Un proverbe chinois contemporain dit:
«Il y a plus pauvre qu’un pauvre: c’est la femme du pauvre!»
Au Centre et à l’Est les grandes sociétés (banques, assurances) et les institutions européennes, au Nord et à l’Ouest les quartiers pauvres : capitale de l’Europe, de la Belgique et de la Flandre, Bruxelles est aussi la capitale des inégalités sociales. C’est ce qui se dégage du Rapport social sur la pauvreté à Bruxelles publié en 2014 par l’Observatoire de la santé et du social.
Globalement 32% des Bruxellois vivent sous le seuil de pauvreté
Les conclusions de ce rapport sont implacables, En région bruxelloise, le taux de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale se situe autour de 41,2%. Environ un tiers des Bruxellois vit avec un revenu en dessous du seuil de pauvreté. Et encore ! Ces statistiques ne tiennent pas compte des sans-papiers.
Sur le plan démographique, les femmes représentent 51% de la population bruxelloise, mais à partir de 55 ans, elles représentent la majorité de leur tranche d’âge. À partir de 75ans, 60% des personnes habitant Bruxelles sont des femmes. Mais si elles vivent en moyenne plus longtemps que les hommes, ces femmes ne vivent pas pour autant en bonne santé. À l’avenir bon nombre de femmes âgées, pensionnées ou vivant d’une allocation, connaîtra la pauvreté.
Se loger à Bruxelles
La majorité des logements mis en location à Bruxelles appartiennent au secteur privé. Le montant élevé des loyers continue d’augmenter et contribue à la précarisation car il y a souvent disproportion entre les revenus des locataires et les prix des loyers. De 2004 à 2013, le loyer moyen a augmenté de 20%, hors inflation. Et la croissance rapide de la population (150.000 habitants de plus depuis 2003) n’arrange rien. Certains locataires sont obligés de déménager vers un logement moins cher, plus petit et parfois dégradé, avec comme conséquences la sur-occupation et les tensions, surtout quand il y a plusieurs enfants. Mais les obstacles au déménagement deviennent vite insurmontables : coût du déménagement, garantie locative de trois mois à constituer, frais d’ouverture et de fermeture des compteurs…
La situation est encore plus dramatique pour les femmes seules avec enfants car la plus grande partie de leur revenu passe dans le loyer. Les familles monoparentales représentent 47,5% des ménages à Bruxelles, contre 34% dans l’ensemble du pays. Et, dans 86,6% des cas, ces familles monoparentales bruxelloises concernent des femmes. Pour beaucoup, le loyer, sans les charges, représente entre 50 et 80% du budget. On trouve ainsi dans la capitale de l’Europe au 21e siècle des situations qui font penser à ce que décrivait Charles Dickens à Londres au 19e siècle.
Travail, chômage et sanctions Onem
La pauvreté des femmes est due en grande partie à leur position sur le marché du travail. Parmi les 15-64 ans le taux d’activité (salariée ou indépendante) des femmes est de 58,4 % alors qu’il est de 71,9 % chez les hommes. L’inactivité des femmes sur le marché du travail est fortement liée à la présence d’enfants et au fait que les femmes restent majoritairement en charge des tâches domestiques. La pénurie de crèches à un prix abordable constitue un obstacle majeur à l’emploi, surtout si cet emploi est mal payé. Et les emplois peu qualifiés proposés aux femmes sont non seulement sous-payés, mais souvent flexibles et avec des horaires atypiques (ex: dans le secteur du nettoyage) difficilement compatibles avec les soins à apporter aux jeunes enfants.
La présence d’enfants implique souvent des ruptures dans les trajectoires professionnelles des femmes (congé de maternité, congé parental, temps partiel, déclassement professionnel involontaire). Alors que les Bruxelloises sont minoritaires par rapport aux hommes sur le marché de l’emploi, 68,8% des emplois à temps partiel à Bruxelles sont occupés par des femmes. Dans la plupart des cas, l’emploi à temps partiel est rarement choisi. Il résulte de contraintes liées au marché du travail et à l’absence de services de soins disponibles pour les enfants et pour les personnes âgées dépendantes. À cela s’ajoutent les inégalités de salaires entre femmes et homme. En 2011, le salaire moyen des personnes travaillant à temps plein à Bruxelles était de 2.995€ pour les femmes et de 3.258€ pour les hommes.
Si les hommes sont souvent plus sanctionnés que les femmes par l’Onem, les statistiques montrent que la part des sanctionné(e)s ayant le statut de chef de famille est plus importante chez les femmes que chez les hommes, Dans ce cas, c’est toute une famille, y compris les enfants, qui bascule dans la pauvreté, La seule issue dans ce cas-là est de se tourner vers le CPAS pour obtenir le RIS (revenu d’intégration sociale, ex « minimex ») et ensuite pouvoir espérer de décrocher un contrat Article 60 qui permettra, après un certain temps de retrouver une allocation de chômage rabotée puisque calculée sur base de la rémunération d’un contrat Article 60. Les imprévus biographiques (décès, séparation,…) ou administratifs (sanction) constituent alors une catastrophe sur le plan financier. D’autant plus que les personnes en situation de précarité disposent souvent de moins d’informations sur leurs droits et sur les procédures à effectuer.
L’extrême précarité des femmes sans emploi ayant charge de famille les pousse à accepter du travail au noir (retouches de pantalons, repassage, femme de ménage, garde d’enfant serveuse) mais même dans le secteur informel l’accès au travail est plus difficile pour les personnes victimes de discriminations (racisme, âge, foulard,…).
Allocations familiales
La plupart des femmes perçoivent directement le montant des allocations familiales, mais ce n’est pas toujours le cas. Le fait de pouvoir disposer de ce montant dépend directement de la détention ou non d’un compte bancaire et de la négociation au sein du couple. Le montant des allocations sociales se base généralement sur l’hypothèse d’un partage équitable des ressources au sein du ménage. Mais tous les cas de figure sont possible au sein d’un couple et il existe encore bien des situations où la femme est en situation de dépendance financière, totale ou partielle, vis-à-vis de son cohabitant. Dans certains cas, la dépendance financière peut être associée à des formes de maltraitance notamment sous la forme d’un manque de considération à l’égard de la femme. Et en cas de violences conjugales une femme sera d’autant plus subordonnée à cette situation que sa dépendance financière est importante.
Depuis 2005, les allocations sociales sont en principe adaptées à l’évolution générale du bien-être, mais un tel mécanisme n’existe pas pour les allocations familiales. Or ces dernières constituent une source importante de revenus pour les femmes en charge d’une famille monoparentale.
RIS, Grapa et suppression de la pension de survie
En principe, des revenus de remplacement sont prévus pour les personnes qui ne peuvent pas ou plus travailler (chômage, maladie, invalidité, pension). Pour percevoir ces revenus de remplacement il faut en général avoir cotisé suffisamment à la sécurité sociale. Les personnes qui n’ont pas droit (ou plus droit) aux allocations sociales peuvent dans certaines conditions recevoir du CPAS un revenu d’intégration sociale ou, pour les personnes de plus de 65 ans qui ne disposent pas de moyens suffisants, une allocation d’aide financière dénommée Grapa (Garantie de Revenu pour Personnes Âgées) versée par l’Office National des Pensions.
Avec l’âge, les risques de pauvreté augmentent…Et les femmes vivent plus longtemps ! En 2013 la Région Bruxelloise comptait 9.351 femmes qui bénéficiaient de la Grapa (1.011,70€ par mois) et 5,854 hommes. Cette large majorité féminine s’explique par l’espérance de vie plus longue des femmes mais aussi par le fait que les femmes ont acquis moins de droits à la pension en raison de leur carrière plus précaire.
Le gouvernement Michel a supprimé la pension de survie à partir du 1er janvier 2015 pour le conjoint survivant âgé de moins de 45 ans (l’âge sera progressivement relevé jusque 55 ans en 2030). C’est une mesure sournoise dont presque personne ne parle. Pour rappel, la pension de survie permettait au conjoint survivant de toucher une pension calculée sur base de la carrière de salarié de son conjoint décédé, Jusque 1984 seules les veuves pouvaient recevoir une pension de survie. Après 1984 cette mesure a été élargie aux veufs.
Les personnes ainsi exclues du bénéfice de la pension de survie seront le plus souvent des veuves d’un conjoint plus âgé et qui n’ont pas d’activité professionnelle car elles ont plusieurs enfants à charge. Elles percevront une allocation de transition pendant 12 mois (24 mois si enfants à charges). De transition vers quoi? Très probablement vers la misère car après cela elles n’auront pas d’autre choix que se tourner vers le CPAS.
Article publié dans La Gauche #74, octobre-novembre 2015.