Il n’y a qu’une seule république dans le vrai sens du mot : celle de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Les autres républiques ne sont pas de vraies républiques, puisqu’elles ne se conforment pas au caractère universel des inventeurs des droits de l’homme et du citoyen. Que le système électoral de cette république est un des moins démocratiques de l’Europe n’y change rien. La classe politique hexagonale dans son entièreté en est convaincue. Le parti de Nicolas Sarkozy s’appelle Les Républicains, le premier ministre PS Manuel Valls appelle à la formation d’un front républicain contre l’extrême droite, tandis que Marine Le Pen, dirigeante du premier parti de France, présente celui-ci comme le véritable défenseur de la devise trinitaire républicaine en y ajoutant, le soir du 6 décembre 2015 , la laïcité et le droit au travail (pour les nationaux). Jean-Luc Mélanchon voudrait une sixième république. La France en a déjà connu cinq, interrompues successivement par un dictateur impérial (Napoléon), un ci-devant restauré (Louis XVIII), un roi-citoyen (Louis-Philippe) et finalement par un autre Napoléon, petit celui-ci. La bataille de la bourgeoisie (républicaine) pour instaurer la république a été longue et difficile, mais a été couronnée de succès. Oublions le court passage d’une dictature d’extrême droite sous la botte nazie (Pétain). Au nom de la république on a mené et on mène des guerres coloniales. Aucun parti républicain français n’ose se réclamer de la religion (comme les chrétiens démocrates dans les autres pays européens), ce qui n’empêche pas la religion de jouer un rôle politiquement actif (la manif pour tous contre le mariage pour tous).
Si quasi toutes les idéologies politiques de la gauche radicale à l’extrême droite se prononcent pour la république, il devient difficile de définir le républicanisme et de lui donner un contenu social concret. Le concept se vide, il signifie tout et rien, et devient ainsi un instrument de manipulation. Au nom de la laïcité républicaine on décide comment les femmes doivent s’habiller. Au nom de l’égalité républicaine on refuse le droit au travail aux travailleurs immigrés. Au nom de la défense de la liberté on proclame l’état d’urgence. Au nom de la solidarité on appelle à l’union sacrée entre exploiteurs et exploités.
L’idée de l’exception politique française, incarnée par cette république née à partir de 1789, a profondément marqué la culture et les idées culturelles et sociales de la France. Elle a même entretenu à l’étranger l’idée que la France est un pays « de gauche ». Certains courants de gauche en France eux-mêmes entretiennent cette idée, et non pas sans raison. Comme le dit François Sabado : « On a souvent abordé la situation française comme une « exception », en Europe. On parle de l’exception française, en faisant référence à une histoire encore marquée par la Révolution française de 1789. Cela recouvrait, en fait : un certain type d’acquis sociaux, un puissant service public, un Etat fort, un mouvement ouvrier important et dynamique, un haut niveau des luttes de classes, des droits sociaux et des libertés démocratiques et laïques arrachées par des mobilisations populaires historiques. Si l’Etat fort s’est maintenu, toutes les conquêtes sociales ont été remises en cause dans les dernières années. La longue durée de la contre-réforme libérale depuis la moitié des années 1980, en France, son accélération avec la crise ouverte en 2008, la politique d’austérité et l’œuvre de démolition sociale entreprise par le gouvernement socialiste de Hollande ont déconstruit et démantelé ce qui a constitué cette exception française. Il ne s’agit pas d’un effondrement, mais d’une déconstruction, d’un démantèlement progressif. »
Si on ne tient pas compte de cette nouvelle donne on ne peut comprendre pourquoi la majorité de la population, dont une grande partie du monde du travail, vient de voter pour l’extrême droite. Mais les traditions et l’idéologie politique dominante en France changent, ainsi que les quelques bases réelles sur lesquelles cette idée de « l’exception républicaine » pouvait se maintenir.
Les mutations du paysage politique en France, intervention de François Sabado à l’occasion du Forum international qui s’est tenu à Lausanne, Suisse, les 20, 21 et 22 mai 2015. Voir également le site www.alencontre.org
image: Little Shiva (Marianne trouvée ici)