Il arrive que j’achète en seconde main de la poésie. Un de ces achats, fait en Angleterre le 29 novembre 1995 (j’indique toujours la date de mes achats littéraires, ça me permet de reconstituer une certaine chronologie dans ma vie), est l’œuvre d’un certain Charles Kingsley, publié pour la première fois en 1889. Mon exemplaire qui date de 1903, porte sur le revers de la couverture un cachet qui dit « Royal Hospital & Home For Incurables – Putney », en français « Hôpital et Hospice Royal pour Incurables à Putney». Le plus consternant c’est le poème qui figure à la page 211 et qui porte le titre latin (mais facile à traduire) « Hypotheses Hypochondriacae », et qui commence avec les vers : « Et si elle meurt, sa tombe sera creusée sur le sommet dénudé d’une colline ensoleillée », etc. Tout cela pour réjouir le cœur de l’incurable.
Supposons que je suis un patient de cet hôpital, que j’aime lire de la poésie, surtout les jours où il pleut et où je m’emmerde. Je retourne de la bibliothèque, je m’installe sur une chaise longue dans la véranda où m’attend le thé de quatre heures, j’ouvre le bouquin et j’apprends que je suis incurable. Drôle de façon d’informer les patients sur leurs espoirs de vie. Mais, objectez-vous, puisque l’hôpital porte le nom qu’il a, ses patients sont déjà informés de leur mort prochaine. Dac, mais pourquoi le leurs rappeler chaque fois qu’ils empruntent un livre ? Et puis, ça va à l’encontre de cette mentalité anglaise qu’on nomme hypocrisie. De ce fait je conclus que le médecin-directeur de cet institut n’était certainement pas British, mais Allemand ou Pakistanais, en tout cas originaire de ces continents ou bien isolés par une Mer du Nord peuplée de harengs ou par une Mer Rouge infestée de requins.
La preuve de cette mentalité hypocrite et l’origine de mes préjugées ? Elles viennent de la façon avec laquelle beaucoup Anglais réagissent quand, dans une discussion, ils ne sont pas ou pas tout à fait d’accord avec vous. Leur réactions verbales sèment chez leurs interlocuteurs de l’autre côté de la Manche, qui ne sont pas accoutumés à la civilité anglaise, beaucoup de confusion. Voici quelques exemples que j’ai traduits aussi bien que possible. D’abord ce que l’Anglais dit, puis le sens réel de ce qu’il dit, et enfin ce que l’interlocuteur barbare a compris.
1/ J’entends ce que vous dites. 2/ Je ne suis pas d’accord, mais j’arrête la discussion. 3/ Ah, il est d’accord.
1/ Avec le plus grand respect. 2/ Vous avez tort, vous êtes un imbécile. 3/ Il m’écoute.
1/ Pas mal. 2/Très bien. 3/ C’est mauvais.
1/ Ce serait bien si… 2/ C’est un ordre. 3/ Faites ce que vous voulez.
1/ Très intéressant. 2/ Je ne suis pas d’accord. 3/ Il est impressionné.
1/ Plutôt originale, votre idée. 2/ Vous êtes fou. 3/ Il aime mon idée.
La manière de converser fait partie de la culture et est l’expression de certains aspects d’une culture spécifique. Celui ou celle qui a le projet d’aller travailler en Grande-Bretagne peut se procurer chez moi la liste entière de ces expressions en langue anglaise. Contactez-moi.
(La semaine prochaine : Décadence)
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photomontage (avec gravure de l’hôpital en question et article de l’époque): Little Shiva