La «Révolution de jasmin» rêvait d’une Tunisie plus juste. Mais les gouvernements successifs n’ont fait qu’exploser la dette, se liant les mains vis-à-vis des créanciers.
Depuis la chute de Ben Ali en janvier 2011, la dette extérieure tunisienne n’a cessé d’augmenter. D’après Fathi Chamkhi, porte-parole de l’association altermondialiste RAID1, en 2014 le solde est passé à 26 milliards de dinars (15 milliards de francs). «Cela représente une augmentation de 11 milliards de dinars sur quatre ans (2011-2014). Alors qu’en vingt-trois ans de régime Ben Ali, le solde ou l’encours de la dette était passé de 4 à 15 milliards. Cela prouve que la dette a joué un rôle fondamental en tant qu’outil contre-révolutionnaire.»
Comment expliquer cette évolution? Pour M. Chamkhi, après la révolution, la dette a servi de mécanisme de compensation. «La Tunisie est une économie néocoloniale, qui a besoin de devises pour fonctionner. Cette réserve de devises était alimentée par différentes sources comme le tourisme, les exportations de phosphate, etc. Toutes ces sources ont été affectées par la révolution, elles se sont affaiblies. Et qu’est-ce qui a pris le relais, qu’est-ce qui a compensé le manque? C’est la dette. Elle a joué un rôle stratégique.»
Levier de pouvoir colonial
Mais aussi un rôle politique: «La dette sert aussi à mettre en sursis, et au besoin à étrangler un pays qui pourrait avoir envie de remettre en cause le paiement de celle-ci», poursuit-il. En 2013, le gouvernement provisoire, contournant l’Assemblée nationale constituante, avait signé un accord de confirmation avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un montant de 1,75 milliard de dollars (1,54 milliard de francs), conditionné par un programme d’ajustements structurels.
Le premier ministre Mehdi Jomaa n’a pas oublié de le rappeler au début du mois de mars, quand il a annoncé au pays qu’il se trouvait «dans une situation économique difficile» et a appelé la population à «faire des sacrifices». «Les réformes structurelles sont indispensables, le dialogue économique et social les définira, mais il n’y aura pas de nouveaux recrutements dans la fonction publique à l’horizon 2014», a-t-il précisé.
De son côté, l’Union européenne a décidé d’utiliser à la fois la carotte et le bâton. Elle propose d’accorder un nouveau prêt de 300 millions d’euros (365 millions de francs) à condition que la Tunisie applique à la lettre les mesures d’ajustement imposées par le FMI en 2013. L’assistance macro-financière sera notamment conditionnée par «un bilan satisfaisant continu en ce qui concerne la mise en œuvre d’un programme d’action comportant des mesures fortes d’ajustement et de réforme structurelle soutenues par un arrangement sur les crédits du FMI qui ne soit pas un arrangement de précaution», peut-on lire dans le rapport de la Commission de commerce international du parlement.
Sur le terrain social, et après le mouvement contestataire de janvier dernier qui a mené à l’instauration d’un gouvernement de «technocrates» (avec à sa tête Mehdi Jomaa, malgré tout ancien ministre de l’Industrie du gouvernement de l’islamiste Ali Larayedh), les luttes semblent bloquées. Alors que des élections doivent avoir lieu au cours du premier semestre 2014, les partis politiques de gauche paraissent paralysés face à Ennahda, la branche tunisienne des Frères musulmans, et empêtrés dans une alliance controversée – le Front de salut national – avec la droite libérale.
30% des jeunes diplômés au chômage
Le constat est semblable au niveau du syndicat UGTT (Union générale tunisienne du travail), mais la ligne de conciliation de la direction ne fait pas nécessairement l’unanimité à la base. «L’UGTT, avec ses militants syndicalistes révolutionnaires, pousse pour la continuation du processus au niveau social, mais le bureau exécutif national tend vers le calme et la paix sociale», explique Abdessalem Hidouri, professeur de philosophie et membre du bureau syndical de l’enseignement secondaire à Sidi Bouzid.
Alors qu’environ 15% de la population active reste sans emploi et que ce taux dépasse les 30% chez les jeunes diplômés, un jeune militant ironise: «Ici, en Tunisie, vous passez directement de membre de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGTT) à membre de l’Union des diplômés chômeurs (UDC).»
1.Membre des réseaux du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM) et d’Attac.
Source : le courrier
Crédit photo : Sébastien Brulez