La semaine du 12 au 19 octobre a vu se dérouler, en Italie, de nombreuses manifestations contre la politique austéritaire du gouvernement de Matteo Renzi. A l’occasion des débats au Sénat et à la Chambre des Députés autour de l’adoption des principales mesures de « libéralisation » et de précarisation du marché du travail, le mouvement social italien se réorganise autour des positions syndicales et des tentatives de recomposition de la gauche radicale. Une première étape décisive sera la manifestation nationale à Rome le 25 octobre.
Sous la banderole « Education gratuite, travail rémunéré », une série de manifestations étudiantes (plus de 100 000 personnes au plan national, 30 000 à Rome) a eu lieu le 10 octobre, pour protester à la fois contre les réformes du droit du travail et contre les réformes du système éducatif ( la Buona Scuola) visant à rapprocher l’école et l’entreprise, à élargir les partenariats publics-privés dans l’éducation et à diminuer de manière drastique le nombre d’enseignants précaires. Une semaine plus tard, à l’appel de la FIOM (fédération de la métallurgie de la CGIL), ont lieu des grèves et des manifestations massives à Terni (en soutien de travailleurs de la Thyssen menacée de fermeture), à Bologne, à Turin, où la police n’hésite pas à charger la fin du cortège syndical.
Cette semaine a été celle de l’examen, en première lecture, par le Sénat Italien, des dispositions de modification du marché du travail, prévues par le Jobs Act, pierre angulaire des réformes libérales annoncées au printemps par Matteo Renzi. Il s’agit, en résumé, d’une loi cadre, pour laquelle seuls les principes seront adoptés par le Parlement, alors que le Gouvernement sera responsable de produire les décrets correspondants. Il ne s’agit de rien de moins que de détruire totalement les éléments constitutifs du Statut du Travailleur, adopté en 1970. L’objectif premier de ce texte est de faire sauter tous les obstacles à la précarisation, et, en particulier, l’Article 18, qui prévoit la réintégration des travailleurs licenciés en cas de licenciement individuel déguisé en licenciement économique ou en cas de licenciement qualifié par la justice d’injustifié ou d’illégitime. La suppression de l’Art 18 irait de pair avec la mise en place d’un contrat de travail « unique » du type de celui que suggère notre récent Prix Nobel, Jean Tirole, un « contrat à durée indéterminée à garanties croissantes ». On croit rêver quand on sait ce que cela signifie en réalité : une période d’essai de trois ans ! Rajoutons encore l’abolition de l’interdiction du contrôle à distance du travailleur par des moyens de télésurveillance et la possibilité de déqualifier un travailleur ( en terme de qualification du travail effectué et de la rémunération correspondante) en fonction des besoins de la production, et on comprendra pourquoi la mobilisation va croissante autour du mot d’ordre unificateur : Travail, Dignité, Egalité.
Alors que le Sénat vient d’adopter ce texte (seuls trois sénateurs du Parti Démocrate, que chez nous on appellerait « frondeurs », s’y sont opposés), la FIOM, sous l’impulsion de son secrétaire général, Maurizio Landini a impulsé une série de débats, de grèves et de manifestations d’ampleur, devant déboucher sur une manifestation nationale à Rome le 25 octobre à l’appel de la GGIL. Devant le succès croissant des mobilisations locales ou sectorielles, la direction nationale de la CGIL, sa secrétaire générale, Susanna Camusso, déclare que « ce processus doit mener à la grève générale ». Ceci montre l’importance acquise dans le paysage syndical italien par une forme nouvelle de syndicalisme de lutte que l’on retrouve aussi bien à la CGIL, à travers la FIOM ou des courants comme « il sindacalismo è un altra cosa » qu’à travers des structures comme l’Union Syndicale de Base, ou les Cobas, indépendantes des directions syndicales traditionnelles.
Un débouché politique ?
La manifestation du 25 octobre et les mobilisations qui la précèdent, comme la grève nationale impulsée par l’Union Syndicale de Base, le 24, représentent une étape importante dans la constitution d’un front d’opposition à l’ensemble de la politique de Renzi. Toutefois, ce processus n’est pas exempt de contradictions. Fort des 800 000 adhérents de la FIOM, sur la base de sa dénonciation sans concession des réformes libérales en cours, Maurizio Landini apparaît comme une personnalité rassembleuse. Malgré ses affirmations répétées de vouloir se cantonner au terrain syndical, il a participé, en septembre, à la fête de la jeunesse de Syriza, à Athènes , aux côtés d’Alexis Tsipras et de Pablo Iglesias de Podemos. Et il s’engage, avec Nichi Vendola de SEL (Socialisme,Ecologie et Liberté) et P. Civati ( de l’aile gauche du PD) dans un « pacte pour les droits et le travail ». Toutefois, cette proposition ne saurait représenter le débouché politique nécessaire à la recomposition de la gauche radicale italienne, dans la mesure où elle ne pose pas clairement la question de la rupture avec la politique de Renzi, avec l’austérité imposée par la troïka et de l’autonomie totalement assumée avec le PD, tant au niveau national que local.
De nombreuses initiatives, parfois concurrentes, parfois complémentaires, ont vu le jour depuis les élections européennes et le succès, en termes électoraux au moins de la liste l’Altra Europa. Après une Assemblée Nationale des comités locaux, en juillet 2014, aucune forme d’organisation commune n’a encore pu être actée et les comités continuent à exister en tant lieux de débats et de confrontations à l’échelon local. Toutefois, l’équipe militante à l’origine de la liste l’Altra Europa, composée de responsables de Rifondazione et de Sel continue à faire vivre le projet, dans les mobilisations et les luttes en cours. L’objectif est d’en faire un des pôles autour duquel peut s’agréger la gauche radicale, notamment dans la constitution de listes autonomes par rapport au PD dans les élections régionales à venir à l’automne 2014 et au printemps 2015. C’est le cas, par exemple en Emilie-Romagne, en Calabre et dans les Pouilles.
D’autres échéances sont annoncées, qui permettront de faire converger les initiatives politiques, syndicales et plus généralement du mouvement social. Une manifestation unitaire, dépassant le cadre syndical, sera organisée le 29 novembre, contre l’austérité et la troïka Renzi, Juncker, Draghi. D’autres mobilisation sont en construction, pour s’opposer aux projets de révision constitutionnelle de Matteo Renzi, ou aux grands projets inutiles et imposés. Lors de chacune de ces échéances, le débat s’approfondit au sein des organisations politiques comme SEL ou Rifondazione qui représentent encore une réelle présence militante sur le terrain mais qui sont conscientes de la nécessité de leur dépassement pour pouvoir donner vie à des nouvelles formes organisationnelles inspirées tant de Syriza que de Podemos. D’autre forces politiques, comme Sinistra Anticapitalista, d’autres regroupements, comme Ross@, sont également partie prenante de ces débats, de ce processus. Mais la constitution d’un « nouveau sujet politique » ne pourra intervenir qu’en relation avec le développement des mobilisations axées autour des questions centrales du travail, de l’austérité et de la crise démocratique.
Source : ENSEMBLE