Le fameux Club de Rome frappe de nouveau. Deux auteurs du Club viennent de présenter à Berlin, le 13 septembre, leur rapport du Club de 2016. Ils y proposent des solutions pour la crise actuelle qui est aussi bien une crise sociale, économique et écologique. (1)
Le journal flamand De Standaard en parle sous le titre sensationnel : «Donnez 80.000 dollars aux femmes sans enfants». C’est la mesure la plus spectaculaire qui est proposée. Mais ce rapport est beaucoup plus ambitieux. La critique de la croissance reste toujours valable pour ce Club de futurologues (cette croissance était déjà critiquée dans le fameux rapport « Halte à la croissance ? » qui date de 1972). Les ressources se tarissent à cause de cette croissance mais aujourd’hui, la croissance est également la cause du nombre de problèmes sociaux qui s’accumulent dans les pays occidentaux : le chômage et les inégalités sociales qui augmentent sont maintenant dénoncées.
Les deux auteurs prônent une rupture avec la pensée centrée sur le marché, qui est maintenant devenue obsolète. Ils plaident pour un changement radical du système économique dans les pays riches (2). Les pays en développement par contre continueront à avoir besoin de croissance (mais selon quel modèle ?) pour se battre contre la pauvreté.
Mais ils continuent à dénoncer la croissance de la population mondiale (qui a doublé les cinquante dernières années) comme la cause principale de la crise écologique actuelle. Ils le disent sans détours : il faudra une diminution de la population mondiale pour sauver le climat.
Ce frein à la croissance démographique doit tout d’abord se réaliser dans les pays riches car chaque enfant né dans ces pays utilisera trente fois plus de moyens (énergie, ressources de toute sorte …) qu’un enfant né dans un pays pauvre. De là vient la proposition « spectaculaire » de donner une prime allant jusqu’à 80.000 dollars aux femmes des pays riches si elles auront choisi de n’avoir qu’un seul enfant ou aucun enfant à l’âge de cinquante ans.
Le livre formule treize propositions concrètes pour freiner la croissance et lutter ainsi contre les inégalités sociales, le chômage et le changement climatique. Une solution est-elle en vue ?
Les auteurs espèrent avec des propositions sur le long terme (la crise climatique) et sur l’avenir immédiat (les besoins des ‘99%’) de formuler des réponses auxquelles une majorité d’électeurs pourrait adhérer.
Voici les treize propositions proposées avec un court premier commentaire de ma part (en italiques).
- Réduction annuelle du temps de travail et donc plus de temps libre – en accord donc avec l’actuelle flexibilisation du travail et l’abolition de la semaine de 38 heures
- Augmentation de l’âge de la retraite jusqu’à 70 ans pour que les seniors puissent continuer à gagner de l’argent – proposition qui sera approuvée par le patronat et les gouvernement libéraux partout !
- Redéfinition du ‘travail rémunéré’ pour reconnaître le travail des soins dans la famille –s’agit-il de remplacer les acquis sociaux en termes de soins aux personnes âgées, aux malades etc. par une aumône ?
- Augmentation des allocations de chômage pour maintenir la demande pendant la période de transition – à cause du niveau de chômage élevé persistant, avec les attaques actuelles contre les droits des chômeurs, la cohésion sociale dans nos sociétés est en danger
- Impôts plus lourds sur les entreprises et les revenus des riches pour redistribuer ces profits et répondre ainsi à la vague de robotisation qui nous attend dans un avenir proche – on pourrait dire qu’il s’agit d’une proposition anti-système, mais comment cela sera-t-il réalisé en pratique ?
- Des mesures pour stimuler les politiques vertes avec des impôts plus élevés pour permettre aux gouvernements de s’attaquer au changement climatique et en même temps de favoriser une redistribution des richesses – le texte va donc à l’encontre du ‘dogme’ des diminutions fiscales pour stimuler la croissance
- Impôts sur les énergies fossiles, cet argent doit être distribué sur une base égalitaire entre les citoyens et elle doit également servir pour favoriser les énergies à bas contenu de carbone – les prix des carburants plus élevés mais pas au détriment du citoyen individuel, au contraire, cela doit servir pour favoriser les énergies renouvelables (le nucléaire aussi ?)
- Remplacer l’impôt sur le travail par des impôts sur les émissions de gaz à effet de serre, sur l’utilisation des ressources pour diminuer notre empreinte écologique – mais tout dépend du niveau d’imposition et comment cela sera répercuté sur les prix pour les consommateurs …
- Des impôts plus importants (jusqu’à 100% !) sur les héritages ce qui donnera plus de revenus aux gouvernements – bonne idée mais qui l’appliquera et comment cela s’imposera ?
- Encourager les syndicats pour mieux lutter contre l’exploitation et pour des revenus plus importants – ceci est nouveau dans les cercles dominants ‘progressistes’
- Limiter le libre commerce, contre le TTIP pour freiner ainsi la croissance, protéger des emplois et diminuer la pression sur l’environnement – on voit que la crise de la marchandisation illimitée commence à jouer…
- Encourager des familles plus petites pour diminuer la pression sur la planète – comme si ce serait une solution du problème écologique. Donner de l’argent aux femmes de cinquante ans dans les pays riches est une absurdité. Il faut par contre investir beaucoup plus de moyens dans la santé et l’enseignement pour les femmes des pays pauvres.
- Garantir un revenu de base pour ceux qui sont le plus dans le besoin – c’est qui ceux qui en ont vraiment besoin ? Pourquoi ne pas appliquer une diminution du temps de travail pour tous par une redistribution du travail disponible sans perte de salaire? A moins qu’on ne veuille renvoyer les femmes au foyer avec l’aumône qu’on appelle l’allocation pour la femme au foyer.
Ce rapport prouve qu’il y a maintenant une vraie crise idéologique et de légitimité du système. La main invisible et l’agenda néolibéral ne sont plus les seules alternatives possibles. Il y a la crise financière, la conscience grandissante de la crise climatique, le fait qu’on se rend compte que les 1% veulent coûte que coûte garder leurs privilèges. C’est par rapport à cette situation que le Club de Rome fait ces quelques propositions qui pourraient séduire des courants verts réformistes.
La croissance démographique et les comportements individuels seraient à la base de la crise écologique, c’est cela qui reste le message principal. Et c’est contre cette logique que nous devons discuter de ce type de rapports. Car ce qui manque évidemment dans toute leur approche, c’est un plan pour la transition énergétique avec l’expropriation sans indemnités des secteurs des énergies fossiles et du nucléaire et du secteur financier. Un plan pour limiter de façon radicale les émissions des gaz à effet de serre dans les dix années qui viennent. Mais même un capitalisme critique et éclairé ne voudra pas l’entreprendre.
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image par Little Shiva, d’après la première édition de The Limits to Growth
- Reinventing Prosperity par Jorgen Randers et Graeme Maxton, en allemand: Ein Prozent ist genug
- Le premier chapitre est en ligne en anglais: http://www.clubofrome.org/wp-content/uploads/2016/08/Maxton_Randers_Chapter-1.pdf