LG : Pourquoi cette chaine humaine ?
LT : La situation de deux réacteurs nucléaires et absolument ahurissante. Les nombreuses failles, concentrées dans la partie la plus « chaude » de la cuve du réacteur ont mené à la fermeture de Tihange 2 et Doel 3. La fatigue de l’acier de la cuve, devenu trop friable, est moins connu mais est une autre raison suffisante de fermer. La cuve d’un réacteur est irremplaçable et irréparable. Voilà la raison rationnelle.
LG : Il y a une raison moins rationnelle ?
La deuxième raison est la mobilisation extraordinaire dans le Rheinland, la région frontalière allemande qui va de Aachen à Cologne. Avec l’aide des entrepreneurs locaux, 175.000 (sic) journaux toutes-boîtes de 16 pages rédactionnelles y ont été distribuées. Le derby du football local c’est joué avec des vareuses « Tihange » portées par les deux équipes, Aachen et Cologne, devant 12.000 personnes. Des manifestations antinucléaires très créatives ont lieu très régulièrement. Une pétition demandant la fermeture de Tihange a récolté 300.00 (sic) signatures, principalement allemandes. Les activistes allemands voulaient aller plus loin, maintenant que c’est possible. D’où cet énorme défi : une chaine de 90 km, regroupant 60.000 personnes.
LG : Est-ce bien raisonnable ?
Cela dépend des points de vue. Du côté belge, beaucoup de personnes tombent du ciel quand nous expliquons les problèmes liés au nucléaire et les alternatives possibles. Les problèmes récurrents des réacteurs ne sont presque pas mentionnés dans les médias chez nous, alors que l’implantation d’un parc d’éoliennes est acclamée en première page. Nous sommes évidemment enchantés quand l’éolien progresse, mais c’est trop peu, trop tard et sans commune mesure avec le nucléaire. La propagande pronucléaire de Engie-Electrabel et des autorités, via le Forum Nucléaire, est incessante. A cela s’ajoute aujourd’hui le courant « ecomoderniste », qui se dit pro-climat mais qui est surtout pronucléaire parce qu’il faut utiliser « tous les moyens disponibles » pour sauver notre climat.
LG : Une cause perdue alors ?
Pas du tout. Il faut que chaque lecteur de ce site vienne avec ses ami.e.s, sa famille, ses collègues. Il faut faire tout son possible pour réussir. Nucléaire Stop et la LCR-SAP ont engagé tous leurs moyens dans la bataille. La mobilisation pour la chaine est en soi un point positif. Des dizaines de milliers de flyers ont été distribués, des milliers de discussions ont eu lieu et l’activité sur les réseaux sociaux a été énorme. Même si la chaine n’est pas complète elle aura changé le paysage politique autour des centrales.
LG : Tu le penses vraiment ?
J’en suis convaincu. Ces derniers jours ont été plein de bonnes surprises, que nous n’exploitons pas assez. Le parlement néerlandais est déchaîné parce qu’il n’y a pas de gouvernement dans le plat pays aujourd’hui. Cela donne une motion pour la fermeture de Tihange (adopté e.a. avec les voix D66 et PvdA qui rejoignent Groen-Links et le SP contre VVD, PVV, CDA). Une deuxième motion convoque Jambon au Parlement néerlandais pour s’expliquer quant aux fissures. Une troisième motion demande le désinvestissement des fonds de pension néerlandaises d’Engie/Electrabel. 90 communes et autorités allemandes, néerlandaises et luxembourgeoises ont déposé une plainte contre Electrabel, l’AFCN et l’Etat belge à propos de Tihange.
Même en Flandre les choses bougent : Jan Peumans, président du Parlement Flamand et membre fondateur de la NVA, s’est déclaré favorable à la fermeture de Tihange et Doel. Le PTB-PVDA devient un deuxième parti antinucléaire à côté d’ECOLO-Groen. La discussion commence aussi à mieux percoler dans les syndicats par le biais des militants PTBistes.
LG : Que va-t-il se passer après la chaine ?
Je me tiens prêt pour aller discuter la fermeture de T2 et D3 avec Jambon et son maître Electrabel 😊. Plus sérieusement : nous aurons progressé sérieusement dans la construction d’un mouvement de masse antinucléaire. Il faut maintenant transformer la réussite de la chaine en une manifestation unitaire davantage belgo-belge, sans exclusives, sans régionalisme et sans sectarisme. Des comités locaux pluralistes doivent être mis sur pied. Ensuite il conviendra de peser sur les élections communales et fédérales, avec les deux partis antinucléaires qui pourraient vraisemblablement se retrouver dans de nombreuses coalitions, seul ou ensemble. Et ECOLO a maintenant la responsabilité de mettre la fermeture immédiate et définitive de T2 sur la table dans les discussions de formation d’une nouvelle coalition wallonne. Même si le nucléaire n’est pas une matière régionale, l’interdiction ou non du trafic dangereux autour de la centrale fait partie des compétences wallonnes. La direction d’Electrabel serait sensible à une interdiction éventuelle.
LG : Quand Tihange 2 sera fermé, que deviendront les travailleurs ?
Cela fait l’objet d’un débat difficile dans le mouvement antinucléaire. Une partie des antinucléaires ne comprennent pas l’importance du mouvement syndical dans ce pays. La majorité du mouvement aujourd’hui défend que les travailleurs du nucléaire font partie de la solution, pas du problème et que la revendication de reconversion de tous les travailleurs du nucléaire sur site est importante, comme main tendue vers les syndicats. Il en va de même avec la revendication d’accès facile à l’électricité de tous les ménages, et la fin des compteurs à budget et des coupures énergétiques, qui concernent 100.000 ménages. Nous fermerons T2 et D3 ensemble avec le monde du travail ou nous n’y arriverons pas.
LG : A dimanche !