettre son interdiction des réfugié·e·s le jour de l’Holocaust Remembrance Day [le 27 janvier étant le jour, en 1945, de la libération du camp d’extermination et de concentration d’Auschwitz].
Il y avait environ 1000 personnes à l’aéroport international Logan de Boston, remplissant l’espace devant les locaux de l’U.S. Customs and Border Protection [l’office des douanes et des gardes-frontière]. Les manifestant·e·s se sont réunis autour d’un «people’s mic» [littéralement un «microphone populaire», où chacun peut prendre la parole] alors que les intervenant·e·s établissaient des rapports entre les guerres des Etats-Unis à l’extérieur et l’islamophobie et la xénophobie à l’intérieur; ainsi qu’avec de nombreuses autres luttes telles que le combat des Indigènes contre le Dakota Access Pipeline.
Un jeune couple venant du Vermont passant par l’aéroport a décidé de rejoindre la manifestation, déclarant: «Nous sommes désormais tous des activistes.» Des politiciens démocrates comme le maire de Boston Marty Walsh et la sénatrice Elizabeth Warren ont également participé (ce qui contraste de manière frappante avec les déclarations de Warren selon lesquelles elle travaillerait avec le gouvernement Trump sur des questions où ils étaient en accord).
A l’aéroport international de Los Angeles, quelque 500 personnes sont venues dans la nuit de samedi et ont défilé à travers le terminal international. Cette manifestation avait été appelée sur Facebook par le Service Employees International Union.
A l’aéroport Dulles, près de Washington, une foule multiraciale de plusieurs centaines de personnes, dont la plupart n’avaient jamais participé à une manifestation, ont scandé des slogans jusqu’aux petites heures, s’engageant à revenir si cela était nécessaire. Environ 300 personnes ont organisé une protestation pendant trois heures au terminal international de l’aéroport de San Diego.
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Après plusieurs heures de manifestations se répandant d’aéroport en aéroport au cours de la soirée de samedi, une bonne nouvelle est tombée: une juge fédérale de New York a annoncé une autorisation de rester pour les détenteurs de visa bloqués dans les centres de détention des aéroports.
L’autorisation était limitée à ceux et celles détenus au cours de cette nuit-là et ce qui arrivera aux futurs réfugiés reste peu clair. La raison qui a amené une juge à agir contre un ordre exécutif présidentiel était toutefois claire: des milliers de personnes ont choisi la solidarité contre la haine et mis leurs idées en action.
Lorsque la nouvelle a été connue, les manifestant·e·s se trouvant encore aux aéroports ont éclaté de joie, le slogan qui a suivi était: «Lorsque nous nous battons, nous pouvons gagner!»
Alors que cet article était rédigé, d’autres manifestations aux aéroports étaient appelées pour dimanche. A New York, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans le centre-ville pour une autre manifestation organisée en hâte contre les crimes haineux du président Trump.
La manifestation était semblable au déluge du week-end précédent lors des marches des femmes: de nombreuses personnes qui marchaient au centre-ville n’avaient jamais manifesté auparavant, mais s’engageaient désormais à faire la démonstration de leur opposition à Trump. Presque toutes les pancartes affichant leur solidarité avec les réfugié·e·s et les immigré·e·s étaient fabriquées par eux.
De même, dimanche une manifestation au Copley Square de Boston a vu la participation de plusieurs milliers de personnes [des manifestations se sont déroulées dans de nombreuses autres villes au cours de la journée de dimanche, souvent avec une participation importante].
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Ces manifestations n’étaient pas les seules de la semaine. Quelques jours plus tôt, après que Trump a signé sa mesure de haine visant à construire le mur sur la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, il y a eu un autre élan de personnes manifestant leur opposition.
A New York, quelque 4000 personnes se sont répandues dans le parc Washington Square jeudi 26 janvier lors d’une manifestation appelée le soir précédent par la section locale du Council on American-Islamic Relations.
Un sentiment d’urgence était palpable. Un grand nombre de participant·e·s n’était jamais venu à une manifestation auparavant, mais ils se sentaient obligés de riposter devant la calamité représentée par la première semaine de Trump comme président.
Faisal, un étudiant du Touro Medical College, a expliqué que lui et ses amis n’avaient jamais le temps de s’organiser [pour protester], mais ce soir, ils ont «manqué ensemble les cours, parce que nous ne pouvons poursuivre nos vies normales alors qu’autant de nos pairs sont menacés».
Maryam Shoubir, une étudiante de l’Université Fordham, a exposé pourquoi elle était furieuse que les immigré·e·s irakiens et yéménites, parmi d’autres, aient encore plus de difficultés à entrer dans le pays. «Trump affirme qu’il faut renvoyer les réfugiés dans leurs pays», a-t-elle dit. «Mais quel pays? Le pays que nous avons ruiné et bombardé? C’est scandaleux!»
Linda Sarsour, la directrice de l’Arab American Association de New York [l’une des quatre coprésidentes de la Women’s March], s’est exprimée sur la participation enthousiasmante de l’historique Women’s March on Washington du 21 janvier. Elle a déclaré à la foule présente:
«Nous devons être très précautionneux, car l’opposition est prête. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que nous aussi sommes prêts. Alors qu’ils sont rassemblés autour de la haine, de la division, du racisme et de la xénophobie, nous sommes unis par la solidarité et l’amour. Oui! Unité!»
Walter Cooper, un activiste du Service Employees International Union 32BJ [syndicat organisant les travailleuses et travailleurs du nettoyage, de la surveillance d’immeuble, etc. dans huit Etats du nord-est des Etats-Unis], a déclaré à la foule:
«Nous sommes un syndicat composé de femmes, d’immigrés et nous sommes un syndicat de musulmans. Nous ferons usage de notre pouvoir collectif dans les jours et les mois à venir pour nous battre pour un avenir meilleur pour toutes nos familles, pour empêcher les déportations et protéger les immigrés, les musulmans et les réfugiés.»
Outre ces intervenant·e·s, un groupe significatif de politiciens démocrates sont entrés en scène, dont plusieurs membres du conseil de la ville, le contrôleur de gestion [comptroller] Scott Stringer et la députée au Congrès Nydia Velázquez.
Au cours de la même soirée, le maire Bill De Blasio a tenu une conférence de presse afin d’annoncer qu’il engagerait des actions judiciaires contre le gouvernement fédéral si des mesures étaient prises afin de couper les fonds fédéraux à la ville de New York en raison de son statut de sanctuaire [plusieurs villes ont déclaré que les fonctionnaires et agents sous leur autorité ne participeraient pas à des mesures contre les immigrés]. «Nous ne déporterons pas des New-Yorkais respectant les lois. Nous ne détruirons pas des familles», a déclaré le maire.
Toutefois, nombreux sont ceux qui dans la foule présente au parc Washington Square savaient que les musulmans et les immigré·e·s étaient déjà confrontés aux persécutions et à la violence raciste dans la ville sous l’administration liberal de De Blasio. Ils savaient aussi qu’une organisation sur le terrain, dans les lieux de travail et les quartiers, sera absolument nécessaire pour protéger tous les New-Yorkais.
Un nombre croissant de personnes commence à se rendre compte que l’on ne peut se fier à la direction du Parti démocrate pour mener cette bataille en notre nom. Nous devons engager de nombreuses autres actions du type de celles de Washington Square et de celles qui ont ébranlé les aéroports de nombreuses villes à travers le pays pour résister à Trump ainsi que demander des comptes à tous les politiciens face aux revendications de justice. (Article publié le 30 janvier sur le site SocialistWorker.org. Sofia Arias, Monique Dols, Danny Katch, Evelyn Kilgallen, Dylan Monahan, Stephanie Navarro, Sheri Pegram, Karla Tobar et Jeremy Tully ont contribué à sa rédaction. Traduction A l’Encontre)
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[1] Dans un tweet daté du 29 janvier 2017, Donald Trump déclare: «Quelqu’un ayant des aptitudes et des convictions devrait racheter le FAKE NEWS et le New York Times en faillite, et soit le faire tourner correctement, soit le laisser tomber avec dignité!» (Réd. A l’Encontre)