« La formation du gouvernement Di Rupo a démarré comme un conte de Perrault. Le Premier ministre rêva de sauver la Belgique du séparatisme flamand en sacrifiant…sa population. Pour faire bon ordre, il commença par les plus faibles : chômeurs, producteurs sans salaires, les femmes et les plus jeunes d’abord. Vint le tour des travailleurs âges. Puis ce fut le blocage des salaires, la manipulation de l’index, l’asphyxie des services publics. Et ceci n’était qu’un début, il continue les dégâts » (1).
Blocage bétonné et démantèlement de la concertation sociale
Un avant-projet de loi est sur la table du gouvernement. Il concerne la révision de la loi de 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. Pour préserver la compétitivité des entreprises belges, la loi de 1996 stipulait que la norme maximale d’augmentation des salaires devait tenir compte de l’évolution future des salaires dans les trois pays voisins de la Belgique : l’Allemagne, la France, les Pays-Bas. L’objectif déclaré était le rattrapage du « handicap » salarial que la Belgique aurait avec ses voisins. C’est ainsi que, par la suite, les accords interprofessionnels, conclus entre patrons et syndicats, ont prévu la fixation de marges maximales de hausse de salaire. Mais ces marges étaient dépassées dans des secteurs où le rapport de force le permettait. Et la loi s’en tenait à une invitation aux interlocuteurs sociaux à tenir compte de la norme. N’empêche, c’est une loi de soutien inconditionnel au patronat et dissuasive pour les revendications salariales.
L’avant-projet de loi, déposé par la ministre de l’Emploi, Monica De Coninck, va bien plus loin encore. S’il passe, la marge maximale pour l’évolution du coût salarial sera dorénavant fixée par arrêté royal, ce qui lui confèrera une base légale indiscutable.
Les entreprises qui, eu égard à leurs milliards de profits, voudraient se montrer quelque peu généreuses, en dépassant la marge fixée par le gouvernement, seront tout simplement sanctionnées, avec une amende pénale de 100 à 1 000 euros, multipliée par le nombre de travailleurs concernés.
Les employeurs « modèles », ceux qui appliqueront la norme fixée par le gouvernement, se verront récompensés par « un bonus de compétitivité » : ils pourront bénéficier d’une réduction de cotisation sociale, prélevée dans un « Fonds pour le renforcement de l’emploi et de la compétitivité avec une enveloppe totale de 600 millions d’euros (de réduction de charges) dès 2015 et de 1,2 milliard à partir de 2017.
C’est que le gouvernement Di Rupo, qui a décidé d’autorité le gel des salaires déjà pour 2013-2014, pourrait très bien acter la proposition contenue dans l’avant-projet de loi : « Par ce projet, l’ambition du gouvernement est donc de supprimer l’écart salarial réel, constitué depuis 1996, d’ici 2018 », c’est-à-dire sur une période de trois accords interprofessionnels. Et comme l’avant-projet de loi s’en réfère au chiffre de 5,2%, donné par le Conseil central de l’économie pour fixer le handicap salarial actuel de la Belgique par rapport aux trois pays voisins, on peut en conclure que ce projet, s’il passe, bétonnera dans la nouvelle loi le gel des salaires jusque fin décembre 2018.
Des actionnaires heureux avec un gouvernement à leurs bottes !
Le calcul du coût salarial et l’écart par rapport aux pays voisons, parlons-en !
Dans son périodique Syndicats du 15 février 2013, la FGTB remettait les pendules à l’heure : « Le coût salarial par unité produite dans l’industrie (donc en tenant compte de la productivité, et non les salaires bruts sur lesquels se basent les beaux rapports scientifiques, ndlr !) est inférieur en Belgique (0,67 euros) à la France (0,74 euros) ou l’Allemagne (0,75 euros) ».
« Il faut noter que le concept de compétitivité salariale retenu dans la Loi belge est particulier, puisqu’il se fonde sur l’indicateur « salaire horaire » – sans prise en compte de la productivité du travail- et non sur celui habituel et plus cohérent de coût salarial unitaire (corrigé pour la productivité du travail) » (2).
Allons à l’essentiel, en citant encore Réginald Savage : Tant que les courants sociaux-démocrates et sociaux –libéraux continueront de croire et de proclamer en cœur dans un bel unanimisme que c’est le coût du travail et/ou la « taxation supposée excessive » de ce dernier qui est le problème et non le coût usurier de la ponction actionnariale et la gestion myope, court-termiste et écologiquement prédatrice que celle-ci impose, il n’y aura pas de sortie progressiste et « par le haut » de la crise du capitalisme financier ».
« La baisse de la part salariale a bénéficié aux actionnaires et non à la compétitivité-prix ou à l’investissement productif domestique», souligne encore R. Savage ; «les surplus non réinvestis dans la sphère productive interne ou domestique se sont ainsi soit déversés dans la sphère financière, soit investis dans le développement de capacités de production concurrentes à l’étranger… ».
« Le discours du gouvernement sur la compétitivité, c’est de l’arnaque », déclarait récemment Daniel Richard, le secrétaire régional de la FGT B de Verviers. Il savait de quoi il parlait. La FGTB de Verviers et Communauté germanique a examiné les comptes publiés par 88 entreprises verviétoises auprès de la banque nationale : chiffre d’affaires, capital, bénéfices, dividendes…, sur la période 2005-2011.
« On peut constater, souligne Daniel Richard, que les bénéfices ont enregistré une augmentation et ils ont été pompés à 60% par les actionnaires en tant que dividendes, avec une rémunération du capital investi de 13% à 14%. C’est autre chose que les carnets d’épargne à 2% ou 3% ! ». Quant à l’emploi ou l’investissement productif, « ça ne suit pas de manière significative », constate encore, avec une touche d’humour, le permanent syndical qui conclut : « le gouvernement a choisi le camp des actionnaires, à qui il ne demande pas d’efforts, pas celui des travailleurs » (3).
La grève générale doit être notre réponse
Tony Demonte, le secrétaire général adjoint de la CNE (CSC), a lancé un avertissement : « Si ce « projet » de loi devait faire l’objet d’un accord gouvernemental, ce serait une déclaration de guerre faite aux travailleurs (…). Outre l’injustice faite aux travailleurs, il y a aussi derrière ça une volonté de casser les syndicats. Car un syndicat qui ne pourrait pas négocier l’amélioration des salaires et des conditions de travail serait comme un boulanger qui ne pourrait plus fabriquer de pain… ».
Alors, qu’attendent les travailleurs des secteurs forts, où les dividendes ont explosé au détriment des salaires, pour briser le gel des salaires décrété par un gouvernement qui laisse une liberté totale de s’envoler aux revenus, dividendes, bonus … Qu’attend le mouvement syndical pour ouvrir la brèche dans laquelle pourrait s’engouffrer un large mouvement de travailleurs en colère contre ce gouvernement qui fait de plus en plus allégeance au patronat.
La manifestation nationale, en front commun syndical, le 6 juin prochain à Bruxelles, peut et doit être l’occasion de l’expression massive de cette légitime colère.
Une attaque sans précédent sur les chômeur/euse/s, avec la dégressivité et/ou la suppression des allocations de chômage, le gel actuel des salaires, un avant-projet de loi qu’on ne peut laisser passer, le prochain exercice budgétaire de cet été qui aggravera encore un peu plus les conditions de vie de la grande majorité de la population….
« L’heure est à la riposte », écrit Nico Cué dans Syndicats. « Elle doit être à la hauteur des agressions. On nous endort, on nous balade : la grève générale doit être notre réponse ».
(1) Nico Cué, secrétaire général de la MWB, Syndicats du 17 mai 2013
(2) Réginald Savage et Michel Husson, Salaire et compétitivité, pour un vrai débat, Couleur Livre, 2013, p.33.
(3) Le journal Le Jour, Verviers du 27/11/2012.