Les atrocités qu’on nous annonce maintenant régulièrement concernant les djihadistes réactionnaires et barbares de I.S. me font réfléchir. Est-ce la vraie nature humaine cruelle – réprimée par l’éducation ou cachée sous le vernis de la civilisation – qui reprend le dessus ? Ou bien est-ce la barbarie de la guerre civile syrienne ou les conséquences « imprévues » de l’alliance originelle entre l’Arabie Saoudite, les États-Unis et Al Qaïda contre l’occupation de l’Afghanistan par l’Union Soviétique qui sont la cause ultime de cette barbarie des djihadistes ? (1)
En relisant des parties du livre de Charles Darwin La Filiation de l’homme, publié en 1871, douze années après son Origine des Espèces de 1859, je me pose la question de l’anthropologie de Darwin et de sa vision sur Homo sapiens. Bien sur, il faut de la biologie pour faire du social. Mais c’est le social qui, du point de vue de l’être humain comme acteur et juge de son évolution, produit maintenant la vérité du biologique. Selon Darwin, la sélection naturelle (avec y compris l’élimination du plus faible), a sélectionné chez nos ancêtres, les capacités de coopération et de « sympathie » pour développer en même temps une morale et une connaissance rationnelle de la nature. Ainsi, l’homme a réussi à dominer et à renverser son évolution biologique et à produire sur cette base biologique indéniable, l’histoire de la société humaine.
C’est ainsi que les êtres humains sont les plus avancés parmi les espèces animales dans la capacité de transformer leur environnement pour l’adapter à leurs besoins et non l’inverse. Quand le climat se refroidit, on fabrique des vêtements et pas une pilosité plus dense. Les plus faibles ne sont plus éliminés, les enfants sont vaccinés, les diabétiques reçoivent des médicaments, de plus en plus de gens portent des lunettes etc.
Retournons au problème qui me préoccupe, les djihadistes. Ils font preuve d’un manque absolu de « sympathie » (pour parler comme Darwin, nous on dirai plutôt d’empathie) hallucinant. Est-ce le retour d’une nature humaine bestiale profonde ? Je ne le crois pas, une soi-disant nature humaine refoulée et cruelle n’explique selon moi ni les crimes atroces de I.S., ni les autres multiples crimes et atrocités dans l’histoire humaine ( les crimes nazis ou les crimes perpétrés au nom du socialisme…).
Il n’y a pas de gène ou de racine biologique pour effectuer des meurtres par décapitation, il n’y a pas de gène qui vous rend plus apte à la torture d’autres personnes, le génocide des Tutsis au Rwanda n’était pas dicté par une quelconque loi « biologique » de haine entre Tutsis et Hutus. Je ne crois pas, comme l’a écrit Patrick Tort dans une interview publiée récemment (2), qu’il faut tenir compte de possibilités de retour d’une ancienne nature bestiale (retour connu sous le terme d’atavisme) humaine dans certaines circonstances.
Je suis au contraire persuadée des origines sociales de ces crises actuelles ou récentes, c’est l’histoire des injustices sociales qui se trouve à la source de ces phénomènes.
Dans le débat sur les concepts de « nature » et/ou de « culture », il faut éviter tout simplisme. C’est grâce à la sélection naturelle, phénomène biologique, que l’homme a vu s’accroître en même temps ses instincts sociaux et ses capacités rationnelles et qu’il a pu en conséquence se construire comme une espèce sociale vivant en groupes humains de plus en plus larges. Les êtres humains se situent en même temps dans la nature et face à la nature. La morale est certainement un produit de l’évolution. On n’a donc pas besoin pour l’expliquer d’une quelconque pensée métaphysique ou religieuse.
(1) Paris attacks on Charlie Hebdo and a kosher supermarket : What caused the killings ? Gilbert Achcar and Ahmed Shawki.
(2) P. Tort, Sexe, Race & Culture, Paris, Textuel, 2014. ISBN 978-22-84597-494-4