Nous étions quelques-uns de la Marche des Migrants de La Louvière à rejoindre les 250 à 300 militants qui, ce lundi 14 mars après-midi, manifestaient devant la vertigineuse façade couleur bronze du WTC II qui abrite l’Office des Etrangers. Strictement contenus sur le trottoir d’en face par un cordon de flics sanglés et harnachés de leurs panoplies de robocops, nous lancions nos slogans et brandissions nos calicots et tout semblait dérisoire face aux portes fermées du mastodonte de béton, de verre et d’acier à l’intérieur duquel, contrairement à ce qui avait été promis, aucune délégation ne fut autorisée à entrer.
Et ce soir-là Hamed Karimi (porte-parole des Afghans), Aliou Diallo (du mouvement Ebola)- tous deux militants du mouvement des sans-papiers- et tant d’autres ont dormi en prison au Centre Fermé de Vottem en attendant leur expulsion vers des zones dangereuses et des pays en guerre…
Lundi, on nous avait signifié une fin de non-recevoir mais on nous donnait cependant un autre rendez-vous ce jeudi avec Freddy Roosemont, Directeur de l’Office des Etrangers, avec la promesse que Hamed ne serait pas expulsé d’ici-là…
Mais pour quelle mascarade ? À quoi aurions-nous eu droit ? À la morgue glaçante d’un fonctionnaire qui, sûr de son bon droit, affirmerait calmement qu’en Belgique en 2016 on peut renvoyer en toute légalité un être humain vers une mort possible parce que sa x ème demande n’a pas abouti, qu’il est en séjour illégal et qu’il n’a jamais répondu à un ordre de quitter le territoire ?
Entre-temps, l’administration a décidé de renier son engagement et aujourd’hui la nouvelle est tombée : notre camarade Hamed a été expulsé mercredi « sans incident »(sic) via l’aéroport de Schipol et se trouve déjà en Afghanistan. Ce sont donc 150 militants amers et enragés qui se sont retrouvés aujourd’hui sur ce même trottoir du boulevard d’Anvers brandissant leurs petites pancartes « HONTE » au-dessus des calicots qui claquaient dans le courant d’air glacial.
Encadré« Le secrétaire d’État à l’Asile et aux Migrations Théo Francken (N-VA) tente coûte que coûte d’empêcher les sans-papiers de porter la question du droit des personnes migrantes sur la scène publique », estime Nicha Mbuli, du Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (MRAX). Fin de l’encadré
Qui est Hamed Karimi ?
Hamed se trouvait en Belgique depuis 12 ans et tous ceux qui militaient avec les sans-papiers l’ont croisé dans toutes les manifs, au carrefour Arts-Loi, lors de ces assemblées, de ces marches qui ont sillonné la Belgique. Il prenait la parole lors des meetings syndicaux, dans les délégations et il était devenu depuis 2014 le porte-parole des Afghans, alors qu’il était une des chevilles ouvrières de l’occupation de l’Eglise du Béguinage. Depuis, il était devenu une figure incontournable de la Coordination des sans-papiers.
Hamed faisait partie de ces dizaines de milliers de citoyens de seconde zone qui vivent dans l’ombre sur notre terre de Belgique. Ceux pour qui c’est tous les jours « au jour le jour » ! Ceux pour qui c’est le règne de la débrouille, du travail au black, des squats et des apparts insalubres. Ceux qui sont victimes de ces patrons crapuleux qui profitent de leur précarité extrême pour les exploiter. Ceux qui rentrent la tête dans les épaules et changent de trottoir à chaque fois qu’ils croisent un flic, à chaque gyrophare au coin de la rue…
Mais depuis longtemps Hamed avait compris que la seule manière de s’en sortir, c’est ensemble, en croisant les solidarités, en s’organisant avec ceux qui défendent tous les travailleurs, avec et sans-papiers ; il s’était engagé syndicalement car il avait bien compris à quel point l’enjeu était important…
Le temps des rafles est revenu !
Le 2 mars, Hamed a été arrêté par une escouade de 9 policiers (dont certains étaient armés de mitraillettes) devant un domicile communautaire qu’il occupait à Etterbeek avec une quinzaine d’autres demandeurs d’asile afghans, en bonne intelligence avec la commune qui est propriétaire des lieux. Il a immédiatement été envoyé à Vottem et un ultime recours en extrême urgence a été refusé quelques jours plus tard. L’émotion est très forte chez les militants de la coordination : « Cette arrestation est calculée et a une visée politique. S’ils sont capables d’arrêter le porte-parole des Afghans devant chez lui, c’est qu’ils sont passés à la vitesse supérieure, ils veulent faire un exemple pour faire peur à tous les militants. Ce n’est évidemment pas une coïncidence s’ils ont aussi arrêté un peu plus tard Aliou Diallo !».
Encadré « Quand on arrête un porte-parole des sans-papiers, quand on criminalise un délégué syndical, quand on barricade le droit de grève, c’est pour faire taire la contestation sociale dans son ensemble. Et c’est le signe que la démocratie vacille.
Pour ces raisons, La CSC et la FGTB condamnent fermement l’arrestation d’Hamed Karimi.
Nous exigeons sa libération.
Nous rappelons que la régularisation des sans-papiers sur base de critères clairs et permanents et la mise sur pied d’une commission de régularisation permanente sont les conditions qui permettront d’éviter la précarisation de plus de 150 000 personnes en Belgique. »
(Communiqué commun de la CSC et de la FGTB vendredi passé) fin de l’encadré
Mobilisons-nous !
Cette expulsion d’un porte-parole des sans-papiers est humainement inacceptable ! Elle est aussi une atteinte à la liberté d’expression, d’organisation et d’action ! Elle révèle une volonté de casser le mouvement des sans-papiers et s’inscrit bien dans la logique de ce gouvernement de limiter fortement la liberté d’action de toutes celles et ceux qui s’opposent à sa politique. Au-delà de l’action de cette après-midi, il faut préparer une mobilisation forte pour défendre le mouvement des sans-papiers, la liberté d’action de celui-ci et nos libertés en général.
Libération des autres camarades !
Suppression des centres fermés et régularisation de TOUS les sans-papiers !
Marche des Migrants La Louvière, le 14 mars (mis à jour le 17 mars)