Nous publions ci-dessous une carte-blanche parue dans l’édition du Soir du 20 novembre. Cette carte-blanche du Secrétaire général du SETCa-Liège ne manque pas de soulever quelques questions sur son intention réelle. Si on ne peut qu’être d’accord avec lui pour dénoncer la dangerosité des attaques contre les travailleurs et les allocataires sociaux, leurs organisations syndicales et les droits démocratiques, il convient de bien situer l’objectif de cette prise de position. D’entrée de jeu, Egidio Di Panfilo l’indique bien : ces attaques « l’amènent à réagir – délibérément à plusieurs mois de l’échéance électorale pour permettre à la gauche au gouvernement de se ressaisir et de changer de cap. Il n’est pas trop tard ».
Il n’est pas trop tard ?
Le même jour le Secrétaire de l’Interrégionale wallonne de la FGTB, Thierry Bodson avait utilisé la formule choc « une véritable bombe atomique sociale » pour définir les effets désastreux des décisions du gouvernement Di Rupo Ier en matière de chômage. Comme son collègue du SETCa-Liège, Thierry Bodson demande au gouvernement de faire « marche arrière« . Le communiqué qu’il diffuse titre : « il est encore temps de changer de cap ! »
Les deux syndicalistes liégeois laissent ainsi entrevoir de possibles « remises en cause » de décisions que le gouvernement du socialiste Di Rupo avait imposées malgré l’opposition syndicale, des manifestations massives et plusieurs grèves générales. Mais, honnêtement, est-ce plausible ? Croyez-vous une seule seconde que le général Di Rupo va rappeler l’avion qui transporte « la bombe atomique ». Croyez-vous que ses officiers (les parlementaires à tous les niveaux de pouvoir, de l’Europe aux Régions) vont subitement découvrir « qu’ils se sont trompé de bouton » en votant contre les travailleurs à de multiples reprises depuis 25 ans ?
Egidio Di Panfilo nous parle de ce « gouvernement qui a décidé de s’attaquer à la concertation sociale par le blocage des salaires et en imposant un « compromis» sur les préavis et le jour de carence jamais avalisé par les interlocuteurs sociaux » ajoutant « De plus, le Conseil d’Etat vient de tacler assez sèchement, s’interrogeant sur la légitimité du gouvernement à diminuer unilatéralement les délais de préavis de 1,7 million d’employés et soulignant notamment qu’il maintient des discriminations importantes ». Cela n’a pas empêché les parlementaires « de la gauche au gouvernement » de se tromper une nouvelle fois de bouton et de voter les dispositions en question…
Il nous parle aussi du TSCG et du Traité Transatlantique. Pour le TSCG, il le dit lui-même « la majorité PS-Ecolo-CDH a clairement signifié son intention de voter le texte » au parlement wallon et à celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles, comme leurs parlementaires l’ont déjà fait au niveau fédéral – y compris ceux et celles qui, en mars, manifestaient avec la FGTB au Forum Social Mondial de Tunis contre la « mondialisation néo-libérale »… Quant au Traité Transatlantique, les Parlements nationaux ne seront apparemment pas consultés sur sa ratification, c’est ce que confirme une réponse parue récemment sur le site de la Commission européenne consacré aux négociations transatlantiques, dans la rubrique « Questions fréquentes »[1].
Quand aux mesures chômage, Thierry Bodson, qui connaît particulièrement bien cette matière, devrait bien se rappeler que dans les négociations du début 2012 qui suivirent les actions syndicales, le gouvernement ne concéda que quelques « corrections » mineures, essentiellement sur les nombreuses erreurs techniques que contenaient ses dispositions et qui avaient été relevées par les syndicats. Bref, un peu d’huile dans les rouages de la machine à exclure.
Que reste –t-il ?
En tenant un langage ambigu, nos deux syndicalistes ne font qu’exprimer autrement ce que le PS nous répète depuis des années : « sans eux, ce serait pire ». Ils le supplient de lâcher un peu de lest, d‘arrondir les angles, « de se ressaisir ». Egidio Di Panfilo pense que « cela nécessite de revenir à un discours de rupture avec ce système ». Pour nous, la rupture, ok.
Au niveau du discours, pas de problème pour le PS : Magnette a été chargé de décorer la porte du frigo dans lequel Di Rupo a enfermé la lutte de classe. Au fur et à mesure que les élections approcheront il nous sortira sans problème quelques discours enflammés, des mots combatifs, des mots, et encore des mots… Les presse-boutons, les porteurs de serviette, les bureaucrates obligés, les attachés de-ci, les experts du Boulevard de-là, les élus zélés et les futurs élus, toute la famille quoi, fera corps autour des chefs qui leur diront « La gauche doit affirmer son unité et sa détermination pour faire face aux diviseurs, aux gauchistes et aux jusqu’auboutistes ».
Pour les syndicalistes il y a d’autres manières d’envisager les choses. Ce n’est pas le PS qui va changer de cap. C’est à nous de le faire, en retrouvant le chemin de l’indépendance syndicale et du combat.
Oui, la gauche doit se ressaisir. La gauche syndicale. Elle doit cesser de faire passer des vessies pour des lanternes. Elle doit se battre. Pas d’illusion, le PS n’est pas redressable, inutile de se raconter des histoires à ce sujet et d’en raconter aux travailleurs-euses. Tant que le syndicalisme restera empêtré dans la « concertation sociale » sur le degré d’austérité acceptable, il sera en grand danger. Il doit rompre avec cette politique, et en tirer les conclusions à tous les niveaux. Au niveau des luttes, en pratiquant un syndicalisme de combat et démocratique. Et au niveau politique, en favorisant l’apparition d’une nouvelle expression politique du monde du travail.
La « Carte Blanche » d’Egidio Di Panfilo Secrétaire général SETCa Liège:
La gauche doit se ressaisir !
Plusieurs dossiers aux enjeux internationaux (traité budgétaire européen, traité transatlantique), nationaux et locaux (blocage des salaires, exclusions du chômage) constituent une menace directe pour les travailleurs. La gauche doit affirmer son unité et sa détermination pour faire face à la course effrénée du capitalisme.
Ces derniers jours, les informations constituant ou dénonçant un danger pour le monde du travail se sont multipliées. Elles concernent plusieurs niveaux de pouvoir, sont plus ou moins éloignées des travailleurs, mais toutes auront des conséquences directes sur ceux-ci. Ce qui nous amène à réagir – délibérément à plusieurs mois de l’échéance électorale pour permettre à la gauche au gouvernement de se ressaisir et de changer de cap. Il n’est pas trop tard, mais il est plus que temps !
Du global au local, les différents dossiers s’inscrivent bien dans une même logique : celle des renoncements de la gauche au pouvoir face à un capitalisme qui saisit sa chance historique de détruire les conquêtes sociales issues de plus d’un siècle de luttes des travailleurs.
Deux dossiers internationaux illustrent parfaitement ce renoncement : le Traité budgétaire européen (TSCG) et le Traité transatlantique. Dans les deux cas, contrairement à un discours largement répandu, les jeux ne sont pas encore faits. Le parlement wallon et celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne se sont toujours pas prononcés sur le TSCG. Si la majorité PS-Ecolo-CDH a clairement signifié son intention de voter le texte, la mobilisation ne s’est pas arrêtée : collectifs citoyens qui se mobilisent, interventions de la FGTB wallonne à plusieurs reprises… Les élus savent qu’ils ont le pouvoir de s’opposer à ce texte qui les privera demain encore un peu plus de leur marge de manœuvre et réduira considérablement notre démocratie. Le même scénario se dessine par rapport au Marché transatlantique qui continue à être négocié en dépit des risques immenses qu’il implique et des remontrances de Tartufe envers l’espionnage US. Or, ces deux dossiers auront des effets directs. L’un sur les moyens pour l’Etat d’agir dans l’économie. L’autre en permettant à des multinationales de traîner en justice des Etats dont les décisions politiques ne seraient pas conformes à leurs intérêts ! Ces deux dossiers internationaux limitent encore plus les possibilités de réguler – même timidement– le capitalisme. Au niveau national, cela voudra dire que seuls des efforts sur les dépenses publiques, et donc des attaques sur les services et les investissements publics et la sécurité sociale seront encore envisageables. C’est-à-dire des attaques frontales contre les travailleurs.
Mais le niveau national, c’est aussi un gouvernement qui a décidé de s’attaquer à la concertation sociale par le blocage des salaires et en imposant un « compromis» sur les préavis et le jour de carence jamais avalisé par les interlocuteurs sociaux. De plus, le Conseil d’Etat vient de tacler assez sèchement, s’interrogeant sur la légitimité du gouvernement à diminuer unilatéralement les délais de préavis de 1,7 million d’employés et soulignant notamment qu’il maintient des discriminations importantes.
Le niveau national, c’est un accord institutionnel qui renvoie vers les communautés, les régions et les communes une série de coûts collectifs sans en assurer le financement.
Au niveau local, les signaux de détresse s’accumulent. Pour la Wallonie, ce sont près de 35.000 travailleurs privés d’emploi qui seront exclus au 1er janvier 2015 des allocations de chômage sur la base de l’article 36. Comment vont-ils (sur)vivre ? Comment des CPAS déjà exsangues pourront-ils absorber ce choc ? Sans parler des nombreux licenciements (ou des non-remplacements) qui vont se multiplier dans les différentes communes. A l’origine de ces licenciements, on retrouve notamment des décisions prises… au niveau européen et approuvées aux échelons fédéral et régional. Retour au TSCG.
La Belgique n’est pas encore la Grèce, le Portugal ou l’Espagne. Mais comme la France, nous prenons
la mauvaise direction avec un effort d’austérité qui représente plusieurs fois la Loi unique qui valut à la Belgique son plus long conflit social en 1960-61. Et, comme ailleurs, les replis identitaires, la stigmatisation des plus précaires et des chômeurs, l’exclusion de toutes celles et ceux qui n’ont pas la même couleur de peau ou la même religion ne cessent de grandir. Au point que deux ministres, une en Italie et une en France, se voient renvoyées au rang de sous-humains. Femmes et de couleurs, une double discrimination que vivent bien des gens. « Diviser pour régner » Cette maxime, le capitalisme et ses laquais ont toujours su l’utiliser. Il est du rôle de la gauche de jouer l’unité et de travailler au rassemblement contre les vrais responsables et non d’attiser des tensions gonflées artificiellement. Ne nous trompons pas d’ennemi ou de colère !
Dans les années 1920-30, la crise a poussé une frange importante des classes moyennes dans les bras d’un fascisme largement appuyé par le capitalisme. Ce désarroi de l’époque, de nombreux travailleurs le ressentent aujourd’hui, désarmés qu’ils sont devant des mesures antisociales qui commencent à les toucher mais auxquelles ils ont du mal à croire. Et ce d’autant plus que cette régression sociale est le produit de décisions politiques prises dans des coalitions où la gauche est au pouvoir avec des partis de droite.
C’est à cette gauche que nous nous adressons. Ressaisissez vous, Camarades ! Les mots et les postures morales ne suffisent plus. C’est de résultats concrets que les travailleurs ont besoin. On ne lutte pas contre la montée de la droite et de l’extrême droite en reprenant leurs idées, mais en assurant la prospérité du plus grand nombre, en (re)donnant des perspectives aux jeunes générations et en mettant la solidarité en avant. Aujourd’hui, cela nécessite de revenir à un discours de rupture avec ce système qui détruit petit à petit mais de plus en plus rapidement, toutes les conquêtes sociales du monde du travail. Cela nécessite un réel projet de transformation de la société.
Photo: PSL-LSP
[1] « À la fin, une fois que les négociateurs seront parvenus à un accord, il appartiendra au Conseil et au Parlement européen, d’examiner et d’approuver ou de rejeter l’accord final. Du côté américain, la décision appartiendra au Congrès des États-Unis » voir http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/questions-and-answers/index_fr.htm#accountability