« … Mais ma protestation va à la guerre, à ceux qui en sont responsables, qui la dirigent ; elle va à la politique capitaliste qui lui donna naissance (…) Et c’est pourquoi je repousse les crédits militaires demandés »
C’est par ces paroles que, il y a cent ans, en décembre 1914, Karl Liebknecht terminait son intervention au Reichstag, le parlement allemand, pour expliquer son refus de voter les crédits de guerre. Cependant, aucune des milliers de publications de circonstance à l’occasion du centième anniversaire de la grande boucherie ne met Liebknecht à l’affiche ; nous oui. Et pour cause !
Né en 1871, fils de Wilhelm Liebknecht qui fut compagnon de Marx et Engels et fondateur du SPD, le parti social-démocrate allemand, Karl obtient en 1987 un doctorat en droit. C’est en homme de loi qu’il prendra à plusieurs reprises la défense de militants emprisonnés.
Les bourgeois l’envoient au bagne
En 1907, il publie Militarismus und Antimilitarismus, une brochure dans laquelle il écrit notamment que « il n’y a pour le prolétariat de chaque pays qu’un véritable ennemi : la classe capitaliste qui l’opprime et l’exploite ». Cela lui vaut une condamnation à 18 mois de prison pour haute trahison. Le correspondant de L’Humanité à Berlin raconte le 25 octobre son meeting de prise de congé des ouvriers berlinois avant de se constituer prisonnier : « plus de 7000 citoyens ont pris place dans la salle tandis que 5000 autres se trouvaient dans les rues environnantes ».
Devenu président de l’Internationale de Jeunesses socialistes la même année, il soumettra à son congrès de 1910 ses « Thèses contre le militarisme » dans lesquelles il appelle le prolétariat à répondre « au chauvinisme répandu par les classes dominantes (…) en joignant les mains par-dessus les frontières ».
Et c’est juste quelques jours avant le début de la guerre qu’il participe avec d’autres vrais socialistes à un meeting international à Condé-sur-l’Escaut, dans le Nord de la France pour dénoncer la guerre à venir. Cependant, tout en étant opposé à la guerre, il vota en faveur des crédits de guerre lors de la séance du Reichstag, le parlement allemand du 4 août 1914.
Alors que seuls quelques partis socialistes en Europe s’opposaient encore à la guerre et que que la majorité des partis sociaux-démocrates, à commencer par le SPD, avaient rejoint l’union sacrée, Liebknecht s’était soumis à la discipline du groupe parlementaire. Ce n’est que le 2 décembre qu’il les refusa pour la première fois entraînant ainsi, par la suite, une minorité de députés du SPD.
Incorporé de force en représailles, il refusa de porter quelque arme que ce soit, mais ne put participer à la conférence de Zimmerwald des socialistes internationalistes. De retour à Berlin pour le 1er Mai 1916, il y diffusa un appel « à la lutte du prolétariat mondial contre l’impérialisme mondial » qui lui valut une condamnation à quatre ans de bagne.
Et voilà la révolution
En octobre 1918, la défaite allemande se profile alors que l’allié austro-hongrois s’effondre. Liebknecht est libéré le 23 octobre. Le 3 novembre, les marins de la flotte basée à Kiel se mutinent et hissent le drapeau rouge sur les mâts principaux. Entre le 5 et le 9, le pays se couvre de Conseils ouvriers et de soldats. Le Kaiser abdique. Le 9 un gouvernement formé du SPD et d’un courant plus radical, l’USPD est formé.
Sollicité, Liebknecht refuse d’en être et réclame, en vain, le transfert du pouvoir aux Conseils ouvriers. L’Allemagne connaît alors une courte période durant laquelle deux pouvoirs coexistent et s’opposent : celui du gouvernement et celui des prolétaires organisés.
Dans ce contexte, il fonde dans la nuit du 31 décembre avec ses camarades de la ligue Spartakus et des groupes de délégués révolutionnaires issus des conseils ouvriers le parti communiste d’Allemagne, le KPD.
Suite à une provocation gouvernementale, sans l’accord du parti, il appelle à l’insurrection qui sera écrasée militairement sous la direction de Gustav Noske, ministre social-démocrate. Arrêté le 15 janvier, Karl Liebknecht sera exécuté par les Corps Francs en compagnie de Rosa Luxembourg.
Socialisme ou barbarie
Ce fut la défaite de la révolution allemande, avant un autre échec en 1923. Deux échecs qui tranchaient dramatiquement les termes de l’alternative posée par Rosa : à défaut de révolution socialiste, la barbarie allait prendre le dessus. Juste quelques années plus tard…
Source : ESSF