Bart De Wever ayant échoué, le roi a désigné Charles Michel comme informateur, puis chargé Charles Michel et Kris Peeters de former un gouvernement de droite homogène au niveau fédéral. Les deux hommes cherchent à former une majorité composée de la NVA, de l’Open VLD, du CD&V et du MR. Conformément aux diktats du FMI, de la Banque centrale européenne et de la Commission, l’approfondissement de l’austérité est à l’ordre du jour. Pas seulement au niveau fédéral mais aussi dans les Régions. Pas seulement en Flandre, mais aussi en Wallonie et à Bruxelles… avec le PS aux manettes. Il ne faut se faire aucune illusion : la social-démocratie n’a pas d’alternative. Comme en 1982-87, elle restera « au balcon », en espérant retrouver dans cinq ans une partie des électeurs qui l’ont quittée pour voter PTB-Gauche d’Ouverture. La lutte tous ensemble pour une alternative est plus que jamais la seule stratégie possible pour le mouvement ouvrier.
Un menu épicé
Le journal pro-patronal L’Echo (9 août) a fait l’inventaire des « gros dossiers » qui seront au coeur du programme de la coalition « suédoise ». Pour rappel, le gouvernement (quel qu’il soit), devra économiser 17 milliards d’Euros sur les cinq années de la législature. C’est la condition sine qua non pour rester dans les clous du traité européen d’austérité budgétaire (le TSCG), que tous les partis ont voté avec le petit doigt sur la couture du pantalon. Le menu pour atteindre l’objectif promet d’être épicé. Qu’on en juge :
- Energie – Michel et Peeters proposeraient de prolonger Doel 4 et Tihange 3, voire même d’accorder dix années de plus à Tihange 1. Cette décision irresponsable sera évidemment emballée dans de belles phrases sur la sécurité d’approvisionnement électrique du pays… Mais la motivation principale est ailleurs, et GDF-Suez se frotte les mains : le 31 juillet dernier, le quotidien français Les Echos faisait savoir que l’arrêt de Doel 3 et Tihange 2 aurait chaque mois un impact négatif de 40 millions d’Euros sur le résultat net du groupe…
- Secteur public – Les deux larrons songent à vendre les bijoux de famille, autrement dit les participations de l’Etat dans certaines entreprises qui ont été publiques (Belgacom par exemple), ou qui ont été sauvées avec l’argent de la collectivité (BNP-Paribas-Fortis). La diminution de la dette servira de prétexte. Ce n’est vraiment qu’un prétexte puisque, aux taux actuels, le rendement des entreprises en question… est supérieur au coût financier de la dette. Le fond de l’affaire est la volonté néolibérale d’élargir le champ d’action du capital.
- Salaires – Le futur gouvernement ne « remettra pas en cause le caractère automatique de l’indexation des salaires« , a assuré Charles Michel. On continuera plutôt dans la voie ouverte par Di Rupo : blocage imposé des salaires, et adaptations de la composition du « panier de la ménagère ». De plus, de nouvelles attaques contre la partie indirecte du salaire sont dans le pipe-line : on évoque une fois de plus des « baisse de charges »… compensées par une hausse de la TVA ou par une « fiscalité écologique ».
- Chômage – Selon l’Echo, Michel et Peeters ne proposeraient pas que les allocations soient limitées dans le temps. Cette revendication figure bien aux programmes de la NVA et de l’Open VLD, mais il ne faut pas trop fâcher les syndicats. Le MOC flamand – qui fait partie du CD&V- a déjà assez de couleuvres à avaler comme ça. Pour accentuer la stigmatisation des chômeurs et des chômeuses, la droite se contenterait ( !) de leur imposer des prestations d’utilité publique, voire une dégressivité accélérée des allocations.
- Fiscalité – outre le transfert d’une partie du « coût du travail » sur la fiscalité indirecte (la plus injuste, rappelons-le), les négociateurs planchent sur la baisse du taux nominal de l’impôt des sociétés. Les libéraux et la NVA demanderaient en outre la suppression de certaines tranches d’imposition. Pour faire bonne mesure, les formateurs songeraient à remonter le seuil du revenu exempté d’impôt, à réorienter une partie de l’enveloppe des intérêts notionnels vers les PME (nouveaux avantages fiscaux à l’investissement), voire à rétablir partiellement une certaine progressivité de l’impôt (NB : cette annonce est contradictoire avec la suppression de certaines tranches, ce qui montre bien l’intention réelle : continuer à favoriser les entreprises et les riches, mais moyennant certaines corrections, pour calmer la population).
- Pensions – L’Echo reste assez évasif sur ce point, mais on sait déjà que ce sera un des dossiers chauds de la rentrée : la « suédoise » voudra poursuivre le travail entamé par le « papillon », donc allonger la carrière effective et s’en prendre aux jours assimilées, sans oublier les sérieuses menaces qui planent sur le régime de pensions du secteur public.
- Santé – La norme de croissance des dépenses en soins de santé avait déjà été limitée par le gouvernement Di Rupo : en 2013, il l’avait fixée à 2%, alors que les dépenses avaient augmenté de 4% au cours des années 2006-2011. L’Echo croit savoir que Michel et Peeters envisagent d’y porter un nouveau coup de rabot.
- Droit de grève – Last but not least, comme disent les Anglais, il serait question d’imposer un service minimum à la SNCB en cas de grève…
Le centre-droit dans la continuité du « centre-centre »
Bref, c’est une nouvelle offensive d’austérité qui se prépare au niveau fédéral. En même temps, le serrage de ceinture continue et s’accentue au niveau des Régions. Le gouvernement flamand présidé par Geert Bourgeois annonce cinq milliards de restrictions sur la législature, en particulier dans le secteur culturel et les subsides aux associations. De quoi tuer la vie associative au Nord du pays ! Les intentions budgétaires des exécutifs wallon et bruxellois ne sont pas encore connues avec précision, mais il n’y a aucune illusion à se faire, car le transfert de compétences dans le cadre de la sixième réforme de l’Etat implique de sérieux « assainissements ». Il est évident que le PS et ses partenaires les assumeront dans le respect de la logique néolibérale.
A la lecture de l’article de L’Echo, on est frappé de constater à quel point les mesures envisagées par les formateurs d’un futur gouvernement de centre-droit sont dans la continuité de celles qui ont été prises par le précédent gouvernement de «centre-centre » (comme Di Rupo le définissait). Certes, il ne s’agit encore que d’une ébauche de programme gouvernemental, mais on a l’impression que les partenaires veulent concilier une stratégie pour frapper fort et une tactique pour éviter d’aller trop vite et trop loin. Ils se gardent bien, par exemple, de retirer le paiement des allocations de chômage aux syndicats, ou de prendre d’autres mesures qui signifieraient un saut qualitatif dans les attaques contre le monde du travail.
Une raison de cette relative prudence est que l’attelage MR-NVA-CD&V-Open VLD est assez fragile. Surtout du côté francophone où, vu le refus du Cdh, la « suédoise » n’aura le soutien que de 20 députés sur 63. Du côté flamand, la droite est évidemment hégémonique et le dossier ARCO donne au Cd&V un argument pour faire avaler la participation gouvernementale avec la NVA à l’ACW et la CSC (1), mais Peeters doit néanmoins éviter de trop mécontenter ses appuis dans le mouvement ouvrier. (On notera en passant que Bart De Wever, en rédigeant sa note comme « informateur », s’était lui-même inscrit dans cette politique, notamment en évitant une remise en cause frontale de l’index : ce détail illustre une fois de plus son habileté tactique, qui contribue à faire de lui un adversaire redoutable du mouvement ouvrier.)
Mais la relative prudence de Michel et de Peeters a une autre explication : en fait, la coalition « papillon » a si bien préparé le terrain que la droite n’a pas besoin d’un tournant à droite brutal, elle peut se contenter d’un approfondissement dans la continuité. C’est clairement le cas, par exemple, en matière de chasse aux chômeurs et chômeuses, où Di Rupo a imposé (1) la dégressivité des allocations de chômage pour toutes les catégories jusqu’à un plancher inférieur au seuil de pauvreté; (2) l’exclusion du chômage pour des milliers de chômeurs le 1/1/ 2015. De ce point de vue, la situation diffère de celle qu’on a vécue en 1982, lorsque le gouvernement Martens-Gol avait recouru aux pouvoirs spéciaux pour imposer trois sauts d’index et toute une série d’autres mesures de régression sociale.
Retour de la tactique du « balcon »
Cependant, la situation actuelle rappelle celle d’il y a trente ans par un autre aspect : la politique de la social-démocratie. De 1982 à 1986, alors que le pays était agité par une importante vague de luttes et de grèves, le PS et le Sp.a sont restés « au balcon » (l’expression est de Guy Spitaels, président du PS à l’époque). Ils misaient sur le fait que, une fois le sale boulot réalisé par la droite, l’électorat populaire donnerait à la social-démocratie une victoire telle qu’elle pourrait revenir au pouvoir. Ce calcul cynique s’est avéré exact, et c’est très clairement ce précédent qui inspire aujourd’hui Di Rupo, Magnette et Cie: ils espèrent que les attaques de la droite agiront comme une punition qui convaincra les électeurs de gauche de revenir au bercail social-démocrate du « moindre mal », vidant ainsi le bocal du PTB-GO.
La gauche aussi doit tirer les leçons de ce passé pas si lointain. En 1993, le gouvernement à participation socialiste lançait le « Plan global ». Les syndicats en front commun ripostèrent par une grève de 24h d’une massivité sans aucun précédent dans l’histoire sociale de notre pays. Malheureusement, le mouvement resta sans lendemain. Les directions syndicales ne voulurent pas mettre en danger leurs « amis politiques » au gouvernement, de sorte que le Plan global fut appliqué intégralement. Cette défaite cuisante allait créer les conditions des attaques ultérieures (le Pacte des générations, notamment)… et du maintien de la social-démocratie au pouvoir jusqu’à aujourd’hui, dans des coalitions de plus en plus ouvertement néolibérales.
Demain, à la rentrée, il sera très vite clair qu’il faudra une fois de plus se battre, et le faire dans l’unité la plus large. Mais pour que cette lutte aille jusqu’au bout, pour qu’elle ne s’arrête pas par peur du vide, il faudra deux choses, qui sont liées : 1°) un programme de réformes anticapitalistes cohérent et 2°) une réponse politique permettant de mettre en perspective un gouvernement aussi fidèle au monde du travail que ceux qu’on a connu depuis trente ans ont été fidèles aux patrons.
Une partie de la gauche syndicale a d’ores et déjà compris cette double nécessité. C’est ce dont témoignent les deux brochures diffusées par la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut, suite à son « appel du premier mai 2012 » (2). Le succès des listes PTB-GO est un premier pas, franchi avec succès grâce notamment à l’investissement de la gauche syndicale. Tout la situation encourage à poursuivre ce combat, en articulant luttes sociales et politiques dans l’intérêt de tou-te-s les travailleur-euse-s. Dans les semaines qui viennent, la LCR s’emploiera à en convaincre les autres composantes de la gauche, en priorité ses partenaires au sein de la Gauche d’Ouverture. Car, ainsi que nous l’écrivions en conclusion d’un précédent article : « La question ‘comment élargir la brèche politique ouverte le 25 mai ? » (et on pourrait même dire: comment empêcher que le PS la referme?) se ramène en fin de compte à cette autre : « comment élargir la gauche syndicale?’» (3).
- Le CD&V se pose en garant de la garantie accordée aux actionnaires d’ARCO, la banque du Mouvement Ouvrier Chrétien emportée dans la tourmente DEXIA. Notamment face à la Commission Européenne, qui dénonce ces garanties comme « distorsion de la concurrence ».
- « Huit questions sur l’indépendance syndicale et la politique » et « 10 objectifs d’un programme anticapitaliste d’urgence ». A télécharger ici http://www.lcr-lagauche.org/category/nos-blogs/debat-syndical/
- http://www.lcr-lagauche.org/repli-regional-ou-fausse-sortie-le-mouvement-syndical-face-a-la-manoeuvre-du-ps/