A l’Encontre: Quels sont les points essentiels et les implications de l’Omnibus Bill votée par le Parlement le dimanche 30 mars?
Antonis Ntavanellos: Le gouvernement a été contraint de présenter devant le Parlement cette Omnibus bill (loi d’ensemble) – un paquet volumineux de lois dont le contenu a été présenté à la commission des finances quelques heures avant le «débat» parlementaire et, donc, quasiment au moment du vote des parlementaires – sous la pression des créanciers et de la Troïka (UE, BCE et FMI). Jusqu’à la date du dimanche 30 mars – donc le jour du vote – le contenu de ce nouveau «paquet d’austérité» a été maintenu secret. Son adoption par une majorité parlementaire – par un vote nominal – le dimanche 30 mars au soir a constitué un vrai choc social. Il faut noter que les élus de SYRIZA ont refusé les conditions truquées du débat et sont sortis du Parlement, en tenant un meeting assez largement suivi.
Ce «paquet» contenait un nouvel abaissement du montant des retraites et une augmentation de l’âge donnant droit à la retraite. Mais, sur le fond, s’ouvre encore plus la voie d’une privatisation du système de sécurité sociale, ce qui commencera en 2015.
Ce paquet de lois pousse l’ensemble des salaires des classes laborieuses vers le bas, en direction du nouveau niveau du salaire minimum: un salaire minimum net que l’on peut estimer entre 486 et 411 euros – le dernier chiffre pour les jeunes entre 15 et 24 ans, pour autant qu’ils aient un emploi à 100% et soient payés! Dans les mesures votées le 30 mars, il y a la suppression des annuités pour «années de service», ce qui a des conséquences non seulement sur l’évolution du salaire, mais aussi sur le montant des retraites. A cela s’ajoute une nouvelle vague de licenciements dans le secteur public. Des mesures identiques sont prévues dans le secteur privé.
Ce vote a porté un coup très dur à la propagande du gouvernement d’une «success strory» et cela peut avoir un effet sur les élections européennes et sur de possibles élections anticipées.
A l’Encontre: L’emprunt effectué début avril 2014 sur les marchés financiers pour un montant de 2,5 milliards d’euros, avec un coupon de 4,75% sur 5 ans, a été conclu après un accord avec Goldman Sachs, Morgan Stanley, HSBC, Bank of America, Merrill Lynch et Citigroup. Autrement dit, il y avait les acheteurs potentiels avant «le grand retour sur les marchés de la Banque nationale de Grèce», tant vanté par l’UE et Samaras. Qu’en penses-tu?
Antonis Ntavanellos: Le gouvernement a essayé et essaie de persuader la population sur le ton: «nous sommes en train de sortir de la crise», utilisant à cet effet deux arguments.
Le premier. Le gouvernement a, en effet, emprunté sur les marchés financiers une relativement petite somme (2,5 milliards d’euros), grâce à une procédure «sûre et protégée», car pré-arrangée, comme tu l’indiques, avec des banques internationales qui avaient organisé cette opération. C’est un emprunt d’une durée de 5 ans avec un taux d’intérêt intéressant pour les créanciers: 4,75%. Cela a été présenté comme «un retour de la Grèce sur les marchés», avec comme sous-entendu «la Grèce se sort de la crise». C’est une farce. D’ailleurs des experts des banques n’ont pas hésité à dire avant la finalisation de l’emprunt: «Si M. Samaras veut retourner sur les marchés, c’est pour marquer des points auprès des Grecs», pour citer Christopher Dembik, de Saxo Bank.
En effet, tout le monde sait qu’il est impossible de payer la dette grecque, qui dépasse les 300 milliards d’euros, en particulier avec ce genre d’emprunt particulièrement cher pour les débiteurs. D’autant plus que si on compare ce taux d’intérêt avec celui que paient les banques privées lorsqu’elles se refinancent auprès la Banque centrale européenne (BCE), à un taux inférieur à 1%.
Le second mécanisme mis en œuvre par Samaras est le suivant. Les banques grecques, recapitalisées, retournent dans les mains de leurs propriétaires privés bien qu’elles aient été «sauvées» par de l’argent public, c’est-à-dire payées en dernière instance par les salarié·e·s de Grèce, au travers des impôts directs et indirects. Ce scandale ne va pas être avalé par une majorité, face au choc de la réalité.
A l’Encontre: Elstat a indiqué que le chômage avait baissé à 26,7% en janvier 2014 par rapport à décembre 2013, mais connaissait une croissance de 0,2% par rapport à janvier 2013, donc sur un an. Le nombre total officiel de chômeurs se situe à 1,317 million. En quoi ces chiffres cachent-ils la réalité sociale du chômage? De plus, le gouvernement a indiqué que les chômeurs ayant participé à des programmes subventionnés (OAED) seraient touchés par un nouvel impôt car considérés comme des indépendants (self-employed). Qu’en est-il?
Antonis Ntavanellos: Le taux de chômage en Grèce reste extrêmement élevé: officiellement, les dernières données le situent à 26,7%. En réalité, il se situe au-delà de 30%, selon toutes les études sérieuses. Et dans ce dernier chiffre ne sont pas comptabilisés les indépendants ayant fait faillite et n’ayant plus de sécurité sociale, comme ceux qui ont participé à ces programmes OAED. Les fluctuations du chômage sont aussi liées à des effets saisonniers, sans même mentionner les divers biais statistiques utilisés dans le relevé du chômage.
SYRIZA, dans sa campagne politique, insiste sur la réintroduction immédiate du salaire minimum à son niveau antérieur à l’explosion de la crise et revendique un relèvement de ce salaire de manière graduelle, en relation avec la situation économique. SYRIZA met l’accent de même sur un programme dit «de solidarité» avec les chômeurs et chômeuses, par exemple l’accès aux soins de santé de manière gratuite. De plus, SYRIZA insiste sur un accroissement des dépenses publiques et des investissements pour créer de nouveaux emplois.
A l’Encontre: Quelle est l’option de SYRIZA sur la dette et son «paiement»? Y a-t-il des différences entre la «majorité présidentielle» de Tsipras et les courants de gauche de SYRIZA?
Antonis Ntavanellos: A propos de la question de la dette, SYRIZA s’est engagée à annuler la plus grande partie de la dette et de relier le paiement d’une petite fraction de celle-ci à une «clause de croissance», ce qui introduit une conditionnalité claire. Simultanément, SYRIZA demande un accord à l’échelle européenne similaire à celui qui a été conclu, en 1953, à propos de la dette allemande (RFA). En effet, l’accord signé en février 1953 par la République fédérale allemande (RFA) à Londres a été un facteur important dudit miracle allemand. Le chancelier Konrad Adenauer – en place depuis 1949 qui utilisa comme «négociateur» le banquier Hermann Josef Abs, qui fut à la tête de diverses entreprises sous le nazisme, entreprises qui exploitaient des prisonniers de guerre – a obtenu une remise de dette de 50%. En outre, la RFA n’a jamais payé la somme de 7 milliards de dollars – ce qui équivalait, avec les intérêts cumulés, à une somme de 80 milliards d’euros en 2012 – suite à une condamnation par les Alliés à titre de réparations de guerre pour l’occupation par les forces armées du IIIe Reich de la Grèce de 1941 à 1944. Cette dette a été effacée suite à la réunification de la RFA avec la RDA (octobre 1989-octobre 1990).
Pour l’aile gauche de SYRIZA, le point de départ est le suivant: une cessation immédiate des paiements de la dette aux banques grecques et internationales. Cette position est considérée comme un «casus belli» par les banquiers et les créanciers. C’est la raison pour laquelle la plate-forme de gauche – incluant le Courant de gauche et le Red Network – insiste sur l’exigence d’une nationalisation-socialisation des banques.
A l’Encontre: Quelle a été l’importance de la grève du 9 avril et la place de META dans cette mobilisation? La presse européenne a essentiellement parlé des mesures de sécurité lors de l’arrivée d’Angela Merkel le 11 avril. Comment juges-tu les mobilisations présentes, la fatigue sociale et peut-être le processus de délégation au plan électoral?
Antonis Ntavanellos: La grève générale le 9 avril était le premier combat «généralisé» depuis longtemps. Elle a connu un succès relatif.
Le niveau des luttes est influencé par une lassitude sociale, après trois ou quatre ans de durs combats couronnés par aucune victoire réelle. Il y a certes de nombreuses luttes dans différents lieux de travail. Mais nous n’avons pas, du moins pour l’instant, la capacité de les unifier dans une véritable grève générale accompagnée de manifestations massives. On a connu en 2011-12 des processus de luttes, des journées de grève, se rapprochant d’une mobilisation d’ensemble.
La majorité de la société attend une dénonciation des Mémorandums (les plans d’austérité) au travers du résultat d’une élection, donc de la victoire de SYRIZA. C’est, en fait, une sorte d’«électoralisme de gauche», de «délégation électorale» avec ce que cela implique comme faiblesse relative.
Une partie significative de SYRIZA et aussi d’ANTARSYA résiste à cette tendance à la délégation, en mettant l’accent sur une donnée: les luttes «depuis en bas» représentent la modalité la plus sûre pour défendre les intérêts de la classe des salarié·e·s. Et c’est un élément décisif pour la dynamique d’un «gouvernement de gauche». Mais, du moins pour l’instant, il semble que nous n’ayons pas encore gagné une majorité sur une telle orientation. Bien que des changements s’opèrent au sein du mouvement syndical – secteur privé et public – avec un regroupement initial de la gauche syndicale, sous la forme du courant du nom META. C’est un début face à un appareil syndical très marqué par une longue période de contrôle des appareils par les partis gouvernementaux, soit le PASOK et la Nouvelle Démocratie.
Dans ce contexte, il faut souligner que l’attitude du Parti communiste (KKE) est proprement inacceptable. Il attaque avant tout, pour ne pas dire seulement, SYRIZA. Cela dans le but d’essayer de sauver sa position électorale. Dans le mouvement social de résistance, il refuse toute proposition d’action commune. Le PAME, sa structure dite syndicale, fait de même; toutefois on constate un malaise grandissant parmi les membres du PAME.
Récemment, des membres du KKE, sur ordre de la direction, ont voté contre des grèves, prétendant que ces décisions, même adoptées par une majorité de délégués ou de salarié·e·s lors d’assemblées démocratiques, étaient une «orientation politique» pour l’action «complètement insuffisante». Cela est typique d’un sectarisme passif qui implique, dans sa substance, l’affirmation qu’une victoire des salarié·e·s et des forces de gauche est impossible aujourd’hui.
Cela au moment où les forces politiques et institutionnelles du régime affrontent les échéances électorales, entre autres européennes, avec une crainte. Ces forces de droite savent qu’une victoire de SYRIZA pourrait redonner un élan et une perspective à l’ensemble des travailleuses et travailleurs, avec une nouvelle vague de luttes possible que personne – y compris la direction Alexis Tsipras de SYRIZA – ne serait capable de contrôler, d’endiguer, ce qui est un des facteurs de la crainte des forces gouvernementales et patronales.
A l’Encontre: Dans ce contexte quelle est la dynamique du PASOK (Mouvement socialiste panhellénique) dont Evangelos Venizelos est le leader avec sa position de vice-premier ministre?
Antonis Ntavanellos: Dans cette situation, le PASOK connaît un écroulement. Ce parti social-démocrate, qui a connu un appui électoral à hauteur de 43% il y a encore quatre ans, ne réunit, dans les sondages récents, que 4 à 5% des opinions recueillies lorsque la question posée est la suivante: «Pour qui voteriez-vous s’il y avait des élections parlementaires aujourd’hui?»
A l’occasion des élections européennes du 25 mai, il participe sous le logo de l’«Olivier», du nom de la «coalition de gauche» à la tête de laquelle se trouvait Romano Prodi en 1996 en Italie. Cela débouche sur le débat suivant dans les rangs de la social-démocratie: faut-il, oui ou non, dissoudre le PASOK?
A l’heure actuelle, il y a un affrontement très dur entre le dirigeant du PASOK Venizelos et l’ancien leader George Papandreou. Ce dernier cherche à se revaloriser comme «un courant de gauche» du PASOK qui critique l’alliance passée par Venizelos avec la Nouvelle Démocratie (ND) de Samaras.
Selon moi, dans la conjoncture politique présente, si SYRIZA évite de très graves erreurs, une recomposition de la social-démocratie n’a pas de chance d’obtenir un soutien électoral d’importance.
A l’Encontre: Quel est le débat sur la criminalisation d’Aube dorée? En quoi le statut d’Aube Dorée entre dans la stratégie politico-électorale du gouvernement Samaras?
Antonis Ntavanellos: Les principales raisons de la criminalisation par les institutions judiciaires et Samaras d’Aube dorée peuvent se réduire à deux. 1° La pression provenant de la gauche et du mouvement antifasciste, en particulier après le meurtre de Pavlos Fyssas le 17 septembre 2013. 2° Le besoin pour Samaras de récupérer des votes de l’extrême droite comme une condition pour avoir une chance de battre SYRIZA au cours des élections.
Actuellement, Aube dorée connaît un recul sur le terrain de ses activités criminelles menées par ses troupes de choc militarisées. Il y a aussi un léger recul électoral. Mais son impact sur ce terrain va être clarifié lors des élections européennes. Ces néonazis cherchent à manœuvrer politiquement et discutent même de changer leur dénomination pour éviter un contrecoup au plan des résultats électoraux.
L’espoir principal d’Aube dorée réside dans une crise encore plus approfondie du gouvernement Samaras et de la Nouvelle Démocratie, qui leur ferait perdre de manière significative des votes, élargissant le terrain que pourrait occuper le parti néonazi. Néanmoins, il faut avoir à l’esprit que le recul de leurs troupes de choc constitue une défaite importante pour ce genre de formation. Et cela fournit à une gauche décidée – et aux forces antifascistes actives et de solidarité avec les migrant·e·s — la possibilité plus grande de leur porter un coup très dur.
A l’Encontre: Quels sont les points essentiels du débat sur l’euro (sortie ou non) dansSYRIZA et dans Antarsya?
Antonis Ntavanellos: A propos de l’euro, la majorité de SYRIZA affirme qu’elle essayera de mettre fin à l’austérité, tout en restant dans la zone euro.
Le courant de gauche de SYRIZA insiste fortement sur une autre hiérarchie des priorités. Nous disons: nous mettrons en échec la politique d’austérité par tous les moyens nécessaires. Et dans ces moyens, nous intégrons une politique d’affrontement avec l’Union européenne (UE) et une sortie de la zone euro, comme une mesure nécessaire possible pour la défense de la population et de se droits sociaux.
Les camarades d’ANTARSYA abordent la question à l’envers. Ils affirment que la sortie de l’eurozone doit être le choix prioritaire et, y compris, le but. Certains courants dans ANTARSYA – à l’exception du Parti ouvrier socialiste lié au SWP anglais et de l’OKDE, lié à la IVe Internationale (CI) – développent l’idée qu’il y a d’une «étape» dans le développement du mouvement social qui permettrait, en dehors de la zone euro, à la société grecque de sortir de la crise. Il y a dans cette orientation des résidus d’une approche stalinienne dans laquelle une «étape d’indépendance nationale» est absolument nécessaire, avant une étape socialiste qui devrait arriver… un jour ou l’autre.
A l’Encontre: Quels sont les axes sur lesquels se battent, entre autres dans le cadre des élections européennes, le Courant de gauche de SYRIZA et le Red Network qui constituent la plateforme de gauche qui a obtenu 30% des votes lors du dernier congrès de SYRIZA?
Antonis Ntavanellos: La plate-forme de gauche – composée donc du Courant de gauche, dont le porte parole le plus connu est Panagiotis Lafazanis, et des trois organisations constituant le Red Network, dont DEA – a une présence significative dans la campagne électorale pour les élections européennes. Nous avons défendu la présence sur la liste de SYRIZA des militant·e·s engagés dans des luttes sociales importantes. Cela fut fait avec un certain succès.
Nos candidats défendent une orientation plus militante face aux politiques de l’UE, à l’UE comme institution et à l’euro, ainsi que face au gouvernement Samaras. Nous développons un programme transitoire pour la rupture de la Grèce avec les politiques d’austérité ruineuses pour toute la société et les classes laborieuses grecques.
Pour nous, un gouvernement de gauche constitue le «point de départ» d’un processus transitoire en direction d’une émancipation socialiste et démocratique de la société. C’est la raison pour laquelle nous mettons en question le flou qui peut exister entre un gouvernement de gauche et un gouvernement de «salut national» ou d’«unité nationale». C’est dans cette perspective que nous défendons une unité d’action de SYRIZA et d’ANTARSYA et y compris le KKE – ce qui suppose un changement pratique de son orientation. Cette orientation implique le rejet de toutes les alliances qui comporteraient des forces bourgeoises.
Dans les batailles qui s’annoncent, la solidarité internationale sera cruciale. L’internationalisme concret consiste dans une bataille pour concrétiser une solidarité active de la part des salarié·e·s de divers pays européens, ainsi que des forces d’un syndicalisme de combat au même titre que de celles de la gauche dite radicale. Cette option est à l’opposé d’une politique consistant à cultiver des illusions sur le rôle de l’UE ou de l’aménagement à la marge de ses institutions.
Source : A l’encontre