Jimmy’s hall
Avec Barry Ward, Simone Kirby et Jim Norton.
Sortie le mercredi 2 juillet
Pour s’y retrouver quelques repères historiques ne sont pas superflus : 1916, soulèvement dit des « pâques sanglantes » contre la domination anglaise, écrasé dans le sang. Les principaux dirigeants sont fusillés, dont Patrick Pearse et James Connoly. Le mouvement national comme le syndicalisme connaissent alors un fort développement.
Des Soviets en Irlande
En décembre 1918, le Sinn Féin remporte les élections et proclame l’indépendance, ce qui provoque immédiatement l’intervention anglaise et une guerre qui va durer 3 ans. Dans le même temps, des mobilisations de masse se multiplient, pour la semaine de 44 heures, pour de meilleures conditions de travail, mais aussi des occupations des terres, de mines, de moulins, de laiteries. Elles s’autoproclament Soviet, s’inspirant de la révolution russe : Soviet de Limerick, des mines d’Arigna, de Munster, de Gowel pour n’en citer que quelques-uns. Il y a alors plus d’une centaine de Soviets en Irlande.
Face à cette situation, les Anglais proposent en 1921 un traité qui entérine la partition entre le nord et le sud, tout en maintenant l’État libre d’Irlande comme dominion anglais. Ce traité va diviser le mouvement indépendantiste, et déboucher sur une guerre civile, du printemps 1922 à mai 1923. La bourgeoisie irlandaise veut à tout prix ce traité pour bloquer le processus révolutionnaire en cours. L’aile droite indépendantiste irlandaise – soutenue par les grands patrons, les propriétaires terriens et l’Église catholique – va défaire les anti-traités. Churchill lui-même est intervenu pour pousser à la répression. Pourtant opposée au traité, l’IRA ménage les capitalistes irlandais et l’église catholique. C’est à ce moment que se déroule le précédent film de Ken Loach Le vent se lève, primé à Cannes en 2006.
Un cinéma à part
Cette fois, Jimmy’s hall suit l’histoire vraie de James Gralton, jeune militant membre de l’IRA du comté de Leitrim. Il a participé aux occupations des terres, il s’est opposé au traité et a dû s’exiler aux États-Unis en 1922. Il revient en Irlande en 1932 pour s’occuper de la ferme familiale, alors que la crise de 1929 frappe les États-Unis et prive de ressources les familles des immigrés.
Il retrouve le Jimmy’s hall, « le Pearse Connoly Hall », une salle dont il est le propriétaire et qui a servi 10 ans auparavant de siège au « soviet » de Gowel. Des tribunaux y ont organisé la distribution des terres. Plus largement, elle a servi de lieu pour toute la vie sociale, échappant ainsi au contrôle de l’Église : alphabétisation, musique, littérature, mais surtout fêtes et danses. À son retour, il est pressé par la jeunesse de rouvrir la salle qui devient l’enjeu de la confrontation avec tous les réactionnaires qui imposent depuis 10 ans un régime ultra conservateur en Irlande.
Le film fonctionne parfaitement. Il n’est pas « daté », tant les thèmes abordés nous parlent aujourd’hui. C’est un film très « politique », au meilleur sens du terme, qui confirme Ken Loach comme un cinéaste à part, un cinéaste de la révolution.
Jean-Marc Bourquin
Du docu social à l’épopée révolutionnaire
Avec une trentaine de longs métrages et une vingtaine de films pour la télévision (où il a débuté à 24 ans !), on peut dire que Ken Loach n’a pas chômé… Une constante dans cette œuvre prolifique qui va du mélo social à la fresque historique : un engagement militant jamais démenti.
Le film qui le fit connaître et apprécier par un assez large public en 1991 fut Riff Raff, où il met en scène avec tendresse et humour des prolétaires et des marginaux britanniques sortis de prison. Faire vivre les classes populaires, les laissés-pour-compte, c’est probablement ce qu’il fait le mieux.
On retrouvera cet intérêt pour les éternels oubliés du cinéma commercial dans My name is Joe (1998) où il aborde à nouveau le thème de la réinsertion comme dans Ladybird (1994), une mère à qui l’on retire la garde de son enfant, ou la Part des anges (2012). C’est parallèlement à ce cinéma intimiste qu’il tourne des films plus directement politiques, en empruntant parfois la forme du thriller comme dans Hidden agenda (1990), qui dénonce les assassinats de militants irlandais par les services secrets britanniques ou plus récemment Route irish (2010) qui démonte les mécanismes de privatisation de la guerre d’Irak par l’emploi généralisé de mercenaires. Il se penche sur la classe ouvrière, et en particulier sur ses fractions les plus exploitées dans Bread and roses (2000), où il met en scène la lutte des femmes de ménage latino américaines qui triment dans les hôtels américains, et dans It’s a free world (2007) qui met en lumière l’exploitation des immigrés clandestins en Angleterre. Ce dernier film constitue une charge implacable contre un système social qui va transformer en négrière une jeune femme sympathique qui cherche seulement à s’en sortir.
Deux films militants, The Navigators (2001), sur la catastrophe de la privatisation du rail, et le documentaire L’esprit de 45 (2013), où il idéalise sans doute un peu la politique sociale qui suivit la seconde guerre mondiale, soulignent les attaques dont les travailleurs sont l’objet depuis l’époque Thatcher et la dégradation de leurs conditions de vie.
De la guerre d’Espagne à la révolution irlandaise
On pourra reprocher à certains de ses films, comme Land and freedom (1995) consacré à la guerre d’Espagne, d’être un peu trop didactiques. Mais il faut lui reconnaître le courage d’avoir dénoncé le rôle des staliniens dans la répression des anarchistes et du POUM, ce qui est assez rare, car la plupart des films sur la guerre civile se contentent de faire l’apologie du camp républicain et des Brigades internationales. Le moins réussi est peut-être Carla’s song (1995), qui parle du ralliement d’un mercenaire à la révolution nicaraguayenne, et dont certaines séquences ont un petit côté touristique.
De fait, Ken Loach est plus à l’aise pour parler des prolétaires britanniques que pour évoquer les révolutionnaires espagnols ou latino-américains, d’autant que le manque de moyens rend difficile la réalisation d’une fresque épique. Ces moyens, il les aura pour tourner Le vent se lève (2006), magnifique et cruelle épopée dédiée à la lutte du peuple irlandais, sans doute un peu académique, et pour Jimmy’s Hall, sur ce même sujet. La dénonciation des crimes de l’impérialisme britannique lui tient visiblement à cœur.
Gérard Delteil
Un militant
Il est connu et reconnu pour ses films et leur contenu social, mais pas seulement : Ken Loach fait des films militants et milite, ignorant totalement le qu’en-dira-t-on des milieux médiatiques.
À 78 ans, il est encore un des éléments dominants de la gauche anticapitaliste en Grande-Bretagne. Récemment, il n’a pas hésité, à travers plusieurs interviews, à lancer un appel pour la création d’une nouvelle formation rassemblant la gauche anticapitaliste. Le 25 mars 2013, il signe une tribune dans le Guardian avec Kate Hudson, dirigeante de la Campagne antinucléaire, et Gilbert Achcar, universitaire, reprenant cet appel. La Left Unity est née, avec rapidement 7 000 signatures, dont celles d’organisations comme Socialist Resistance (membre de la IVe Internationale) ou de deux organisations venant de rompre avec le SWP.
Ken avait déjà participé à une première initiative de ce genre en 2004, en se retrouvant à la direction de la coalition Respect, avec le député exclu du parti travailliste George Galloway. Une coalition qui allait rapidement disparaître suite à de nombreuses divisions en son sein.
Engagements internationaux
Sur le plan international, Ken s’est entouré d’un groupe d’amiEs qui le conseille pour soutenir telle ou telle cause, telle ou telle pétition… Ce fut le cas pour la campagne Boycott – Désinvestissement – Sanctions (BDS) en faveur des droits du peuple palestinien.
En France, après avoir soutenu Arlette Laguiller à la présidentielle de 1995, Ken a soutenu les candidatures d’Olivier Besancenot, puis celle de Philippe Poutou. On se souvient aussi du clip où il appelait au soutien financier du NPA, puis il y a quelques semaines du clip de campagne officielle des européennes dans lequel il est apparu.
Ken Loach n’a jamais caché sa sympathie pour le NPA, mais la réciproque n’est pas toujours facile. Il sort très peu de son pays, et quand il vient en France, c’est toujours entouré par une masse de journalistes et de photographes…. Mais, comme il reste un militant, il arrive toujours à imposer un peu de temps libre dans son planning chargé pour discuter avec nous, non pas de son dernier film, mais de la situation des anticapitalistes en France et dans son pays.
Décidément, Ken n’est pas comme les autres !
Alain Krivine
Source : NPA