Entretien avec Irène Pêtre, ancienne permanente CNE-commerce et signataire de l’appel de soutien aux listes PTB-GO!
La Gauche: Les valeurs de gauche que tu défends sont ancrée dans ce que tu as vécu à travers ton expérience professionnelle et syndicale. Tu peux nous résumer ton parcours?
Irène Pêtre: J’avais commencé des études d’assistante sociale mais, comme ça consistait à remettre les gens dans le système et pas à changer le système ça ne m’allait pas. J’ai alors commencé à travailler comme secrétaire à 19 ans et, quand j’ai été enceinte de mon premier enfant, dans ma conception de l’époque, j’ai décidé d’arrêter de travailler. Vers 30 ans, je me suis dit que ma vie ne pouvait pas se limiter à ça. J’ai commencé l’ISCO puis j’ai remplacé la secrétaire de Raymond Coumont, une figure de l’histoire de l’autogestion en Wallonie qui menait un syndicalisme de combat qui me plaisait bien, avec les sablières marchand, du balai libéré, ou bien les actions de solidarité avec le Parisien libéré en grève en France (comme les journaux étaient imprimés à Nivelles pendant la grève, les militants sont allés vider l’usine la nuit pour déchirer tous les journaux). Il y a syndicalisme et syndicalisme. C’est le syndicalisme de combat qui m’a toujours motivée et, jusqu’à présent, qui ne m’a jamais déçue malgré les circonstances difficiles dans lesquelles on doit travailler. Après ce remplacement, je suis passée peu de temps par le chômage avant d’être engagée comme secrétaire administrative à la cellule de reconversion de Glaverbel. C’est comme ça que j’ai rencontré André Henry et c’est en le voyant fonctionner que j’ai vraiment compris le rôle de l’assemblée syndicale. J’ai bassiné tous les délégués CNE commerce avec ça: il faut parler aux gens, les écouter dans les assemblées, c’est fondamental; c’est irremplaçable pour faire prendre conscience de la force collective. Ensuite, en 1986, je suis devenue permanente CNE commerce pour le Brabant Wallon, d’abord avec un mi-temps complété par un mi-temps de secrétaire. En 2001, je suis passée au niveau national jusqu’à ma pension en 2013.
L.G.: A quel niveau peux-tu relever l’absence de relais politique pour les revendications des mouvements sociaux et syndicaux?
I.P.: J’ai vu la situation se dégrader sur le terrain avec la disparition des conquis sociaux. Dans le commerce, le pire, c’est la franchise des magasins qui fait passer les travailleurs dans une commission paritaire moins intéressante sans délégation syndicale possible, avec des salaires et des avantages sociaux inférieurs de 30%. C’est en fait de la délocalisation adaptée au secteur du commerce. On ne se sortira pas de ce problème important sans décision politique. Syndicalement, on a mené des tas d’actions mais en étant toujours bloqués par des astreintes et les huissiers. Il faut donc mettre un coup de pied dans la fourmilière au niveau politique en obligeant les employeurs à accepter un statut de délégation syndicale. Mais je constate que personne n’a la volonté d’affronter les classes moyennes, très puissantes en Belgique. Les conquêtes sociales viennent du Mouvement Ouvrier et des travailleurs mais le politique doit être là pour prendre le relai Mais ce relai n’est plus là. Pire, le gouvernement n’y est pas pour rien dans la déglingue des conditions de travail puisque tout ce que les patrons n’ont pas via la concertation sociale, ils l’obtiennent par le biais du gouvernement qui cède en prenant les contraintes imposées par l’Europe comme prétexte. C’est ce qu’il s’est passé avec la législation sur les intérimaires qui a beaucoup évolué ces derniers temps. Dans ce contexte, j’ai aussi senti combien le sentiment antipolitique s’est développé chez certains militants. Sans alternative, ils s’abstiennent, votent blanc, voire carrément extrême droite.
L.G.: Ca fait un petit temps qu’on peut dresser ce constat. Pourquoi choisir aujourd’hui de passer le pas en soutenant les listes PTB-Gauche d’Ouverture?
I.P.: Avant, les petits partis, je ne m’y intéressais pas parce que je pense que le vote utile est important et que, si on veut que ça change, ça ne passe pas uniquement par la contestation, il faut se mouiller en intervenant dans les parlements. C’est pour ça que j’ai toujours voté PS, par résignation, par défaut. La goutte d’eau, ça a été le vote du TSCG, les réformes du chômage, le fait que ce sont les plus précarisés qui trinquent tout le temps, le PS qui s’excuse en prétextant que sans pouvoir absolu on ne peut rien faire alors qu’on constate que, dans les autres pays, là où ils ont ce pouvoir absolu, ils font les mêmes politiques, … Comme syndicaliste, je sais qu’on doit parfois faire des compromis. Mais quand il n’y a plus que ça et que tu te rends compte que tu ne fais plus que partager la misère c’est plus possible. En plus, cette attitude a du sens en temps de crise momentanée mais, quand la crise dure 50 ans, on doit en déduire qu’il faut aller plus loin, changer complètement le système. Le PS ne va pas du tout dans ce sens, au contraire. Alors, j’ai décidé que je ne voterai plus PS. En même temps, il y a eu la percée du PTB aux élections communales qui rend possible le vote utile à gauche du PS et d’Ecolo. Mais je n’aurais pas pour autant appelé à voter PTB parce que, même si j’apprécie l’ancrage de ce parti dans la population, je pense que la division de la gauche de la gauche est une mauvaise chose. Heureusement, l’ouverture s’est faite, certainement grâce à ce qu’il se passe à Charleroi sur le plan syndical, à la FGTB mais aussi en partie à la CNE. C’est cette ouverture qui m’a convaincue de soutenir les listes PTB-GO!
L.G.: En tant qu’ancienne responsable syndicale, ce soutien a une résonance particulière. Cela ne nuit pas à l’indépendance syndicale comme le prétendent certains?
I.P.: Depuis le Pacte des générations, j’explique dans les réunions syndicales que l’action syndicale est fondamentale pour obliger le politique à changer mais que, si ça ne fonctionne pas, il faut voter autrement et peut-être s’engager soi-même politiquement. Comme délégué ou comme ancienne permanente comme moi, on peut se le permettre sans problème. Par contre, comme permanent, on ne peut pas le faire et c’est normal. A la CNE, on trouve des militants au CDH, chez Ecolo, un peu au PS et on doit respecter ce pluralisme à gauche dans le syndicat -je ne veux pas qu’on reproduise ce qu’une partie des dirigeants FGTB font avec le PS- ce qui n’empêche pas qu’on ait de toute façon le droit de dire ce qu’on pense. Personnellement, j’ai décidé de ma lancer dans le soutien des listes PTB-GO! et je ne le regrette pas, surtout quand j’ai vu l’engagement de Claude Rolin au CDH, ça fait un modeste contre-poids…
L.G.: Comment envisages-tu l’après 25 mai?
I.P.: Je ne sais pas ce que va devenir le rassemblement PTB-GO! J’espère que ça va ouvrir les perspectives pour la suite, sans se limiter à combler le vide laissé par le PS. Il faudra discuter ensemble de la façon dont on voit les choses. Pour ma part, ça passe par la poursuite d’un travail en commun, avec des relais entre les élus et les mouvements sociaux et syndicaux. J’espère que les contacts réguliers se maintiendront parce que débattre et croiser les points de vue avec un ancrage fort dans la réalité sociale est indispensable pour avancer. En attendant, la première étape est déjà d’essayer d’avoir des élus. Les sondages semblent dire que ça devrait marcher. Mais le dernier mois va être dur, les attaques vont tomber, il faudra être sur le terrain et défendre nos positions.
L.G.: La CNE commerce défend depuis des années la réduction collective du temps de travail. Peux-tu revenir sur cette revendication que soutient aussi la LCR-SAP?
I.P.: On a arraché 1h de réduction collective du temps de travail en 2001, après une quinzaine d’années de campagne. De ce que j’ai connu dans ma vie syndicale, c’est la revendication qui nous a apporté le plus parce que, dans un secteur avec autant de temps partiels, la mécanique de la RTT a pour effet d’augmenter les salaires et de stabiliser l’emploi pendant quelques années. Aujourd’hui, avec le blocage des salaires, ce mécanisme est encore un bon moyen pour améliorer les conditions de travail. Il faut s’emparer de cet outil mais les syndicats ne le font pas, en préférant des revendications incantatoires pour la création d’emplois. Les délégués plus jeunes ou plus nouveaux sont les plus sceptiques, avec les mêmes arguments entendus quand on a commence la campagne fin des années 80, ceux que les patrons donnaient déjà au XIXe siècle. Mais on ne doit pas se laisser impressionner. On a besoin d’utopie, de mobiliser les gens sur de grandes idées. A la CNE commerce, on l’a fait. C’était dur mais on y est arrivés et les militants ont décidé de recommencer.