Certains d’entre vous ont peut-être entendu parler de Gustave Le Bon, médecin et sociologue. Il vit de 1841 à 1931, beaucoup trop longtemps si vous voulez mon avis. On le présente en France comme un vulgarisateur (je dirais vulgaire) des notions de « psychologie collective ». Je possède son opuscule Les Lois psychologiques de l’évolution des peuples (LPEP) qui date de 1894 et son chef-d’œuvre, la Psychologie des foules (PF) de 1895, et je viens de prendre la décision de les foutre à la poubelle. Mais avant de le faire je voudrais dire deux mots sur les idées de ce personnage. Le professeur Otto Klineberg est d’accord pour dire que les idées de Le Bon sont « périmées, que sa psychologie est fondée sur une mystique raciste, ses conclusions imprégnées de préjugés, ses observations limitées à des anecdotes et des jugements personnels ». Mais alors, pourquoi l’éditer aujourd’hui ? Mais, remarque Otto Klineberg, le livre a suscité de grandes discussions et il a eu « une influence considérable sur le développement d’une discipline scientifique. Il faut le lire avec un esprit critique, mais il faut le lire ».
Lisons donc, pas tout mais quelques citations qui sont supposées enrichir notre sens critique et développer la science. Commençons avec LPEP :
« Les peuples de métis [en Amérique latine] restent ingouvernables par cette seule raison qu’ils sont métis. L’expérience a prouvé qu’aucune institution, aucune éducation ne pouvait les sortir de l’anarchie ».
« Certes une science plus avancée a prouvé la vanité des théories égalitaires et montré que l’abîme mental, créé par le passé entre les individus et les races, ne pourrait être comblé que par de accumulation héréditaires fort lentes ».
« La femme moderne, oubliant les différences mentales profondes qui la séparent de l’homme, réclame les mêmes droits, la même instruction que lui, et finira, si elle triomphe, par faire de l’Européen un nomade sans foyer ni famille ».
« Chaque race possède un constitution mentale aussi fixe que sa constitution anatomique ».
« Derrière toutes les révolutions des peuples latins, il reparaît toujours, cet obstiné régime, cet incurable besoin d’être gouverné, parce qu’il représente une sorte de synthèse des instinct de leur race . »
« Les races humaines peuvent être divisées en quatre groupes : 1° les races primitives ; 2° les races inférieures ; 3° les races moyennes ; 4° les races supérieures. Les races primitives sont celles chez lesquelles on ne trouve aucune trace de culture, et qui sont restées à cette période voisine de l’animalité (…) tels les Fuégiens et les Australiens. Au dessus des races primitives se trouvent les races inférieures, représentées surtout par les nègres. (…) Dans les races moyennes, nous classerons les Chinois, les Mongols et les peuple sémitiques ».
« La différence de la logique des hommes et des femmes suffirait à créer entre eux un infranchissable abîme ».
« On fait aisément un bachelier ou un avocat d’un nègre ; mais on ne lui donne qu’un simple vernis tout à fait superficiel, sans action sur sa constitution mentale. Ce que nulle instruction ne peut lui fournir, parce que l’hérédité seule les crée, ce sont les formes de la pensée, la logique, et surtout le caractère des Occidentaux ».
« Chez les races inférieures, tous les individus, alors même qu’ils sont de sexe différent, possèdent un niveau mental à peu près identique. Se ressemblant tous, ils présentent l’image parfaite de l’égalité rêvée par nos socialistes modernes ».
« La différenciation entre individus produite par le développement de la civilisation se manifeste également entre les sexes. Chez les peuples inférieurs ou dans les couches inférieures des peuples supérieurs, l’homme et la femme sont intellectuellement fort voisins. À mesure au contraire que les peuples se civilisent, les sexes tendent de plus en plus de se différencier. Le volume du crâne de l’homme et de la femme, même quand on compare uniquement, comme je l’ai fait, des sujets d’âge égal, de taille égale et de poids égal, présente des différences très rapidement croissantes avec le degré de la civilisation. Faibles dans les races inférieures, ces différences deviennent immenses dans les races supérieures. Dans les races supérieures, les crânes féminins sont souvent à peine plus développés que celles des femmes très inférieures. »
« Des races différentes ne sauraient longtemps parler la même langue ».
Le Bon n’aime pas le socialisme et les travailleurs immigrés :
« Aujourd’hui sur 1.100.000 habitants, Chicago ne compte pas un quart d’Américains. Cette ville renferme 400.000 Allemands, 220.000 Irlandais, 50.000 Polonais, 55.000 Tchèques, etc. Aucune fusion n’existe entre ces émigrants et les Américains. Ils ne se donnent même pas la peine d’apprendre la langue de leur nouvelle patrie et y forment de simples colonies occupées à des travaux mal rétribués. Ce sont des mécontents, et par conséquents des ennemis. Dans la grande grève des chemins de fer, ils ont failli incendier Chicago et l’on dut les mitrailler sans pitié. C’est uniquement parmi eux que se recrutent les adeptes de ce socialisme niveleur et grossier (…) ».
« Pour l’ouvrier allemand, l’image évoquée se présente sous la forme d’une fameuse taverne où le gouvernement servirait gratuitement à tout venant de gigantesques pyramides de saucisses et de choucroute, et un nombre infini de cruches de bière. » Etc. Etc.
Jetons maintenant un coup bref d’œil sur la PF :
« La foule est toujours intellectuellement inférieure à l’homme isolé ».
« Les instincts de la férocité destructive [de la foule] sont des résidus des âges primitifs dormant au fond de chacun de nous ».
« Les foules ne pouvant penser que par des images, ne se laissent impressionner que par des images. C’est pourquoi les représentations théâtrales, qui donnent l’image sous sa forme la plus nette, ont toujours une énorme influence sur les foules. Du pain et des spectacles constituaient jadis pour la plèbe romaine l’idéal du bonheur. Rien ne frappe davantage l’imagination populaire qu’une pièce de théâtre. Toute la salle éprouve en même temps les mêmes émotions ».
« C’est au cabaret, par affirmation, répétition et contagion que s’établissent les conceptions actuelles des ouvriers ».
Tout n’est pourtant pas idiot dans ce dernier livre, mais il s’agit de platitudes. Ainsi : « Les foules toujours, les individus le plus souvent, ont besoin d’opinions toutes faites. Le succès de ces opinions est indépendant de la part de vérité ou d’erreurs qu’elles contiennent ; il réside uniquement dans leur prestige ».
J’espère que parmi mes lecteurs et lectrices ces quelques citations susciteront de grandes discussions et stimulerons considérablement la recherche. Et maintenant je me rends à la poubelle.
illustration: Little Shiva