En quoi le nationalisme flamand ressemble-t-il au nationalisme algérien ? Et à cette « ivoirité » souhaitée par les dirigeants de la Côte d’Ivoire en 1999?
Je cite la loi algérienne sur la langue de cette même année, qui mentionne dans son article 2 : « La langue arabe est une composante de la personnalité nationale authentique et une constante de la nation. Son usage traduit un aspect de souveraineté. Son utilisation est d’ordre public. »
Il ne fait pas de doute que par rapport au colonialisme français, l’arabe algérien était discriminé, comme toute la culture arabe et berbère. Ce qui fut également le cas du flamand par rapport au français, mais dans ce dernier cas il s’agissait, non pas de colonialisme, mais tout simplement de discrimination culturelle par les classes supérieures.
Regardons cette loi de plus près. Elle implique que les populations berbères (25 à 30% de la population) ne peuvent donc pas assumer cette « personnalité nationale authentique » puisqu’ils parlent le tamazight. Ce n’est que dans la constitution de 2002 que la langue des Berbères est reconnue « langue nationale » et donc « d’ordre public ». Ce qui me gêne c’est « l’authenticité ». Dans tout essentialisme et donc dans tout nationalisme ce concept apparaît. Mais qui décide de ce qui est « authentique » ? Les chefs et idéologues nationalistes. Ainsi il est facile d’exclure ceux qui selon leur critères autoproclamés ne sont pas authentiques. Les nationalistes flamands dans les années trente considéraient ainsi la population flamande comme non authentique, car elle n’était pas consciente de son rôle et son destin historique, oubliant (ou ne connaissant pas encore) sa culture traditionnelle (catholique), sa « liaison avec ce qui est peuple » (volksverbondenheid, concept que l’on retrouve chez les nazis). La tâche de conscientiser les Flamands était évidemment réservée à leurs dirigeants autoritaires. Ici le peuple est aussi mystique que le Sacré Cœur de Jésus, sauf qu’on ne peut pas mettre le peuple sur la cheminée, entre Tijl l’espiègle et Nele la vierge blonde.
On retrouve ce blabla chez les dirigeants ivoiriens à la fin du siècle précédent : à leurs yeux ce qu’ils appellent l’ivoirité, c’est « l’expression, l’affirmation d’une identité, un système de valeur, le respect de coutumes qui doivent justement équilibrer les tendances à l’uniformisation et à la globalisation. L’ivoirité s’adresse à tous ceux qui vivent sur le territoire national, Ivoiriens et étrangers, décident à se respecter, à se comprendre, à vivre ensemble, dans le respect des valeurs communes. » Le concept est né, si je ne me trompe pas, dans une période où la Côte d’Ivoire connaissait une forte immigration des pays voisins. Notez que cette « ivoirité » exige des « étrangers » qu’ils respectent « les valeurs communes ». Ce n’est pas très différent de ce qu’on exige en France, en Belgique et dans les autres pays européens des immigrés ou des allochtones (un terme qui vient d’être banni au Pays-Bas comme discriminatoire et stigmatisant). Utopique est l’idée qu’en respectant les valeurs ou traditions communes on garantit la paix ethnique ou sociale.
En ce qui concerne la « langue nationale » il faut remarquer qu’il existe environs 5000 à 6000 mille langues dans le monde, ce est qui en moyenne au moins 25 langues par État. C’est, nonobstant les idées jacobines sur la nation, le plurilinguisme qui est la règle, tandis que le monolinguisme fait exception. Ce monolinguisme n’existe même pas en Allemagne (Sorbe, Plattdeutsch, Danois) ou en Angleterre (Galois) pour ne pas parler de l’Afrique noire, de la Suisse, de la Russie, des USA, de la Chine.
Le monolinguisme, fondation de l’unité de la nation est une invention jacobine dans la France révolutionnaire luttant contre l’Ancien Régime. Contre le fédéralisme « réactionnaire » il fallait opposer le centralisme « révolutionnaire », et cela de la façon la plus brutale si nécessaire. Écoutons Bertrant Barère, membre du Comité du Salut Public le 27 janvier 1794 : « Le fédéralisme et la superstition parlent le bas-breton. L’immigration et la haine de la République parlent allemand. La contre-révolution parle italien. Le fanatisme parle basque. Brisons ces instruments de dommages et d’erreurs. »
Mais utiliser la langue nationale ne résout pas la pureté national-populaire. Ainsi l’organisation de la Jeunesse Étudiante Allemande (la Deutsche Studentenschaft) qui s’occupait de brûler les livres d’esprit « non-allemand » avec encore plus de diligence que l’organisation des étudiants nazis, stipulait dans sa Thèse Sept : « Quand le juif écrit en allemand, il ment. On devrait l’obliger à mentionner dorénavant : traduit de l’hébreux ». Ce qui me fait penser à cette habitude dans les romans traduits en français la mention « traduit de l’anglais (Amérique, Jamaïque, etc.) » ou de l’espagnol (Chili, Bolivie, etc.). Il n’y a donc pas une langue anglaise ou espagnole pure. Ce qui n’est pas le cas du français grâce à l’Académie. Aucun éditeur anglophone n’oserait mentionner « traduit du français (France, ou Togo ou Suisse, etc.) par peur d’un tollé de protestations hexagonales, défendant la langue une et indivisible. Quelqu’un a remarqué qu’un Français (il exagère, il y a des exceptions) se promène avec sa frontière autour de lui.
Et pourtant le français est menacé. Car il y a certainement un complot mondial contre la France réelle. Dans son livre À la recherche du français perdu (1999) l’académicien Jean Dutour, de sensibilité monarchiste, on apprend (je cite P. Lepape, Le Monde des Livres, 5 nov. 1999) « La ‘France réelle’, comme on disait chez les maurassiens, à été muselée et chassée de sa langue ‘vraie’. (…) la guerre contre la patrie française à qui l’on prépare un avenir cosmopolite que l’étranger, aidé de nos inlassables traîtres [les intellectuels, etc.], veut lui imposer ». Il y a là donc un complot mondial contre la France, relayé à l’intérieur par les sombres desseins des uns et la mollesse incapable des autres, et qui vise, à travers la langue, à toucher la France au cœur. (…) Son combat, son obsession sont ailleurs : dénoncer derrière la faiblesse la plus vénielle la griffe du cosmopolitisme à l’accent anglo-saxon. »
Revenons en Flandre. Guido Gezelle, le curé-poète remarquable de la fin de la deuxième partie du 19e siècle refusait le néerlandais cultivé venant du nord et voulut à sa place un flamand basé sur le dialecte de la Flandre Occidentale. Il était lui-même originaire de cette partie de la Belgique et considérait le néerlandais comme une arme d’infiltration protestante. Gezelle était un bon catholique et un fervent belgiciste.
Si vous ne le saviez pas encore, la langue est un enjeu politique des plus important.
image (detail): Minna Sundberg