En remportant triomphalement le poste de chef du Labour Party (Parti travailliste), Jeremy Corbyn a fait du 12 septembre 2015 un véritable événement.
Tant le score qu’il a obtenu (1), que les milliers de gens actifs dans sa campagne, en particulier les jeunes, ont été extraordinaires.
Sa manière de débattre et les sujets qu’il a su imposer dans la discussion ont commencé à réorganiser la politique et à déplacer le cursus vers la gauche déjà en été. Et cette dynamique s’est poursuivie. Le phénomène Corbyn a déjà poussé à gauche le discours politique et a mis à l’ordre du jour les vraies questions.
L’idée conservatrice qu’il n’y a pas d’alternative à l’austérité – reprise par un bon nombre de travaillistes ou répétée par eux de manière un peu moins brutale – est maintenant au centre de la contestation. Comme l’a formulé fermement John McDonnell, chancelier de l’Échiquier du shadow cabinet) l’austérité est un choix politique visant à rendre les pauvres encore plus pauvres et enrichir encore plus les riches.
Les résultats de cela sont déjà apparents. Le Parti travailliste a doublé le nombre de ses membres et il est maintenant plus grand que tous les autres partis réunis. Et ses membres deviennent actifs, ce qui n’était plus le cas auparavant, du moins depuis de nombreuses années.
Corbyn continue à être à l’écoute, par exemple en demandant aux gens ce qu’ils veulent qu’il mette en avant lors des débats parlementaires avec le Premier ministre. L’équipe de Corbyn donne la parole aux militants sans voix, à ceux qui cherchent un logement abordable et à ceux concernés par bien d’autres questions. L’idée que tous les politiciens se valent est ainsi mise en question par cette manière de faire de la politique autrement.
La droite au sein du Parti travailliste a perdu. Même si elle n’est pas désintégrée, elle ne peut pas s’opposer au fait que Corbyn a déclaré que le Labour Party est un parti anti-austérité.
Elle cherche toutes les occasions pour nuire à Corbyn. La première occasion de s’opposer à Corbyn pourrait se présenter après les élections en mai prochain – élections locales dans la majeure partie de la Grande-Bretagne, mais aussi les élections du Parlement écossais, de l’Assemblée galloise et celle du maire de Londres. Si les résultats du Parti travailliste sont mauvais, il y aura des tentatives pour rendre Corbyn responsable.
Mais même cela n’est pas certain. Le Labour aura du mal à faire moins bien en Écosse que ce qu’il a fait en mai dernier – il pourrait même faire mieux si Corbyn prend personnellement une distance avec l’idéologie unioniste qui a tant coûté alors au Parti travailliste écossais. Il améliorerait ses perspectives dans toute la Grande-Bretagne s’il préconisait un système proportionnel pour toutes les élections. Il pourrait également se servir de la mobilisation à l’occasion de la COP21 à Paris pour démontrer que le calendrier des conservateurs contribue aux ravages du changement climatique au lieu de les atténuer.
À travers la Grande-Bretagne, il est clair que le succès de Corbyn va mobiliser plus d’énergies et plus d’engagement militant du Parti travailliste lors des élections de mai prochain qu’au cours des décennies précédentes et peut-être même plus que jamais. D’autre part, l’identification des candidats avec la politique de Corbyn et leur manière de faire de la politique aura également un impact. Ceux qui ont rejoint le Parti travailliste pour soutenir les politiques anti-austérité ne seront pas enthousiastes pour faire la campagne des candidats qui ont fermé les bibliothèques ou les crèches, soutenu la privatisation des services locaux ou qui s’en sont pris aux conditions des travailleurs municipaux.
C’est dans ce contexte qu’il faut saluer et soutenir la décision de transformer la structure de la campagne électorale de Corbyn en « Momentum » (« souffle nouveau ») – un réseau national incluant ceux qui militent dans et en dehors du Parti travailliste. Pour défendre les politiques qui ont permis à Corbyn de remporter l’élection interne au Parti travailliste ainsi que pour construire une majorité autour de ces politiques dans la société, un mouvement social est indispensable. Ce doit être un mouvement contre l’austérité, contre la guerre, pour les droits civiques et le droit du travail, ouvert à tous ceux qui soutiennent ces idées et qui veulent s’engager collectivement dans un cadre démocratique afin de lutter pour qu’elles deviennent majoritaires dans toute la Grande-Bretagne.
Il y a certainement des discussions que les membres du Parti travailliste doivent avoir localement et à l’échelle nationale sur leurs priorités relatives en ce qui concerne la démocratisation des structures de leur parti et les mobilisations sociales. Mais s’organiser séparément sur cette base ne serait pas suffisant face aux tâches de l’heure et ne permettrait pas d’exploiter le potentiel qui est apparu au cours de l’été dernier. Corbyn, McDonnell et ceux qui pensent comme eux semblent être très clairs et méritent d’être soutenus sur cette question centrale.
Bien sûr, tout cela met en défi les organisations à la gauche du Parti travailliste.
Left Unity, créée pour offrir une alternative politique à ceux qui s’opposent à l’austérité, a sans surprise fait de cette discussion le point central de sa conférence nationale de novembre. Le système électoral antidémocratique de la Grande-Bretagne ainsi que l’unité du mouvement syndical et sa relation historique particulière avec le Parti travailliste (social-démocrate) font que la radicalisation qui a conduit à la victoire de Corbyn va à contre-courant de ce qui s’est passé partout ailleurs en Europe, où des partis larges de la gauche de la gauche sont apparus au cours des dernières décennies.
Certains ont déjà décidé de rejoindre le Parti travailliste dirigé par Corbyn. Bonne chance à eux et nous espérons pouvoir continuer à coopérer avec eux de manière fructueuse dans Momentum et dans d’autres mobilisations de masse. D’autres proposent que Left Unity cesse de fonctionner comme un parti et devient un autre réseau externe-interne, sans expliquer pour autant quel devrait être son rôle particulier.
Socialist Resistance considère qu’emprunter une telle voie serait une grave erreur. Nous pensons qu’à cette étape Left Unity devrait demander son affiliation au Parti travailliste – ce que nous considérons comme le témoignage du sérieux que nous accordons au mouvement autour de Corbyn et de la transformation que ce dernier a déjà entamé. Nous pensons que Left Unity doit préserver son identité séparée, c’est-à-dire son orientation politique propre, ses structures et sa direction.
Un parti de gauche radicale capable de conduire la lutte contre l’austérité et mettre en avant les politiques dans l’intérêt du plus grand nombre et non de quelques-uns, reste absolument indispensable. L’objectif de l’équipe Corbyn est clairement de forger un Parti travailliste capable de faire cela, mais, malgré les importants changements déjà réalisés, de nombreux obstacles sont encore devant elle.
Coilà pourquoi Socialist Resistance aspire à continuer de jouer un rôle majeur au sein de Left Unity tout en soutenant avec enthousiasme Momentum et ses initiatives.
* a été fondée en 2002 par des marxistes britanniques qui soutenaient la recomposition de la gauche reflétée par le Parti socialiste écossais, l’Alliance socialiste et le parti Respect. En juillet 2009 ils l’ont refondée en tant que section britannique de la IVe Internationale. Cet article a d’abord été publié sur le site web de Socialist Resistance (http://socialistresistance.org). (Traduit de l’anglais par JM).
1.Jeremy Corbyn est élu dès le premier tour, avec 59,5 % des voix exprimées, devant Andy Burnham (19 %), Yvette Cooper (17 %) et Liz Kendall (4,5 %). Il obtient la majorité des voix dans les trois collèges d’électeurs : les membres du parti, les adhérents des syndicats et les sympathisants qui pouvaient voter après avoir payé la somme symbolique de 3 livres sterling.
2. Left Unity (Unité de la gauche) a été créé le 30 novembre 2013 à la suite de l’appel à un nouveau parti de gauche lancé par le cinéaste Ken Loach. Les militants de plusieurs organisations de la gauche radicale britannique – Alliance for Workers Liberty, Anticapitalist Initiative, Communist Party of Great Britain (Provisional Central Committee), Independent Socialist Network, International Socialist Network, Socialist Resistance, Workers Power – ont adhéré individuellement à ce nouveau parti.
Source : inprecor