Lors du magnifique hommage rendu à François Vercammen le 3 juillet à La Tentation, j’ai terminé ma prise de parole (voir ailleurs sur ce site) par quelques souvenirs plus personnels. Je les retranscris ici. D.T.
Lorsque j’étais jeune militant, François était pour moi un modèle et j’ai bêtement copié une série de ses habitudes. J’ai adopté ces petits agendas -tellement minuscules qu’on ne peut rien y écrire- et ces excellents carnets de note entoilés – que j’utilise toujours et sur la couverture desquels je continue à inscrire mes initiales, au-dessus à droite, comme François le faisait. J’ai ainsi gardé de François quelques petites manies qui me le rappellent au quotidien.
Pourtant, François n’était pas mon ami à cette époque. Je le trouvais trop tranchant, trop polémique. Il l’était. Je l’étais aussi, et nous l’étions presque tous, mais c’est une autre histoire et ce n’est pas une excuse.
Nous ne sommes devenus amis, amis intimes, qu’une vingtaine d’années plus tard. Comme nous avions toujours été attirés l’un par l’autre, nous avons plaisanté sur le fait que nous n’avions jamais fait notre « coming out » – mais nous ne l’avons pas fait.
Seule la vérité est révolutionnaire et seul le tout est vrai. Je crois donc nécessaire de dire ici que c’est une désillusion partagée qui nous a rapprochés.
Je ne parle pas de la petite désillusion dont les effets s’évaporent plus ou moins rapidement avec le temps. Pas non plus de la désillusion totale, qui vous fait brûler ce que vous avez adoré et adorer ce que vous avez brûlé. Cette désillusion-là, une fois que la veste est retournée, elle n’est pas douloureuse, elle semble même plutôt confortable.
Je parle de la désillusion qui fait mal parce que vous savez qu’elle ne vous quittera pas et qu’il faudra vivre avec. La désillusion/désenchantement qui est, en fait, une prise de conscience de l’évidence : ce que nous méprisons dans la société bourgeoise, dans la politique bourgeoise – les petites lâchetés, les petits calculs, l’ambition personnelle, le copinage, le mensonge – existent aussi là où on les attend le moins et peuvent même s’y imposer.
C’est en effet une évidence, surtout pour des « trotskistes ». Mais il est des évidences qui ne prennent toute leur densité qu’à la faveur de l’expérience vécue.
François et moi avons vécu une expérience de ce genre dans la deuxième moitié des années ’90, et François en a vécu une autre au début des années 2000. Ce choc fut assez rapidement masqué par la maladie, mais les proches de François savent que ce fut pour lui une épreuve absolument majeure, un ébranlement tout à fait fondamental.
Pourtant, tout ébranlé qu’il fut, François ne songea jamais à la démission. Au contraire, c’est lui qui me retint. Il me cita Trotsky – « right or wrong, my party » et me convainquit du fait qu’il n’y a d’autre choix que de continuer la lutte, qu’il n’y a tout simplement pas d’alternative.
Il n’y avait pas d’alternative en tout cas pour François. Tout jeune, il avait croisé la route d’une belle personne qu’on appelle « Révolution permanente » et, comme chante le poète, il avait décidé de la suivre jusqu’au bout. Jusqu’au bout.