Dix jours avant le scrutin, les sondages et les journalistes enterraient Benjamin Netanyahou et sacraient déjà le chef des travaillistes, Yitzhak Herzog, nouveau Premier ministre…
Netanyahou lui-même faisaient grise mine et refusaient de parler en public. C’est à ce moment-là que celui qu’on appelle « le magicien » s’est repris en main et a décidé de tout faire pour ne pas laisser le pays aux mains « des gauchistes et des Arabes »…
La stratégie de la peur
Netanyahou sort alors de sa poche ce qui a toujours été son arme favorite : manipuler la peur. Peur des Arabes, peur de l’Iran et de la menace nucléaire, peur des Romains, des Croisés et des Nazis, peur du monde entier et de son antisémitisme éternel… « C’est moi ou la shoah » dit en substance le chef du Likoud pour galvaniser ses troupes. Et en Israël la peur paie. Il joue le tout pour le tout, et le jour du scrutin ne craint pas d’appeler les gens à aller voter pour le Likoud, car, dit-il, il « sait de source sûre que les Arabes se mobilisent en masse pour faire gagner la gauche qui elle est prête à renoncer à Jérusalem. »
Les derniers jours de la campagne, Netanyahou n’a pas hésité à sacrifier ses alliés les plus proches en appelant les supporters de « la Maison Juive » et d’« Israël est notre maison » à voter pour lui, car seul le Likoud pouvait empêcher la gauche et les Arabes de détruire Israël… Dévoyant leurs électeurs pour qu’ils votent contrairement à toutes les prédictions, il a promis qu’il saura être généreux avec eux s’il devient le prochain Premier ministre.
La stratégie de la peur a réussi au-delà même de ce qu’espérait le chef du Likoud. Ce dernier passe de 18 élus à 30, et l’ensemble de la droite a la majorité absolue : 67 élus sur les 120 que compte le Parlement israélien. Les Travaillistes ne s’en sortent pas trop mal, et avec la gauche sioniste du Meretz, obtiennent 29 députés. La majorité absolue obtenue par la droite nous fait éviter le pire : un gouvernement d’union nationale. Un peu malgré eux, les Travaillistes seront dans l’opposition… pour un certain temps en tout cas.
À la tête d’un gouvernement 100 % à droite, Netanyahou va pouvoir poursuivre et accentuer sa politique de colonisation, son refus de négocier (« Un gouvernement du Likoud ne rétrocédera pas un centimètre de territoire » a-t-il annoncé deux jours avant le scrutin), ainsi que la législation de nouvelles lois liberticides. Vingt-quatre heures après la victoire écrasante de la droite, un ancien et futur ministre du Likoud annonçait qu’enfin le gouvernement allait pouvoir s’en prendre à la Cour suprême (trop libérale), aux médias (gauchistes, évidemment) et… aux « infiltrés », c’est-à-dire aux travailleurs immigrés et aux réfugiés d’Érythrée et du Soudan.
L’isolement international
Deux facteurs vont rapidement effacer le sourire qui depuis quelques jours semble imprimé sur la face de Netanyahou. Le premier est d’ordre domestique : au sein du gouvernement se confrontent deux programmes socio-économiques opposés, le néolibéralisme extrême de Netanyahou et d’une partie des élus du Likoud, et les promesses sociales de Moshe Kahlon, qui tout au long de sa campagne, a promis de prendre à bras le corps les problèmes sociaux – en particulier ceux liés au logement – qui s’aggravent avec la crise économique qui se profile.
Le second problème est d’ordre plus stratégique et touche à l’isolement grandissant de l’État juif sur la scène internationale. Les chancelleries européennes et la Maison Blanche avaient misé sur la chute de Netanyahou dont l’intransigeance politique heurtait leurs objectifs dans la région. Juste avant les élections, ce dernier n’avait pas hésité à attaquer Barak Obama et sa politique iranienne jusque devant le Congrès, et pendant la campagne électorale, avait même annoncé solennellement son retrait de l’engagement, soutenu il y a quelques années par l’administration étatsunienne, à œuvrer pour « la solution de deux États » (le discours de Bar Ilan).
Il ne fait aucun doute qu’avec un gouvernement entièrement orienté à droite, le fossé avec la communauté internationale va s’approfondir : la Maison Blanche vient d’ailleurs d’annoncer qu’avec la victoire de la droite et la déclaration selon laquelle le discours de Bar Ilan est devenu caduque, elle va réévaluer sa politique non seulement sur le dit processus de paix, mais aussi sur le bouclier diplomatique dont jouit l’État d’Israël, y compris l’utilisation systématique du véto au Conseil de sécurité de l’ONU. L’avenir nous dira si ces déclarations seront suivies d’effets.
Concluons sur une note optimiste : la Liste [arabe] Unifiée a fait un très bon score et sera représentée à la Knesset par 13 députés. Si l’unité se maintient, et c’est ce qu’attend la population palestinienne d’Israël, cette force parlementaire pourrait enclencher une mobilisation populaire d’autant plus indispensable que les attaques sur les droits de la minorité arabe ne se feront pas attendre. Aiman Odeh, qui présidera le groupe au Parlement, a annoncé une grande mobilisation pour les droits et la démocratie à l’occasion du cinquantième anniversaire du discours de Martin Luther King contre la ségrégation et pour l’égalité. Une fois de plus, quand la population juive semble unie derrière la droite, ce seront les Palestiniens d’Israël qui joueront les trouble-fête.
De Jérusalem, Michel Warschawski
Intertitres de la rédaction
Publié dans la revue italienne Jura Gentium