Le dimanche 22 mars, le CRACPE organise une manifestation au centre fermé pour étrangers à Vottem (Liège). Le CRACPE (collectif de résistance aux Centres pour Etrangers) regroupe plusieurs dizaines d’organisations de la région liégeoise, organisations syndicales (dont la FGTB et la CSC), associatives, culturelles, politiques (LCR, PC, PTB, PSL, Ecolo).
Cette manifestation annuelle revêt, cette année, un caractère plus important encore, avec le durcissement de la politique belge en matière d’asile et d’immigration, opéré par le gouvernement précédent et amplifié par l’actuel gouvernement Michel-De Wever.
La Gauche, périodique de la LCR, a interviewé France Arets, porte-parole du CRACPE, déléguée syndicale CGSP-Enseignement et militante de la LCR.
« Vottem, camp de la honte », c’est le titre que vous donnez à l’appel pour cette manifestation annuelle. Qu’est-ce à dire ?
France Arets : Ce terme est encore bien faible. Le centre fermé de Vottem, comme les autres centres fermés, est une prison qui cache bien son nom et où s’exerce une violence quotidienne à l’égard de personnes, des sans papiers sans titre de séjour. C’est même pire qu’une prison, et cela pour des étrangers qui n’ont commis aucun acte « criminel ». Ainsi, depuis juillet 2014, et cela suite à une décision du précédent gouvernement, a été ouverte à Vottem une aile « spéciale » pour les détenus considérés comme « ingérables » : ceux qui osent se rebeller, mais aussi de grands malades qui devraient être soignés dans une institution adéquate. Cette section permet de maintenir en isolement des personnes, pendant des semaines et même des mois, sans aucune réglementation. Nous avons demandé à des députés de la région (PS, ECOLO et PTB) de faire des interpellations parlementaires au sujet de ces conditions de détention bafouant les Droits Humains.
Où en est-on actuellement avec la politique belge en matière d’asile et d’immigration ?
France Arets : Suite à de multiples actions et mouvements des sans papiers, avec le soutien grandissant d’associations, nous avions, en 2009, poussé le gouvernement Van Rompuy à réaliser une opération ponctuelle de régularisation pour quelque 30 000 personnes. Cette opération a néanmoins laissé sur le carreau un grand nombre de personnes qui n’avaient pu réunir à temps les documents nécessaires. La « régularisation par le travail » a aussi été un échec, peu de patrons osant s’engager à fournir un contrat de travail à quelqu’un qui n’avait pas encore de titre de séjour.
Le gouvernement Di Rupo, mis en place, fin décembre 2011, avec la si populaire secrétaire d’Etat à l’Asile et Immigration, Maggie De Block, s’est empressé de jeter à la poubelle les instructions de régularisation. En 2013, à peine 25% des demandeurs d’asile obtenaient le statut de réfugiés ou la protection subsidiaire, en cas de guerre dans le pays d’origine. Le nombre de rapatriements forcés et celui des retours dits « volontaires » allait fortement augmenter : 10 439 éloignements en 2013, contre 7842 en 2009. On ne fait pas dans le détail : des personnes gravement malades, des familles installées depuis des années avec des enfants scolarisés, des « opposants » à des régimes musclés sont renvoyés dans leur pays d’origine. En 2013 également, ce sont 6 287 personnes qui étaient expédiés en centres fermés, dont 973 au centre fermé de Vottem.
Et Le gouvernement actuel, que fait-il ?
France Arets : Le gouvernement Michel-de Wever, avec son illustre secrétaire d’Etat à l’asile et à l’immigration, Théo Franken, passe à la vitesse supérieure, dans le discours et les mesures de stigmatisation et de criminalisation des demandeurs d’asile : tous des fraudeurs et de menteurs ; il faut les décourager et les pénaliser. Les expulsions et rapatriements forcés vont en augmentation. C’est la chasse aux cohabitants et aux mariages dits de complaisance ; c’est la création de places supplémentaires en centres fermés. On a le projet d’ incarcérer à nouveau les familles avec enfants, dans des pavillons à construire à côté du 127 Bis, ce qui n’existait plus depuis 2009. La Belgique avait d’ailleurs été condamnée à trois reprises, par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, en ce qui concerne la détention d’enfants en centres fermés.
Pour diminuer le nombre de demandes de titre de séjour, une grande partie d’entre eux sont devenus payants depuis ce 1er mars, par exemple 215 euros pour introduire à la Commune une demande de régularisation.
La manifestation du dimanche 22 mars au centre fermé de Vottem sera une nouvelle occasion de réaffirmer les revendications du CRACPE !
France Arets : Nous continuons bien sûr à exiger la suppression pure et simple des centres fermés pour étrangers, de même que l’arrêt immédiat des expulsions. Nous continuons à revendiquer la régularisation des sans papiers. A ce propos, il n’y a toujours pas de critères clairs de régularisation, ni de commission permanente de régularisation indépendante de l’Office des Etrangers, ce que nous revendiquons depuis des années avec les mouvements de sans papiers. Ces revendications s’inscrivent pour nous dans une politique d’asile et d’immigration qui respecte les Droits Humains.
Précisément, plusieurs textes –Déclaration universelle, Conventions, plusieurs Arrêts de la Cour européenne… des Droits de l’Homme – posent les bases d’une politique d’asile et immigration digne de ce nom !
France Arets : Pour nous, la liberté de circulation, le droit de s’établir dans un autre pays, de vivre en sécurité, avec sa famille, sont des droits humains fondamentaux à respecter. Ce n’est pas par plaisir, mais au péril de leur vie, que des milliers de migrants cherchent à gagner l’Europe. De 2000 à 2014, plus de 20 000 personnes ont péri, dont beaucoup noyées en Méditerranée, par des voies de plus en plus hasardeuses et dangereuses. L’Europe « forteresse », qui ferme ses frontières, qui envoie des forces militaires patrouiller sur terre et mer pour arrêter les migrants, est bien loin d’accueillir « toute la misère du monde ». La plupart des migrants se réfugient près de leur pays d’origine et dans des pays où règne la guerre, la misère. Voyez les Syriens ! Ils sont plus de deux millions avoir fui la guerre et à se réfugier au Liban, en Turquie, en Jordanie, en Irak, ou en Egypte. Ils sont à peine 2000 à avoir demandé l’asile en Belgique.
La gangrène du racisme, de la xénophobie poursuit sa progression insidieuse. Et certains s’en accommodent bien !
France Arets : le refus de plus en plus systématique d’octroyer un titre de séjour aux demandeurs d’asile a engendré un développement de la précarité des migrants et de la surexploitation par des réseaux de travail clandestins, comme on peut le constater, régulièrement, dans la construction, l’agriculture, l’Horeca, le nettoyage…cela crée de nouvelles catégories de personnes, de travailleurs, sans droits. Le seul moyen de sortir de cela est la régularisation des sans papiers.
Comment ne pas évoquer ici une autre situation bien d’actualité : l’exclusion de milliers de personnes du droit aux allocations de chômage, des personnes dont un bon nombre va se retrouver sans ressources. C’est la porte ouverte au travail « au noir », à l’acceptation forcée de n’importe quel boulot, avec un seul droit, celui de « la fermer ».
Une raison supplémentaire, pour le mouvement syndical, de mener un combat conjoint avec tous les travailleurs actifs et privés d’emploi, avec et sans papiers !
Propos recueillis par Denis Horman