Entretien. Depuis quelques mois, Israël connaît une recrudescence d’agressions contre les Palestiniens par des militants d’extrême droite. En menaçant de s’en prendre au Pape, dont la visite en Israël est prévue dans quelques semaines, ils deviennent un problème pour le gouvernement. L’Anticapitaliste a demandé à Michel Warschawski, militant de la gauche anti-colonialiste israélienne, d’expliquer la montée de ce phénomène.
Y a-t-il un nouveau phénomène d’extrême droite en Israël ?
Difficile de répondre à cette question. Le gouvernement en place est lui-même un gouvernement d’extrême droite et ces groupes que l’on appelle Tag Me’hir sont ses enfants légitimes. L’idéologie des partis au pouvoir et leur politique nourrissent les actions de ces groupes.
Tag Me’hir ?
Cela signifie « le prix à payer »… Chaque fois que le gouvernement prend une mesure qui semble freiner l’ardeur colonisatrice, ces jeunes ne s’en prennent pas à l’armée d’occupation, mais font payer les paysans palestiniens voisins, en déracinant leurs oliviers, attaquant ceux qui tentent de travailler leur terre, revendiquée par les colons, et taguant voitures, maisons et lieux de culte.
Pourquoi attaquer des lieux de culte ?
L’idéologie des colons est passée du nationalisme au messianisme, et s’inscrit dans une guerre de civilisations. La guerre contre l’islam pouvait encore se « justifier » par l’identification islam = terrorisme. Celle menée contre les chrétiens est entièrement idéologique : tout ce qui n’est pas juif est mauvais. Aussi primaire que ça…
Comment expliques-tu alors l’attaque récente des forces armées contre la colonie dite extrémiste de Yitshar ?
Le pouvoir veut garder le monopole de la violence, ou, pour le moins, pouvoir contrôler les milices de colons et les utiliser. Les jeunes de Tag Me’hir sont devenus un Golem qu’il a aujourd’hui de la peine à contrôler. Leurs agressions contre des Palestiniens participaient d’une division des tâches, dans une stratégie de terrorisation de la population.
Le problème est qu’ils se sont autonomisés vis-à-vis des directions officielles des colons, et ont traversé deux lignes rouges : d’une part, ils s’en prennent aussi aux Palestiniens d’Israël, en particulier en Galilée, et, de l’autre, ils s’attaquent aux lieux de culte. L’attaque des lieux de culte porte gravement atteinte à l’image d’Israël, surtout quand il s’agit d’églises.
Quelle est la réaction de la société israélienne ?
Dans sa majorité, elle n’aime pas les exactions de Tag Me’hir, pour l’image qu’elles donnent d’Israël, en particulier en Occident. Pourtant, les rassemblements contre Tag Me’hir ne mobilisent que quelques centaines de manifestants : en fermant les yeux devant quatre décennies de violence anti-palestinienne dans les territoires occupés, cette opinion publique est victime d’un phénomène d’accoutumance : on se fait à cette violence quotidienne pour pouvoir vivre son propre quotidien, un quotidien qui tourne le dos à l’occupation coloniale qui pourtant se déroule à vingt minutes de chez soi.
Et les politiques ?
Si l’opinion publique reste divisée en deux moitiés plus ou moins égales, la direction politique de l’État, elle, est clairement à droite. Comment expliquer ce fossé entre le peuple et sa représentation politique ? La réponse se trouve dans le vote massif pour le nouveau parti Yesh Atid et son chef Yair Lapid (19 députés sur 120), qui a su surfer sur les protestations de masse de l’été 2011 et la volonté de changement, en particulier dans la jeunesse.
Quand la star de télévision Yair Lapid s’est présenté aux dernières élections, il a été décrit dans les médias comme « centre gauche ». Des rares idées politiques qu’il a exprimée, dans le meilleur des cas, Lapid est le centre-droit… Il n’a pas fallu longtemps pour s’en rendre compte : avec ses 19 députés, il a immédiatement fait un bloc avec le parti d’extrême droite « La Maison juive », pour rejoindre le gouvernement de droite de Benjamin Netanyahou en position de force. Depuis, il n’a de cesse de multiplier les déclarations racistes ainsi que des initiatives populistes nationalistes.
Tu sembles dire qu’il y a une division des tâches entre le gouvernement et les colons ?
Le dernier rapport d’Amnesty International nous donne un début de réponse : « la main légère de l’armée envers les colons qui utilisent la violence contre les Palestiniens, et la violence exagérée de l’armée envers les Palestiniens qui manifestent contre la violence israélienne, créent une situation dans laquelle de nombreux colons sont persuadés qu’ils peuvent attaquer des Palestiniens et s’en prendre à leurs biens, sans craindre d’être arrêtés et jugés pour ces actes. » En fait cela va beaucoup plus loin : les colons dits sauvages et incontrôlables sont le prolongement du gouvernement de colons qui gouverne aujourd’hui l’État juif.
Mais il a perdu le contrôle du Golem qu’il a lui-même construit ?
Effectivement, car quand l’extrême droite s’en prend à des églises et menace de « faire payer le prix » aux Chrétiens, au cours de la visite du Pape François en Israël/Palestine, elle met le gouvernement dans l’embarras. C’est ce qui explique que nombre de politiciens demandent, depuis peu, de déclarer les groupes de Tag Me’hir comme organisation terroriste et de les traiter comme tels. Il est cependant peu vraisemblable que le trio Netanyahou-Yaalon-Benett accepte de se démarquer de ceux qui ont été à leur école, une école de haine raciste et de nationalisme messianiste.
Que faire ici en Europe ?
Surtout ne pas être tenté par une fausse division entre une « minorité de colons violents » et un gouvernement soi-disant raisonnable. Ils avancent leur projet colonial dans une totale synchronisation. D’où l’importance de la campagne BDS et l’utilisation des exactions de Tag Me’hir pour renforcer la délégitimation de l’État colonial hébreu.
Propos recueillis par Mireille Court
Source : NPA