Le vendredi 11 mars 2016, la Formation Léon Lesoil/Liège organisait une conférence-débat sur « Onde de choc sécuritaire- Urgence démocratique et sociale »!
Matilde Dugaucquier, militante de la LCR-JAC, était une des trois oratrices à cette conférence.
Vous trouverez ci-dessous l’intégralité de son intervention.
Dans le sillage des attentats de Paris, une contribution externe publiée sur le site de la LCR/SAP (« La menace fantôme », datée du 25/11/2015) soulignait avec raison que le tout sécuritaire pour un risque zéro est immanquablement voué à l’échec et que pouvoir prendre la probabilité et l’imprévisibilité en considération, constitue également un défi politique.
L’auteure ne voulait pas dire par là qu’on ne peut pas travailler à la diminution des risques (cela peut se faire en analysant les différents facteurs de risque et en épinglant ceux sur lesquels il y a moyen d’agir). Mais que la logique d’éradication DU risque – de tout risque – elle, est totalitaire et entraîne des politiques liberticides, des politiques préventives de fichage dès le plus jeune âge, etc…
De fait, le caractère arbitraire, voire absurde et inefficace des mesures sécuritaires imposées à la capitale dans le cadre du niveau d’alerte 4 maintenu du 21 au 28 novembre, montre clairement que celles-ci avaient bien d’autres fonctions que celle de nous protéger contre d’éventuelles attaques.
En revanche, ces mesures et l’arsenal proposé ensuite à la Chambre ont eu au moins deux effets bien réels :
- Elles ont posé une chape de plomb idéologique, qui est plus ou moins parvenue à étouffer toute contestation de la politique du gouvernement sous la bannière de « l’unité nationale ».
> Dans les jours qui ont suivi l’annonce de l’état d’alerte 4, toute contestation de cette politique était ainsi montrée du doigt comme faisant le jeu de l’ennemi et toute l’opposition, même considérée comme « de gauche » (PS et PTB compris), s’est bien sagement rangée derrière le gouvernement de droite.
Comme on le sait, cela s’est traduit par l’interdiction de toute une série d’événements publics (conférences, manifestations…) et la diabolisation à outrance des militant.e.s qui restaient mobilisé.e.s, notamment les militant.e.s syndicaux.
- Elles ont également contribué à la cristallisation de l’image de l’ennemi intérieur, dans la figure du militant.e notamment syndical -l’affaire du délégué CGSP-Cheminot, Jordan Croeisaerdt-, mais aussi et surtout dans celle du/de la migrant.e, du/de la réfugié.e en particulier issu.e du Moyen-Orient, de la population toujours considérée comme « issue de l’immigration », en somme du/de la musulman.e ou en tout cas perçu.e comme tel.
Pour parfaire cette construction, on en est venu à créer des zones d’exception, au travers notamment du « plan Molenbeek » (devenu depuis « plan Canal » puisqu’il touche désormais 5 communes bruxelloises) annoncé en grande pompe par Jan Jambon. Les médias s’en sont donné à cœur joie, puisque tout était permis en termes de racisme et d’islamophobie.
Il s’agissait, en somme, d’imposer un climat de peur relevant de la « stratégie du choc » (telle que l’a théorisée Naomi Klein), qui devait permettre de nous faire avaler en quelques jours le programme néolibéral autoritaire concocté par la NV-A pour les 20 prochaines années, et donc par là même le programme de l’extrême droite.
Comme l’histoire nous l’a montré à plusieurs reprises, l’imposition d’un tel programme exige que la population, notamment la part de la population traditionnellement organisée dans les organisations militantes, soit dépossédée de ses moyens d’action et de riposte.
Ce n’est donc pas un hasard si, comme le soulignait également la contribution évoquée précédemment, dans le sillage du « Brussels lockdown » le seul signal qui a été envoyé à la population était : « non seulement vous êtes menacés mais en plus vous ne pouvez rien y faire; veuillez mettre vos vies entre les mains des militaires et de la police et tout faire pour ne pas entraver leur travail ».
Depuis lors, la présence militaire dans les rues de la capitale semble d’ailleurs parfaitement normalisée aux yeux de Mr et Mme tout le monde, alors qu’aucune cache d’arme n’a été trouvée et qu’aucun suspect pertinent pour l’enquête sur les attentats de Paris n’a été arrêté.
Dans une certaine mesure, le gouvernement a donc réussi son tour de force, en plongeant l’ensemble de la population, militante et organisée ou non, dans l’apathie la plus totale.
On l’a dit, le mouvement syndical a de facto renoncé à son plan d’action. À titre d’illustration parmi tant d’autres, au hall où la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés accueillait à l’époque les nouvelles arrivées, on a fermé boutique jusqu’à ce qu’on ait le feu vert pour rouvrir, en pleine période hivernale et alors que ce dont on avait le plus besoin à ce moment c’était justement d’une solidarité ré-affirmée avec les réfugié.e.s.
Dans ce tableau noir, on a quand même vu quelques lueurs d’espoir dans les jours qui ont suivi l’introduction du niveau d’alerte 4, sous la forme de désobéissance à cette injonction à rester chez soi :
- Le maintien de la grève de 24h dans le Hainaut.
- Diverses initiatives « contre la haine » à caractère plus ou moins citoyen, en Flandre (Anvers, Gand), à Tournai à l’initiative des réfugié.e.s et à Molenbeek notamment.
- A Liège, la plateforme « Pas en notre nom », une initiative citoyenne large, qui regroupe associations et organisations politiques, a manifesté devant le siège local de la RTBF pour faire faire entendre une autre voix face à au traitement médiatique des événements par le service public ;
- Le plus encourageant a été la réussite, en dépit des interdictions de manifester imposées tant en France qu’en Belgique et des interdictions de passer les frontières, des manifestations pour le climat dans le cadre de la COP 21 qui se tenait à Paris.
Le 29 novembre, des chaînes humaines pour le climat ont eu lieu simultanément à Paris et à Bruxelles, en même temps que d’autres actions « décentralisées » dans d’autres villes. L’événement de Bxl à réuni plus de 4000 personnes, ce qui était une réussite au-delà des attentes des organisateurs.
Le 6 décembre, la marche pour le climat à Ostende a réuni plus de 10 000 personnes, ce qui était également une réussite au-delà de toutes les attentes.
Les manifestations pour le climat revêtaient un caractère particulièrement important pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les chefs d’État et de gouvernement réunis à Paris ayant au préalable vendu le sommet aux multinationales, François Hollande avait, bien avant les attentats, tout mis en place pour étouffer la contestation durant celui-ci.
Il était donc initialement prévu de fermer les frontières pour empêcher l’arrivée des activistes internationaux. Pendant le sommet, on a également appris que « fiche S » ne désignait pas une « fiche salafisme » mais « fiche sécurité » et on s’est rendu compte que de nombreux activistes pour le climat avaient été fichés, de la même manière que les potentiels « terroristes », et assignés à résidence.
Ensuite, le climat, c’est un peu le domaine par excellence où des secteurs très larges de la société dans son ensemble ont compris qu’on ne peut laisser le problème dans les mains des dirigeants, qu’il faut absolument rester mobilisé, si on ne veut pas voir le climat sacrifié sur l’autel du profit. Annuler la mobilisation revenait donc à capituler sur tous les plans, car tout l’enjeu, justement, se trouve là.
Il s’agit de reprendre le contrôle de nos vies face à un gouvernement (des gouvernements en l’occurrence) qui voudrait que l’on reste silencieux et silencieuse face à la délégation du contrôle du pays à des organes de sécurité qui échappent à tout contrôle démocratique, tels que l’Ocam et le Conseil national de sécurité. Cette situation donne immanquablement lieu à toute une série de bavures de la part de ces organes et de leur bras armé, police et armée, ce qui alimente le cycle du rejet et de la haine depuis des années…
À ce sujet, la LCR/SAP avait d’ailleurs été à l’initiative, suite à l’introduction du niveau d’alerte 4, d’un appel à exiger la lumières sur les mesures et à désobéir purement et simplement à l’injonction à rester chez soi. (Cet appel, « De la peur à la résistance – Urgence démocratique ! », a été signé par une série de personnalités, intellectuel.le.s, militant.e.s, etc. et publié le 28/11/2015)
Pour nous, il s’agit donc de refuser l’état d’exception et de ramener les problèmes relégués au domaine du « sécuritaire », qui requiert forcément des mesures d’exception, au domaine de la politique quotidienne, de se les réapproprier afin de pouvoir imposer un contrôle démocratique. Cela peut se faire par plusieurs moyens :
- On l’a dit, il faut reprendre la rue en étant présent.e.s en masse aux mobilisations. En ce sens, le mouvement syndical a une responsabilité majeure dans la résistance au changement de régime qui a lieu petit à petit sous nos yeux.
Mais il y a d’autres mobilisations importantes comme la Grande Parade de Tout Autre Chose le 29 mars ou les mobilisations de solidarité avec les réfugié.e.s, grâce auxquelles on résiste aussi aux tentatives de faire de ceux-ci les boucs émissaires tous désignés dans la situation actuelle (prochaine mobilisation le 16 mars).
L’occupation sur le plus long terme de l’espace public est également importante, pour créer un contre-discours, comme l’a montré l’occupation du Parc Maximilien dans le cas des réfugié.e.s.
- Il faut aussi ouvrir des espaces de parole tels que celui d’aujourd’hui. À Bruxelles, la plateforme « Stop à l’état guerre » ( comme « Pas en notre nom » à Liège) vise justement à faire cela : à mettre en réseau les initiatives de résistance, à ouvrir des espaces où on peut construire ensemble de nouvelles formes.
L’un des enjeux majeurs ici est de parvenir à connecter nos initiatives à celles des quartiers populaires qui, aujourd’hui à Bruxelles, souffrent et sont véritablement en proie à la peur. Ce n’est pas facile et il est clair que nous n’y sommes pas encore.
Mais, par exemple, nous essayons de travailler de concert avec des initiatives locales de Molenbeek, notamment le Comité des parents contre les violences policières ou la Cellule d’Observation et d’Écoute Citoyenne, qui s’est formée suite à l’annonce des plans de Jan Jambon. Iol s’agit de collecter dans la commune, les témoignages et fournir un soutien aux personnes et aux familles qui subissent la brutalité policière.
Il s’agit aussi évidemment de travailler au re-tissage de liens sociaux, via des initiatives locales.
- À partir de là, il nous appartient de créer une contre-hégémonie, c’est à dire un discours, une narrative sur les événements de ces dernières semaines à opposer à celle de nos gouvernements.
Notre narrative ne peut être diffusée que par des réseaux d’informations alternatifs, qu’il convient de développer.
C’est d’autant plus important que l’on sait que parmi les facteurs qui poussent les jeunes – nos jeunes – dans les bras de Daesh, on trouve, dans les premières places, l’isolement, le manque de perspectives et l’absence d’idéal. Ces jeunes sont en effet avant tout séduits par un projet et un sentiment d’appartenance que « nous », la société dans son ensemble mais aussi les mouvements, devrions être capables de leur proposer.
Il nous faut donc imposer l’idée que la meilleure manière d’être solidaires avec les peuples Syrien, Palestinien, Libanais et autre, c’est de nous battre contre nos propres gouvernements.
Il nous faut également imposer l’idée selon laquelle le droit à vivre en paix et dans la sécurité est inséparable d’un tournant radical vers la justice sociale, l’égalité des droits, la satisfaction des besoins, le partage des richesses et le respect