Hongkong est le théâtre d’une mobilisation massive pour le droit d’élire librement le chef de l’exécutif. Cette mobilisation dépasse largement le seul cadre d’une radicalisation de la jeunesse scolarisée et ses enjeux profonds.
L’extension. Pékin à répondu le 31 août à cette exigence démocratique élémentaire par une véritable provocation : sur décision du bureau de l’Assemblée nationale, les Hongkongais auront le « droit » de choisir au suffrage universel entre deux ou trois candidats, désignés par le comité de nomination dont les règles de sélection des candidats ont même été, à cette occasion, durcies pour s’assurer qu’ils seront bien à la fois probusiness et pro-PCC !
Décision massivement rejetée à Hongkong. A l’appel de la Fédération des étudiants, une grève des cours commence le 23 septembre. Le 26, trois « cofondateurs » d’« Occupy Central with Peace and Love » (OCLP) [1] sont arrêtés : Johsua Wong, Tai Yiu-ting et Chan Kin-man. Le 28, un vaste mouvement d’occupation s’engage à Central, plus tôt qu’initialement prévu (il devait débuter le 1er octobre). Une dynamique spontanée de mobilisation s’affirme. Les policiers encerclent les étudiants ; en réponse les citoyens entourent les policiers. Le mouvement d’occupation s’étend géographiquement au-delà de Central (Jinzhong, Wanchai puis Mong Kok, Causeway Bay et enfin Tsim Tsa Tsui.).
La police attaque à coup de lacrymogènes et de jets de gaz poivre. Les manifestant.e.s se protègent avec des serviettes et en déployant des parapluies – la Révolution des Parapluies est née. Cette brutalité policière est très inhabituelle, choquante, à Hongkong, d’autant plus qu’elle s’exerce à l’encontre à d’un mouvement de désobéissance civile strictement non violent, ostensiblement pacifique : occupation statique, bras levés en signe de non-violence, excuses polies à l’égard des habitants pour la gêne occasionnée…
La répression a contribué à élargir les soutiens dont bénéficie le mouvement d’occupation. La Confédération des syndicats de Hongkong (HKCTU), notamment, la dénonce et appelle à une grève de solidarité : « Les travailleurs doivent se lever contre le gouvernement injuste et la répression violente (…) Pour défendre la démocratie et la justice, nous ne pouvons laisser combattre seuls la répression. » [2].
Le social et le démocratique. Des enjeux sociaux commencent à apparaître, en lien avec la question démocratique. Cela transparaît dans la déclaration de la HKCTU citée ci-dessus : « Le Congrès national du peuple doit retirer le ‘faux suffrage universel’. Le gouvernement de Hongkong doit recommencer la consultation sur la réforme politique. Les travailleurs ont demandé un système électoral équitable pour remédier au problème de longue date, un gouvernement qui penche vers les mieux d’affaires. ».
Même si une réforme électorale équitable ne supprimera pas par elle-même la suprématie des milieux d’affaires, les restrictions démocratiques renforcent leur main mise sur le territoire. Or, les inégalités sociales se creusent et la précarité s’étend, à l’instar de ce que se passe en Chine continentale, et « l’ascenseur social » est en panne. La HKCTU n’est pas en mesure d’organiser une grève générale d’ampleur, mais des mouvements de luttes ont eu lieu. De façon plus générale, en dehors des heures de boulot, une interaction entre étudiants et travailleurs a bien lieu.
Dans un appel à la solidarité internationale, la HKCTU explicite plus avant le lien entre droits démocratiques et sociaux : « N’étant pas élu par ‘une personne, un vote’, le gouvernement de Hongkong a manifesté une position clairement procapitaliste concernant les politiques publiques en matière de travail et de services sociaux, aux dépens des intérêts des travailleurs et des syndicats indépendants. Des législations favorables au travail sur les conventions collectives, le temps de travail standard et la sécurité sociale universelle, etc., ont été bloquées. Les syndicats indépendants ont été discriminés par les employeurs ; et n’auront pas de place pour survivre sans démocratie politique. » [3].
La Confédération a lancé un appel à la solidarité du mouvement syndical international ; au 30 septembre déjà, 19 syndicats avaient signé une déclaration commune de soutien [4].
La menace. A Hongkong, tout le monde a en mémoire la répression sanglante en 1989 du Mouvement démocratique, mais la situation est différente : la direction du PCC ne craint pas de perdre comme il y a 25 ans le contrôle général des événements sur le continent. Mais elle n’est pas décidée pour autant à laisser la désobéissance civile s’installer durablement dans le territoire.
Pékin a commencé par faire donner les milieux économiques. Une délégation de 70 hommes d’affaires parmi les plus puissants s’est rendue dans la capitale chinoise pour faire le point. La direction du PCC rappelle à l’occasion que s’ils n’ont pas sombré dans la tourmente des crises financières (1997, 2008), c’est bien grâce à l’appui reçu de la République populaire – et parce que la bourgeoisie bureaucratique du continent s’accommode fort bien du capitalisme hongkongais qui lui a offert une précieuse porte ouverte sur le marché mondial.
Plusieurs membres de la délégation se sont empressés de mettre en garde les étudiants, brandissant le spectre d’une déstabilisation institutionnelle et économique du territoire. Mais cela n’a pas suffi. Le 3 octobre, le PCC a franchi un pas de plus en mobilisant des gangs (triades) pour harceler, provoquer et attaquer les manifestant.e.s dans les quartiers populaires tel Mong Kok. L’objectif est de créer un climat d’insécurité physique inquiétant la population et d’isoler le mouvement d’occupation qui bénéficie toujours d’un large soutien populaire, les habitants des quartiers fournissant nourriture, eau, etc.
Ces attaques ont suscité une nouvelle condamnation de la part de la HKCTU qui en à appelé à nouveau à « soutenir les étudiants, les travailleurs et les citoyens du mouvement Occupy » et réclamant « une enquête sur les hommes de main » qui les ont menées [5].
Malgré ces attaques, l’occupation s’est poursuivie dans divers quartiers de la ville [6], cependant un certain nombre d’organisations progressistes pensent qu’il est nécessaire de se replier sur Central pour donner moins de prise aux provocations : la Fédération des étudiants, mais aussi Globalization Monitor, Neighborhood and Workers Service Centre, Link of Social Democrates, Pioneer [7]… Cela n’a pas empêché, le 4 octobre, la poursuite de l’occupation à Mong Kok et Causeway Bay, alors qu’un rassemblement massif se tenait Admiralty [8]. Manifestantes et manifestants demandent toujours la démission du chef de l’exécutif.
Que le mouvement rebondisse dans les jours qui viennent ou pas, la question du suffrage universel et de la démocratie à Hongkong ont été posées avec tant de force qu’elle ne peut plus être ignorée. L’illégitimité du système en place et la collusion antidémocratique du régime de Pékin avec les principaux hommes d’affaires de l’île ont été mises à nue.
L’écho dans le « monde chinois ». Tout le « monde chinois » est concerné par le combat engagé à Hongkong. Pékin craint évidemment la « contamination » démocratique en Chine continentale. Le régime abuse des médias et censure Internet pour déconsidérer le mouvement.
Par ailleurs, les événements trouvent un écho particulier à Taïwan, où d’importantes mobilisations ont eu récemment lieu contre la signature d’un traité de libre-échange sino-taïwanais. La République populaire (Pékin) et la République de Chine (Taïpei) étaient hier en état de guerre latente. Aujourd’hui, une alliance se noue entre la bourgeoisie bureaucratique du PCC et une partie des élites taïwanaises pour assurer la bonne marche de leurs affaires, de part et d’autre du détroit, et pour renforcer le contrôle des institutions de l’île, des réformes engagées depuis 1996 ayant instauré, selon les termes d’un chercheur engagé, Poe Yu-ze Wan, une « démocratie libérale inachevée » [9].
Le « modèle de Hongkong » – « un État, deux systèmes » ou « un pays, deux systèmes »– devait servir de référence au rapprochement sino-taïwanais. Il est mis en cause aujourd’hui par le refus de Pékin d’honorer ses engagements en matière de suffrage universel dans l’ancienne possession britannique [10].
Un mouvement en pleine évolution. Le référendum et les premières manifestations pour l’élection libre du chef de l’exécutif ont été initiés dès la mi-2013 dans le cadre d’« Occupy Central with Love and Peace » (OCLP). Le relais a été pris en septembre par la Fédération des étudiants (HKFS), puis il s’est élargi, devenant largement spontané [11], en quelque sorte « sans direction » [12].
Avec le recul, l’occupation massive de quartiers de Hongkong apparaît à la croisée de trois « lignées ». Un mouvement international contemporain d’« occupations », inauguré en 2011 en Egypte et qui s’est répété depuis en de nombreux pays. Une mémoire chinoise très vivace dans le territoire ; à savoir celle du Mouvement du 4 Juin 1989, cristallisé par l’occupation de la place Tiananmen à Pékin. L’affirmation récente à Hongkong même d’une aspiration démocratique profonde, tout particulièrement portée par une nouvelle génération, dans le cadre d’une aggravation de la situation sociale pour les travailleurs et des débouchés professionnels pour les étudiants.
Le mouvement est certes composite, mais reflète pour l’heure un processus très rapide de politisation progressiste. Que tout cela se produise au sein du « monde chinois » est extrêmement important. Les enjeux – démocratiques, sociaux et régionaux – de ce qui se passe à Hongkong sont donc considérables.
Le processus de désignation du chef de l’exécutif dans le territoire de Hongkong
Un collège électoral restreint (7%) élit un comité de nomination au poste de chef de l’exécutif composé de 1200 membres.
Les candidats sont élus (avant 2017) par ce comité à la majorité simple (relative), et à partir de 2017 à la majorité absolue (plus de 50%) – soit 601 votes minimum.
Un nombre limité de candidats (deux ou trois) est soumis au suffrage universel (3,5 millions de personnes de plus de 18 ans).
[1] « Occupons Central avec Paix et Amour ». « Central » est un quartier d’affaires, le centre financier de Hongkong.
[2] Voir sur ESSF (article 33118), Hong Kong Confederation of Trade Unions (HKCTU) strongly condemns the police crackdown of people’s protest by Hong Kong government.
[3] Voir sur ESSF (article 33181), Petition : Stop the suppression of democratic movement in Hong Kong.
[4] Voir sur ESSF (article 33170), Joint Statement in response to HKCTU call to international union movement to support Hong Kong people’s protest for genuine universal suffrage.
[5] Voir sur ESSF (article 33183), Hong Kong Confederation of Trade Unions (HKCTU) Strongly Condemns Violent Attacks on Occupy Movement Protesters.
[6] Voir la déclaration de Left 21sur ESSF (article 33179), Statement : Strong condemnation on violence towards the Occupy Movement in support of Hong Kong citizens fighting for universal suffrage.
[7] Voir sur ESSF (article 33184), « Today Hong Kong’s rule of law and basic human rights were totally violated » .
[8] Voir Bai Ruixue sur ESSF (article 33187), Hong Kong : Massive rally “Citizens Stand Against Violence/Peaceful Resistance” called in Admiralty.
[9] Voir un article de cet auteur à paraître dans le prochain numéro des Cahiers de l’émancipation (revue Contretemps).
[10] De petits groupes de droite ou nostalgiques de l’ère coloniale évoquent l’indépendance de Hongkong. La politique de Pékin peut mettre en cause la possibilité de réaliser à l’avenir « une seule Chine ». Mais soulever cette question dans le contexte présent relève de la provocation aux yeux de la majorité des acteurs du mouvement démocratique
[11] Voir Dorothy Grace Guerrero sur ESSF (article 33163), Hong Kong’s Umbrella Revolution : A Game-Changing Social Movement ? et Sophia Chan, ESSF (article 33162), Interview from a member of Left21 : 10 things you need to know about the protests in Hong Kong.
[12] Bai Ruixue sur ESSF (article 33161), Occupy Hong Kong – An update on events of the last few days.
Source : ESSF