Cet article et ceux qui l’accompagnent [1] font le point sur la réalité des gaz de schiste, la fracturation hydraulique, l’impossibilité d’une réelle maîtrise de leur exploitation. Au delà de ces conséquences, notre opposition est indissociable du combat pour le climat qui exige de laisser sous terre l’essentiel des énergies fossiles.
Président de Halliburton puis vice-président des États-Unis, Dick Cheney est l’instigateur du tournant des gaz de schistes (GdS) : en 2005, le « Energy Policy Act » exempte les fluides utilisés dans la fracturation hydraulique des dispositions sur l’eau potable, la qualité de l’air et la qualité de l’eau et subventionne largement cette industrie.
Les USA relancent alors leur industrie chimique et sont désormais le premier producteur de gaz naturel, devant la Russie. Les foreurs partent à la recherche de licences d’exploitation, en profitant des vides juridiques des États.
Sur tous les continents
Au Canada, la Colombie britannique a vendu des terrains à 4 000 dollars l’hectare pour faire taire les opposants, mais au Québec, les permis achetés pour une bouchée de pain et exploités sans concertation ont provoqué le soulèvement de la population et l’obtention d’un moratoire.
La Chine, très dépendante du charbon, a évalué entre 30 % et 40 % la hausse de ses besoins d’énergie d’ici 2020 ; 1 % de ces besoins seraient, à cette date, couverts par le GdS, considéré « vert ». L’Inde, après un accord avec les USA pour des « énergie propres » a commencé des forages en 2011. En Australie, Total a acheté des licences pour exploiter les GdS.
L’Argentine, troisième ressource mondiale, a vendu des concessions à Chevron. Mais les fortes résistances des populations ont déjà poussé quinze gouvernements locaux à interdire la fracturation hydraulique. En Afrique, l’Algérie est intéressée, mais ses ressources en eau diminueraient à partir de 2020. L’Afrique du Sud a décidé un moratoire suite aux mobilisations.
En Europe, la baisse des gisements de gaz en mer du Nord, son principal pourvoyeur d’énergie, incite le Royaume-Uni à exploiter les GdS, avec des avantages fiscaux aux compagnies. Après un premier essai stoppé à cause de séismes à Blackpool, Cuadrilla Ressources a repris des forages dans le Sussex, à nouveau arrêtés suite aux mobilisations.
En Pologne, Lituanie, Hongrie, Ukraine, Bulgarie (loi d’interdiction comme en France) et Roumanie, se mène une guerre froide du gaz pour l’indépendance énergétique vis à vis de la Russie. Les accords avec les États-Unis et les concessions accordées se heurtent ici aussi aux populations. La Turquie, où un pipeline relierait directement le Moyen-Orient et l’Europe, se lance aussi dans les GdS. Le Danemark pour pallier le déclin des gisements de mer du Nord, l’Irlande, l’Autriche et les Pays-Bas s’ouvrent à l’exploration. En Allemagne, SPD et CDU ont entériné le moratoire, mais le charbon produit 45 % de l’électricité et l’extension de l’énorme mine de charbon à ciel ouvert de Garzweiler est réalisée.
Un marché non régulé
D’autres ressources fossiles, censées compenser le déclin inéluctable du pétrole et du gaz conventionnels, sont aussi exploitées : sables bitumineux, huiles lourdes, gaz de houille, et même hydrates de méthane pris dans le permafrost ou au fond des océans…
Le marché des énergies fossiles n’est pas régulé au niveau mondial. Les pays producteurs de GdS ne peuvent varier leur production à la demande et se substituer aux pays du Golfe dans la géopolitique mondiale. Malgré la baisse des prix du gaz aux USA, la tendance mondiale est à la hausse. Les USA exportent leur charbon à bas prix. En Europe, plusieurs compagnies, dont GDF-Suez, ont décidé de manière coordonnée de sous-employer, voire fermer des usines à gaz, avec le risque assumé d’une pénurie préjudiciable aux populations lors des pics de consommation.
L’UE débat d’une directive qui, en mars 2014, viserait à « sécuriser les contrats ». La négociation sur le Traité transatlantique comporte les mêmes enjeux. Il est temps d’arrêter la course folle aux ressources fossiles et de diminuer la consommation d’énergie. La pression des lobbys renvoie aux reculs des gouvernements pour engager la transition écologique indispensable. La mobilisation internationale « No Fracking Day » (journée anti-fracturation) du 19 octobre aura contribué à cette prise de conscience et à la poursuite des mobilisations dans le monde.
Bibliographie
Marine Jobert et François Veillerette, Le vrai scandale des gaz de schiste, Editions Les liens qui libèrent, 2011, 240 pages, 18 €.
Thomas Porcher, Le mirage du gaz de schiste, Paris, Max Milo Editions, 2013, 64 pages, 4,90 €.
[1] Les auteurs du dossier de la Revue L’Anticapitaliste n°50 (janvier 2014) sont membres de la Commission nationale écologie (CNE) du NPA : contact-cne@npa2009.org
* Paru dans Revue L’Anticapitaliste n°50 (janvier 2014). http://npa2009.org/