Lors de la campagne électorale pour les élections législatives du 25 mai 2014, la LCR était présente sur les listes PTB-GO (Gauche d’Ouverture). Dans son « plan d’urgence anticapitaliste », elle avançait, comme première revendication, le « Droit à l’emploi : travailler moins, travailler tou-te-s, vivre mieux ». Et cela par le partage du temps de travail avec les 32 heures par semaine, sans perte de salaire et avec embauche compensatoire.
La réduction collective du temps de travail (RCTT) reprend sa place dans les propositions et résolutions syndicales, de régionales et centrales, tant à la CSC qu’à la FGTB, ainsi que dans les congrès nationaux. Les différentes dimensions de cette revendication plaident, à coup sûr, pour en faire un axe central du combat pour l’émancipation.
L’actualité de la RCTT
Si le mouvement ouvrier belge s’est, depuis le début du siècle dernier, battu de manière continue pour la réduction du temps de travail, force est de constater, qu’à partir du début des années ’80, avec l’offensive néolibérale internationalisée, cette bataille a marqué le pas. Depuis la loi du 10 août 2001 (avec obligation depuis le 1/1/2003), la durée légale du travail reste bloquée à 38 heures par semaine (en moyenne annuelle).
Certes, depuis, au travers de conventions sectorielles ou entreprises, le combat a permis, ici ou là, d’aboutir à une diminution hebdomadaire du temps de travail vers les 36H et même les 35H.
Une autre recette de réduction du temps de travail a été abondamment utilisée. Le temps de travail moyen serait actuellement de 31 heures par semaine. Selon l’étude annuelle menée par l’Union wallonne des entreprises (UWE), le salarié wallon ne presterait que 28H par semaine en moyenne (1).
Quels sont les ingrédients de cette recette, de ce tour de passe-passe ?
Depuis trente ans, à l’exception d’une série d’expériences réussies de réduction collective du temps de travail, la diminution du temps de travail fut opérée, de façon néolibérale et inégalitaire, sous la forme principalement du temps partiel, surtout imposé (principalement aux femmes), assorti d’une flexibilité du travail de plus en plus poussée, sans oublier la multiplication des contrats à durée déterminée, l’intérim, le chômage temporaire, ainsi que la multiplication des incapacités de travail et les maladies professionnelles de longue durée.
Ce type de diminution du temps de travail n’a donc rien à voir avec « travailler tou-te-s et vivre autrement, mais bien avec une surexploitation de la main d’œuvre se traduisant par l’augmentation des profits et des dividendes grassement distribués aux actionnaires.
« De 1880 à 1975, le mouvement ouvrier s’est battu de façon continue pour réduire le temps de travail » rappelle Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE. « Ce combat a perdu de sa vigueur depuis trente ans. C’est l’un des reculs idéologiques de la gauche depuis la contre-offensive libérale des années 1980 » (2).
La cascade des plans de licenciements, l’augmentation du chômage (des centaines de milliers de demandeurs d’emploi ; plus d’un million de personnes totalement ou partiellement hors emploi), le matraquage idéologique patronal et gouvernemental, relayé par les partis, y compris par une partie de la gauche traditionnelle) sur le « cercle vertueux » : les sacrifices d’aujourd’hui sont l’investissement de demain et l’emploi d’après-demain …, tous ces éléments ont fait basculer les rapports de force, redonnant vigueur et insolence au patronat, poussant les gouvernements successifs à asséner des coup de plus en plus violents sur la tête des travailleurs, tant dans le secteur privé que dans la fonction publique, et sur les allocataires sociaux.
Dans ce contexte, la revendication d’une réduction collective du temps de travail (la vraie RTT !), nécessitant un rapport de force, aujourd’hui hors de portée, resta cantonnée dans des résolutions syndicales (à l’exception de quelques mobilisations fructueuses), condamnant les luttes pour l’emploi à rester largement défensives.
Les choses peuvent changer, d’autant plus que le « cercle vertueux », s’est plutôt traduit par une régression sociale sans limites ! La cascade des licenciements, jetant les travailleurs comme des kleenex ; les compressions de personnel avec flexibilité, l’augmentation de la productivité, sans que les gains de productivité soient (comme c’était le cas pendant les « 30 glorieuses ») répartis plus ou moins équitablement entre le Travail et le Capital; le choix sournoisement brandi devant les travailleurs –soit l’emploi, soit les salaires, qui finalement s’est soldé par: ni l’emploi, ni les salaires ; les décisions politiques inhumaines et aberrantes de prolongement de la carrière à 66 puis 67 ans, laissant sur le carreau des milliers de jeunes, au chômage, au CPAS ou sans aucun revenu et enchainant au travail des personnes usées par la fatigue, le stress et le burn-out. .., tout cela pourrait bien –du moins nous l’espérons- redonner vie et vigueur aux prises de positions syndicales sur la réduction collective du temps de travail.
La centralité de la RCTT
Le projet de résolution sur la réduction du temps de travail, rédigé par la Centrale Jeunes FGTB et adopté au congrès de L’Interrégionale wallonne de la FGTB, tenu du 18 septembre 2014, met en lumière les multiples dimensions de cette revendication pour en faire un combat central du mouvement syndical.
Cette résolution s’intitule : La réduction collective du temps de travail à 32 heures, sans perte de salaire, une solution juste, durable et solidaire pour créer des emplois pour la jeunesse.
Elle met en perspective différents aspects de cette réduction collective du temps de travail.
extrait de la résolution :
« La réduction collective du temps de travail est une opportunité forte de remettre la solidarité au cœur de notre société :
- Pour autant que des embauches compensatoires soient prévues, le passage de 38 à 32 heures par semaine en moyenne induirait une diminution du taux de chômage (particulièrement élevé chez les jeunes Wallons),
- tout en offrant la possibilité à chacun de consacrer plus de temps à d’autres activités (famille, loisirs et implication citoyenne) ;
- En outre, cette mesure favorise l’égalité entre les hommes et les femmes, ces dernières étant les premières touchées par les mesures de réduction individuelle du temps de travail ;
- Cette RCTT permettrait de sécuriser le financement des services publics et de la sécurité sociale, car elle augmenterait le nombre de personnes qui cotisent et diminuerait le chômage. Les arguments favorables aux politiques d’austérité s’en trouveraient nettement déforcés (…) ;
- Le modèle d’une croissance sans fin du PIB apparaît petit à petit pour ce qu’il est : un mythe. Une prospérité fondée sur une autre croissance, celle du bien-être, est une urgence démocratique, sociale et écologique. La réduction collective du temps de travail en est l’un des instruments.
La RCTT et l’emploi
« La réduction collective du temps de travail, même avec perte de salaire, est indiscutable ». C’est Georges Jacobs, un ancien président de la FEB (la Fédération des Entreprises de Belgique) qui avait prononcé cette phrase (3). Même les propositions qui ne leur coûtent rien n’agréent pas les patrons, aujourd’hui comme hier. Ils refusent toute mesure d’ensemble contre le chômage, parce qu’une baisse du chômage modifierait les rapports de force sociaux. Ils applaudissent cependant aux mesures de dégressivité et d’exclusion du chômage prises par le gouvernement Di Rupo et renforcées par le gouvernement Michel-De Wever. Ne forcent-elles pas des milliers de personnes à accepter (quand il se présente !) n’importe quel emploi dans n’importe quelles conditions et à n’importe quel prix, quitte à miner encore un peu plus les rapports de force à la grande satisfaction patronale ?
En France, sur les deux dernières décennies, tous les emplois nets créés dans le secteur privé l’ont été lors du passage aux 35 heures sous le gouvernement de Lionel Jospin (4). Malgré les modalités particulières d’application (modulation annuelle de la RCTT, intensification du travail, augmentation des cadences et du stress, voire blocage des salaires…), le patronat a tout fait pour pousser les gouvernements suivants à revenir sur la loi des 35 heures.
L’accent mis, dans des résolutions syndicales, tant à la CSC (CNE en particulier) qu’à la FGTB (FGTB Wallonne, CGSP, J FGTB…en particulier) sur les modalités d’application de la RCTT (réduction radicale- 32h- par semaine –semaine des 4 jours-et pas d’annualisation du temps de travail ; pas de perte de salaire ni d’augmentation des cadences) ouvre la pespective d’une réelle création d’emplois.
la CNE Commerce et la RCTT :
Intervention d’Irène Pêtre, secrétaire nationale de la CNE Commerce- aujourd’hui retraitée- dans le cadre de la campagne de la CNE Commerce sur la RCTT :
« Chaque fois qu’on réduit le temps de travail de façon collective, on constate que l’érosion de l’emploi est moins rapide pendant quelques années. C’est d’ailleurs pour cette raison que la réflexion nous amène vers une réduction du temps de travail sur la semaine plutôt que sur la journée : non seulement, c’est plus confortable pour le travailleur de répartir des heures sur quatre jours plutôt que sur cinq, mais surtout ça oblige l’employeur à créer des emplois supplémentaires pour compenser l’absence de ce 5ème jour ».
En ce qui concerne plus précisément les travailleur/euse/s, à temps partiel contraint dans le secteur commerce, Irène Pêtre poursuit : « la RCTT est beaucoup plus égalitaire, puisqu’elle rapproche le statut à temps partiel de celui du temps plein, contrairement aux mesures individuelles qui s’accompagnent toujours d’une diminution du revenu et s’adressent essentiellement aux femmes ».
La RCTT, le mieux-être, l’émancipation humaine et sociale
Les enquêtes d’opinion aboutissent à des résultats accablants.
Une enquête, réalisée pour le compte de la mutuelle Solidaris, en partenariat avec le journal le Soir, révèle que 1 travailleur (salarié et indépendant) sur 3 souffre du stress, avec un impact négatif sur la santé (grande fatigue, irritabilité, trouble du sommeil) et cela étant dû à l’intensification du travail liée, à l’augmentation de la productivité (5).
Quelque 450 000 belges seraient en incapacité de travail de longue durée, un nombre qui augmente de 5% chaque année depuis 2004, selon l’INAMI. Cet accroissement est dû à une augmentation des maladies musculo-squelettiques et aux troubles psycho-sociaux liés au burn-out.
Le recul de l’âge de la retraite pour les femmes de 60 à 65 ans fait qu’il y a plus de femmes actives malades de longue durée de 60 à 65 ans et que celles-ci relèvent de l’assurance maladie au lieu d’être tout simplement pensionnées (et malades) (6).
Qu’à cela ne tienne ! Le gouvernement tient mordicus à l’allongement de la carrière : 66 puis 67 ans…et après !
François Lombard, consultant RH chez SD Worx pointe le vieillissement de la population : « les personnes âgées sont moins souvent absentes que les jeunes, mais quand elles le sont, c’est généralement pour une plus longue durée » (7).
Selon une autre étude menée par des médecins de l’Université de Gand, environ la moitié des travailleurs malades vont quand même travailler. On appelle cela du « présentéisme ». Les raisons : la pression dans le lieu de travail, la peur de perdre son emploi, la multiplication des statuts précaires, etc.(8).
Il va sans dire –c’est encore mieux de le dire- qu’une réduction radicale, collective et généralisée du temps de travail rejoint l’aspiration à un travail moins stressant, qui permettre de concilier vie professionnelle et privée, avec l’envie de souffler, de profiter de la vie, d’avoir des activités citoyennes.
La RCTT pour un nouveau mode de développement non productiviste
Contrairement à ce qu’affirment certains (notamment dans courants de la décroissance), parler de répartition des gains de productivité ne revient pas à aller dans le sens du productivisme, mais au contraire de rompre avec lui (9).
Les gains de productivité du travail ne doivent pas être confondus avec l’augmentation de l’intensité du travail. Les gains de productivité, permis notamment par les innovations technologiques, ont vocation à libérer l’être humain de l’effort. Mais, c’est la logique du capital, la course au profit, à l’augmentation continuelle de la plus-value qui relient les gains de production à l’intensification du travail, à la surexploitation de la force de travail.
Il est salutaire de rappeler continuellement ce que les métallos FGTB ont si bien, dans les manifestations, traduit sur leurs banderoles : « sans notre travail, leur capital ne vaut pas un balle ». Le travail humain est la seule source de création de valeur et l’exploitation de la force de travail la seule source du profit capitaliste. D’ailleurs, le patronat ne s’y trompe d’ailleurs dans sa campagne pour allonger le temps de travail. Ni le capital, ni la nature en tant que tels ne sont créateurs de valeur, comme l’avancent l’économie dominante et certains courants de l’écologie profonde (10).
La RCTT constitue le moyen de créer massivement des emplois et de satisfaire les besoins sociaux, sans forcément passer par davantage de croissance du PIB (11).
Dans tous les cas, elle constitue une condition pour commencer à contrôler les biens et services dont la croissance apparaît nécessaire (les crèches, les écoles, les hôpitaux, les transports en commun, les énergies renouvelables…) et ceux qu’il faudrait faire décroître (la publicité, les emballages, le armes…).
Elle est donc bien un axe central du combat pour l’émancipation, dans ses différentes dimensions.
Et le financement de la RCTT dans tout ça ?
« Reste une question majeure que nous ne pouvons écarter, celles des salaires ». La résolution de la Centrale jeunes FGTB précise : « Pour que la RCTT profite aux travailleurs et parce que les plus bas salaires sont déjà bien trop bas, les salaires ne peuvent en aucun cas diminuer (ajoutons : ne peuvent pas être bloqués, ndlr). Mais la question ne peut s’envisager sans remettre en cause plus globalement la fiscalité actuelle qui pèse de plus en plus sur le travail et de moins en moins sur le capital ».
Où prendre l’argent ? La RCTT est d’abord une question de répartition des gains de productivité. Une heure de travail produit 5 fois plus qu’il y a 30 ans (12).
Deux leaders syndicaux, de la gauche des appareils syndicaux, apportent leur éclairage .
« Nous restons une société riche, avec une production de richesses (PIB) de plus de 30 000 euros par an et par personne (…) », signale Felipe Van Keisbilck, secrétaire général de la CNE. « La seule vraie question, c’est le partage des ressources. Aujourd’hui, la plus grande partie des richesses est absorbée par les actionnaires et les acteurs financiers » (13).
Nico Cué, secrétaire général de la MWB (La centrale des Métallos FGTB Wallonie-BXL) attire notre attention sur ce que la presse économique constate elle-même : « En novembre 2014, l’hebdomadaire Trends-Tendance indiquait : « les sociétés belges ont dans leurs comptes (…) un trésor de guerre de 240 milliards d’euros ». Le 17 mars 2015, la une de l’Echo était barrée du titre suivant : « les actionnaires du Bel20 vont recevoir 11 milliards de dividendes. C’est une hausse de 11% en un an » (14).
La résolution du congrès de FGTB wallonne de mai 2010 ne tourne pas autour du pot : « Il s’agit pour les travailleurs de récupérer la part des richesses qui a sur-rétribué les actionnaires pour financer la réduction collective du temps de travail, des politiques industrielles, la transition vers de nouveau modèles de productions, l’augmentation des salaires bruts, le relèvement de la pension légale, le rattrapage et la liaison au bien-être des allocations sociales… » (15).
Les prises de positions syndicales souscrivent à l’importance et l’urgente nécessité d’une réduction généralisée et radicale du temps de travail. Celle-ci est un des enjeux centraux dans l’affrontement entre capital et travail.
Il appartient avant tout au mouvement syndical de se donner les moyens pour être à la hauteur de cet affrontement, avec l’appui de mouvements sociaux et des organisations politiques de la gauche de gauche.
NOTES
- L’étude porte sur 76 180 travailleurs employés dans 8312 entreprises, entre le 3ème trimestre 2011 et le second trimestre 2012. (L’Avenir.net, 21/3/2013.
- Felipe Van Keirsbilck, sec. général de la CNE, in Le Vif 15/1/2010.
- De Tijd, 27/9/1994
- Michel Husson et Stéphanie Treillet, La réduction du temps de travail, in ContreTemps, n°20, 2014
- Le Soir du 4/122/2012
- Syndicats FGTB, 6/9/2013
- Le Soir, L’absentéisme de longue durée à un niveau record, 20/2/2015
- Syndicats, ibid
- Jean-Marie Harribey, L’enjeu de la RTT, transformer les rapports sociaux et le sens du progrès.
- Michel Husson et Stéphanie Treillet, ibid
- CF ATTAC, Baisser le temps de travail et répondre aux besoins sociaux et écologiques, le Monde 17/1/2012
- Vivre Ensemble-Education, Allonger les carrières ou partager le travail, Octobre 2014.
- Imagine 100, décembre 2013
- Syndicats, n°6, 27/3/2015
- Congrès FGTB wallonne « Les solidarités, moteur de développement, p.40, mai 2010