Mélenchon a-t-il pété les plombs ? Comment expliquer la dénonciation quasi-systématique de la politique d’austérité du gouvernement Hollande-Ayrault et sa proposition de devenir Premier ministre du même Hollande ? Comment en même temps exiger un «grand coup de balai », une VIeRépublique, et se mouler dans les habits d’un Premier ministre de Hollande président de la Ve République ?
Dans ses diverses interventions, Mélenchon nous donne une première réponse : « Le Front de gauche est dans la majorité actuelle. Hollande a déplacé le curseur vers la droite, vers les « Solfériniens ». Je veux qu’on change le centre de gravité et qu’on applique une autre politique. » Ce ne serait qu’une question de position du curseur. Comment se réclamer d’une majorité qui, vote après vote, à l’exception de la loi pour le mariage pour tous, fait une politique d’austérité au service du patronat, et tourne le dos aux intérêts de classes populaires ? N’y a-t- il pas là une contradiction ?
Mélenchon en rajoute une couche : il revendique maintenant le poste de Premier ministre de Hollande et de sa majorité parlementaire. Alors, bien sûr il nous dit « C’est pour appliquer ma politique »… Mais, croit-il, surtout dans le cadre des institutions de la VeRépublique, que le Premier ministre d’un président et d’une chambre dominée par le Parti socialiste, appliquera une autre politique que celle du parti dominant ? Il y aura, au mieux, une cohabitation où le président et sa majorité social-libérale auront le dernier mot ou, au pire, une politique de conciliation qui fera endosser au Front de gauche les mauvais coups contre les classes populaires. La posture de Mélenchon comme potentiel Premier ministre est hasardeuse. Elle fait sourire, mais elle traduit bien ses propres contradictions.
Proclamations ou ruptures ?
La brutalité des politiques d’austérité social-libérales le conduisent à s’opposer au gouvernement. « Nous avons été maltraités » dit-il, ce qui permet de possibles convergences, comme à l’occasion de la manifestation du 5 mai. Mais dans le même temps, Mélenchon ne se résout pas à rompre les liens existants avec le PS. Il répète qu’ils sont dans la « même majorité » et veut « être leur Premier ministre », ne revendiquant pas clairement la nécessité de construire une opposition de gauche au gouvernement. De même, comment expliquer que l’on veut une VIe République tout en voulant être le Premier ministre d’une Ve République dominée par la toute-puissance du président ? Ce double discours ne peut que relativiser la portée des proclamations pour une VIeRépublique, qui devient alors un simple changement de numéro, avec quelques modifications constitutionnelles limitées (le Front de gauche ne remet pas en cause l’élection d’un président de la République) plutôt qu’une véritable rupture démocratique.
Nous savons ce que Mélenchon opposera à nos critiques : le NPA ignore les questions de pouvoir et la nécessité d’une alternative politique, alors que lui y est candidat. Et effectivement, c’est là que nos vues divergent. Bien entendu, la gauche anticapitaliste doit développer une alternative, un programme d’urgence sociale et démocratique qui mobilise pour amorcer une rupture avec le système capitaliste, avec la perspective d’un gouvernement anti-austérité au service des travailleurs et de la population. Mais au nom d’une obsession pour le pouvoir, on ne peut pas faire n’importe quelle politique.
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 193 (01/05/13).