Nous publions ci-dessous un entretien avec Antonis Ntavanellos, membre du Bureau politique de Syriza et animateur de DEA (Gauche ouvrière internationaliste).
Quelles sont les principales décisions de ce week-end ?
La principale décision du Comité central puis de la Conférence de Syriza [le samedi 3 janvier 2015 à Athènes], c’est que la campagne se fera sur la base du programme de Thessalonique [1], sur des questions liées aux acquis démocratiques et aux libertés, ainsi que sur le financement du programme.
La politique de Syriza est officiellement la suivante: promesse de suppression des mémorandums et des mesures réactionnaires, refus de demander de nouveaux prêts ou nouveau mémorandum, bataille sur la question de la dette au niveau européen, en liant la question de la dette grecque à celle de l’Italie, de la France, du Portugal…
La seule question sur laquelle il peut y avoir négociation avec l’Union européenne (UE) et les créanciers est celle de la dette. Par contre, la suppression des mémorandums et des mesures réactionnaires ne relèvent que de la décision d’un gouvernement de gauche.
Cette ligne est clairement celle d’un affrontement avec le système intérieur et international, et je pense que la direction de Syriza va subir des pressions pour reculer et aller vers un compromis avec l’Union européenne. Mais il est important de voir que cela ne s’est pas produit: ce week-end a montré une nouvelle fois que Syriza en tant que parti est une réalité que personne ne peut sous-estimer !
Des confrontations avec l’aile gauche [2] ont eu lieu sur le fait que pour cette dernière, il est impossible d’accepter sur les listes des ex-sociaux-démocrates [3], même s’ils ont rompu avec le PASOK (Mouvement socialiste panhellénique). Le cœur de nos alliances doit être avec le KKE (PC grec) et Antarsya [4].
Peux-tu rappeler les points clés du programme de Thessalonique ?
Ce sont des engagements pris publiquement par Tsipras en septembre 2014: ramener les salaires et les retraites à leur niveau d’avant la crise; retour aux conventions collectives telles qu’elles existaient; retour à un seuil minimum de revenu imposable de 12’000 euros; suppression de l’insupportable taxe sur le fuel de chauffage. Pour les couches populaires les plus pauvres, des mesures d’urgence anti-crise comme la gratuité de l’eau et de l’électricité, ainsi que le gel des dettes personnelles.
Ces mesures se placent du point de vue de la direction de Syriza dans une conception de relance de l’économie que certains pourraient dire keynésienne. Toutefois, j’estime que leur importance aux yeux de la société grecque comporte de message politique: l’austérité peut être renversée. C’est un tel message, je crois, qu’une victoire de Syriza pourrait envoyer à toute l’Europe.
Quels sont les débats dans la Plateforme de gauche ?
La Plateforme de gauche se développe sur trois éléments principaux: tout d’abord que le projet politique de Syriza doit être soutenu par une mobilisation d’un mouvement à la base de classe ouvrière et des couches populaires. Ensuite, la nécessaire radicalisation du programme de Syriza, avec insistance sur l’annulation de la plus grande partie de la dette, la nationalisation des banques et le retour en arrière sur les privatisations. Enfin, que les seules alliances politiques sont à chercher avec la gauche: l’objectif est un front commun Syriza / KKE / Antarsya, d’où le mot d’ordre de la Plateforme d’un gouvernement de gauche et non pas «de salut national» ou pire encore «d’unité nationale»…
Par ailleurs apparaissent ces derniers temps dans Syriza d’autres forces radicales provenant de la majorité et insistant sur les questions de démocratie et de fonctionnement du parti [5].
On peut lire (dans le journal Epochi lié à la majorité de Syriza) que la seule arme de la droite, ce sont les divisions internes et que Syriza doit parler d’une seule voix. Que dire par rapport à cet appel à faire taire les oppositions de gauche ?
Il est clair que dans l’actuel combat politique, un certain degré de discipline est indispensable. En même temps, on a obtenu dans Syriza la garantie du droit de tendance, la possibilité d’oppositions politiques qui, sur des thèmes de première importance, doivent pouvoir être fermes.
A mon avis, ce n’est pas un hasard si ces derniers temps, les questions de discipline au sein de Syriza correspondent à un déplacement vers la droite de certains dirigeants, avec des déclarations de cadres ou députés promouvant publiquement la nécessité d’un compromis avec la bourgeoisie, surtout européenne.
Au contraire, la Plateforme soutient la prise de décisions collective et le fonctionnement du parti de bas en haut. Nous avons confiance dans la base et on peut considérer que le combat politique pour l’orientation de Syriza n’est pas définitivement tranché.
A lire les textes de DEA ou R-Project (Red Network), on dirait que le mouvement de masse s’enthousiasme pour Syriza et sa possible venue au pouvoir. Penses-tu vraiment que ce soit le cas ?
A vrai dire, le mouvement de masse a reculé ces derniers temps, au moins au niveau central. Malgré tout, il existe d’importants combats dans différents secteurs et régions. Ce que cela traduit à mon avis, c’est que, provisoirement, le peuple porte ses espoirs sur le vote Syriza, mais le rapport de forces n’a pas changé: la première période d’un gouvernement de gauche sera donc cruciale, avec d’importantes luttes, de fortes revendications et des espoirs auxquels il faudra rendre justice.
Ainsi, le caractère du gouvernement de gauche est un pari ouvert: il sera jugé sur la politique de Syriza, mais principalement par la résistance et les luttes des travailleurEs.
Quel rôle donnes-tu à la solidarité en Europe ?
La lutte pour mettre fin à l’austérité peut commencer en Grèce, mais elle ne pourra pas être menée à terme s’il n’y a pas de mobilisations de grandes forces du mouvement ouvrier dans toute l’Europe. Tout notre espoir, c’est que la victoire politique en Grèce soit suivie d’un effet dominos de changements en Europe !
Nous demandons donc la solidarité de nos camarades européens qui ne doivent pas laisser les grandes puissances étrangler le gouvernement de la gauche et le mouvement ouvrier en Grèce. Mais cela ne peut être que le début d’un affrontement global contre l’austérité barbare sur tout le continent, et nous savons par l’histoire que cette guerre peut certes commencer dans un petit pays, mais qu’elle sera définitivement gagnée dans les rues de Rome, de Madrid et de Paris. C’est l’heure d’agir : voilà ce que peuvent attendre de mieux Syriza et la gauche grecque !
Propos recueillis par Tassos Anastassiadis et Andreas Sartzekis pour le site du NPA. Publié sur Alencontre.
[1] C’est-à-dire sur les points exprimés par Alexis Tsipras, président du parti-coalition Syriza, lors de la dernière Foire internationale de Thessalonique qui se tient chaque année en septembre et qui est l’occasion, pour le chef du gouvernement (en l’occurrence Antonis Samaras) et le leader du parti majoritaire de l’opposition (Alexis Tsipras), d’exposer leur point de vue sur la situation du pays. (Rédaction A l’Encontre)
[2] La Plateforme de gauche, qui s’est affirmée lors du Congrès de 2013 de Syriza réunit la «courant de gauche» dont le principal porte-parole est Panagiotis Lafazanis, un des deux responsables de la fraction parlementaire de Syriza et le Red Nework qui réunit DEA (Gauche ouvrière internationaliste), Kokkino (qui vient de fusionner avec DEA) et APO. La plateforme de gauche représente, au sein de Syriza, quelque 30 à 35% des voix. Un pourcentage à ne pas confondre avec l’éventail de l’électorat de Syriza. Syriza, comme parti, compte quelque 40’000 membres, ce qui est relativement peu en termes organisationnels par rapport à une population de 11 millions d’habitants. (Rédaction A l’Encontre)
[3] Georges Papandréou, fils d’Andréas, le créateur du PASOK en 1974, a lancé ces derniers jours une nouvelle formation politique: Mouvement des socialistes démocrates. L’actuel PASOK – qui dans les sondages dépasse difficilement les 3%, le seuil pour entrer au gouvernement – est dirigé par Evangélos Vénizélos, vice-président du gouvernement Samaras et ministre des Affaires étrangères depuis juin 2013. Papandréou a été premier ministre d’octobre 2009 au 11 novembre 2011; il a adopté les mémorandums et les lois qui en découlent. La position de la Plateforme de gauche est de refuser non seulement une présentation sur les listes de Syriza de candidat·e·s qui ont voté les mémorandums, mais aussi d’une coalition avec des formations comme celle Papandréou. (Rédaction A l’Encontre)
[4] Antarsya: Front de la gauche anticapitaliste grecque, composé d’une dizaine d’organisations. Des différences existent en son sein à propos de la présentation d’une liste électorale avec Alékos Alavanos – ancien membre de Synaspismos et de Syriza – qui a créé le parti intitulé « Plan B » et qui, depuis les élections européennes de 2014, propose un programme de sortie de l’UE et de l’euro. (Rédaction A l’Encontre)
[5] La tendance à ce que le « cercle présidentiel de Tsipras » dicte les prises de position de Syriza s’accentue. Lors du Congrès de lancement de la campagne électorale, un des participants s’est écrié: «Nous ne sommes pas venus ici que pour applaudir.» (Rédaction A l’Encontre)