L’espace que la déclaration gouvernementale consacre à ce qui est appelé « la dimension de genre » est minimal et n’engage à rien, en particulier s’agissant du marché du travail. On lit que le gouvernement « souhaite tenir mieux compte de la dimension de genre sur le marché du travail ». Il consacrera une attention particulière à l’écart salarial, à la réconciliation entre travail et vie privée, à la lutte contre le plafond de verre et plus généralement à la ségrégation verticale aussi bien qu’horizontale sur le marché du travail.
Le mouvement des femmes attire constamment l’attention sur cette injustice structurelle. Doit-il se réjouir ? Non, car il s’agit seulement d’une attention particulière. De la même manière, la politique d’égalité des chances promet seulement de porter une « attention particulière » à « l’égalité des sexes pour les personnes d’origine immigrée, aux personnes ayant un handicap au travail » et à « l’augmentation de la participation au travail des aînés et la lutte contre le chômage des jeunes ».
Remarquez que seul le plafond de verre vaut une lutte. Même l’écart salarial n’entre pas en ligne de compte pour « la lutte ». Normal, puisque celle-ci est liée, entre autres, à l’injustice structurelle. Mais ne coupons pas les cheveux en quatre !
La combinaison travail-foyer
Et que fait la réconciliation entre vie professionnelle et vie privée dans ce petit inventaire genré ? Les femmes le savent : lorsqu’on en vient à devoir « choisir » une carrière à temps partiel, elles sont les premières à le faire et y sont souvent contraintes. Et ce gouvernement se préoccuperait de ce problème ? Il s’en préoccuperait alors que le travail à temps partiel est une des pierres angulaires de la flexibilité que l’accord gouvernemental veut développer davantage, par l’organisation flexible du travail et du temps de travail, comme l’annualisation du temps de travail, le travail à temps partiel, les heures supplémentaires et les heures de travail glissantes?
Plus de flexibilité serait donc bon pour mieux combiner le travail et les activités de soin, peu importe qui se charge de l’un ou de l’autre. L’accord gouvernemental tend à « un nouveau modèle de carrière qui offre plus de souplesse aux entreprises pour l’organisation du travail d’une part et aux travailleurs un meilleur équilibre entre travail et vie privée d’autre part ».
Seulement voilà : ce refrain nous est seriné depuis plus de 40 ans et on voit que la combinaison travail/soins du ménage reste un tour de force féminin. Qui croit encore que ce sera différent avec cet accord gouvernemental ? La réconciliation entre travail et vie privée continuera à reposer sur les épaules des femmes via le temps partiel qui, pour un ensemble complexe de raisons structurelles et culturelles, est surtout un travail féminin. Il est donc logique que, pour ce gouvernement, cette réconciliation relève précisément de la « dimension de genre ».
La déclaration gouvernementale cache la position particulière des femmes sur le marché du travail derrière le terme « dimension de genre », qui englobe femmes et hommes. Les gouvernements précédents savaient aussi jongler délicieusement avec le terme « genre », mais ce gouvernement-ci, sans complexe, ajoute qu’il va « mieux » tenir compte de cette dimension… pour ignorer l’existence concrète des femmes travailleuses dans la vie réelle.
Et ceci n’est pas un méchant procès d’intention : la combinaison travail/vie privée foyer est abordée dans le chapitre «Fonction publique et entreprises publiques » : « Le gouvernement fédéral mène une politique en faveur des femmes. À cet égard, il veille sur la possibilité de combiner travail et vie de famille dans le cadre de ses propres compétences et particulièrement pour son propre personnel. »
Pour que la répartition des tâches soit « la plus égale possible entre les femmes et les hommes », l’accord gouvernemental annonce un plan d’action, qui comporte entre autres :
- « la mise en oeuvre d’une politique qui lutte contre les stéréotypes;
- la possibilité d’encourager une utilisation plus équitable des régimes de congé par les deux parents. »
Outre que l’expression « la plus égale possible » n’engage à rien, cette promesse est en contradiction avec la structure actuelle sur le marché du travail, que l’accord gouvernemental flexibilise encore plus, et avec la réforme des systèmes de crédit-temps: aucune réduction de l’écart salarial n’est prévue, de sorte qu’ils seront de nouveau pris par le partenaire qui gagne le moins (très souvent des femmes donc).
Nier l’existence concrète de (beaucoup de) femmes, c’est aussi ce que fait cette réforme du crédit-temps. Le crédit-temps non motivé, que des femmes prennent souvent de facto pour des tâches de soin, n’entre plus en considération pour le calcul de la pension. Le crédit-temps motivé est étendu d’au maximum 12 mois s’il est pris pour des soins (soins à un enfant jusqu’à 8 ans, soins palliatifs et soins pour un membre de la famille gravement malade ou handicapé)… et sera davantage contrôlé.
Non seulement il n’est question nulle part de mesures concrètes pouvant mener à un « meilleur » équilibre entre hommes et femmes dans la prise de congé pour soins, mais en plus, de facto, le travail à temps partiel devient plus que jamais une des rares alternatives. Pourtant, la nécessité des soins ne disparaît pas, au contraire : avec le vieillissement, elle menace de s’amplifier.
Règlement de la pension
S’agissant des pensions, l’accord gouvernemental ne prétend même plus mener une politique « en faveur des femmes »…
L’âge de la pension augmente. Le nombre d’années de travail qui donne droit à une pension complète aussi. La pension minimum légale est portée 10% au-dessus du seuil de pauvreté pour qui a une carrière complète à temps plein. Le calcul des pensions publiques se fera sur base des revenus sur toute la carrière, les années contractuelles ne seront plus prises en compte pour la pension et une harmonisation avec le privé se profile.
Autant de mesures qui rendront de facto extra difficile pour beaucoup de femmes de construire une pension décente, aussi dur qu’elles aient trimé pour combiner travail payé et travail non payé.
A cela s’ajoute que l’accord gouvernemental parie sur le renforcement de la part des pensions privées, prévoit une généralisation du deuxième pilier et un renforcement du troisième (épargne-pension). Cette individualisation de la préparation de la pension agit au détriment des personnes financièrement plus faibles dans la société, dont beaucoup de femmes.
Femmes et enfants
Il est vain d’éplucher davantage l’accord gouvernemental sous l’angle de la discrimination des femmes. Cette discrimination est partout présente, comme c’était à prévoir. Et là où les femmes sont mentionnées, on peut à peine croire ce qu’on lit.
Les femmes se trouvent dans le paquet des « groupes à risques » pour lesquels on instaurera « un monitoring de pointe de l’(in)égalité des chances. Il portera non seulement sur l’inégalité entre les femmes et les hommes, mais également sur les personnes handicapées, les personnes âgées ou les LGBTI et d’autres groupes à risques. L’utilisation de limites d’âge sera également répertoriée afin de lutter contre les discriminations fondées sur l’âge. »
Le texte annonce une « tolérance-zéro » en matière de discrimination: les minorités ethniques ne sont même pas nommées et disparaissent sous la dénomination « autres groupes à risques ». Et quand elles sont mentionnées ailleurs, ici ou là, c’est en tant que « personnes avec un passé de migration » ( ?) ou « personnes issues de l’immigration ».
Les femmes sont traitées à l’ancienne mode, avec les enfants et les « groupes à risques ». Exemple tiré du chapitre sur les droits de l’homme : « Des points d’attention particulière/ <—sont le respect de l’intégrité physique de chaque personne, la défense des droits spécifiques des femmes, des enfants et des personnes fragiles ».
Cet (apparent) souci pour la position des femmes (et autres groupes à risques) contraste de manière flagrante avec l’obsession détaillée de la lutte contre « le jihadisme violent » et la manière de voir les volontaires partis combattre en Syrie ou avec la digression -tout aussi détaillée- sur le travail flexible dans l’horeca et les brasseries (à étendre ultérieurement au commerce et à la construction), où les contrôleurs ne devront pas y regarder de trop près, car des « fautes sont commises de bonne foi ». Par contre, quand il s’agit de traite des êtres humains, la position particulière des femmes ne mérite aucune attention particulière.
Le foulard
Le foulard est l’objet de beaucoup d’attention, fût-ce avec peu de mots. L’accord gouvernemental interdit le foulard pour les fonctionnaires en contact avec le public. Le choix des mots est codé mais ne laisse aucun doute sur les intentions :
« Le gouvernement veille à ce que les services de l’autorité fédérale aux citoyens soient neutres et perçus comme neutres. Conformément à la réglementation découlant du statut, le port visible de signes qui reflètent une conviction personnelle (religieuse, politique ou philosophique) est interdit pendant l’exercice de leurs fonctions aux fonctionnaires qui sont en contact direct avec le public ».
« Perçus comme neutres » ? L’existence (supposée par la force des choses) d’un sentiment (partagé ?) de personnes individuelles détermine-t-elle dorénavant le code vestimentaire, en lieu et place de règles objectives, identiques pour tous les fonctionnaires ? Et à qui renvoie la perception de la neutralité ? A ceux qui ne portent aucun signe extérieur de conviction personnelle ou précisément à ceux qui en portent? Et qui est supposé se méfier de qui ? L’utilisation du mot « visible » ne laisse pas de doute à ce sujet…
Le fait qu’une telle interdiction pourrait donc être sexiste et raciste ne mérite pas d’attention particulière.
Le désastre continue
Le point faible de la politique d’égalité des chances a toujours été de trébucher sur la politique social-économique. Le travail à temps partiel est un facteur d‘inégalité sur la base du sexe sur le marché du travail, mais ça n’a pas empêché une politique d’extension du travail à temps partiel.
Le politique s’est caché derrière la vision individualisante selon laquelle chacun peut choisir librement, et s’est focalisé sur des cibles ( plus atteignables) comme le plafond de verre, les objectifs à l’embauche et la combinaison entre travail et soin via les chèques-service et les campagnes pour que les hommes changent de mentalité. Du coup, la solution de la combinaison entre travail et soin était renvoyée dans la sphère privée.
Hors du terrain social-économique, une politique inspirée par le féminisme pouvait occuper plus d’espace: mesures contre les intimités non souhaitées au travail, contre la violence sexuelle, ou conjugale, pour la parité en politique, etc. Mais cela restait une politique faussée.
Ces dernières années, l’espace pour cette politique faussée a continué à se rétrécir et cette politique elle-même à se dégrader. Joëlle Milquet a fixé dans une loi une définition du sexisme… qui épargne des formes de sexisme aussi grossières que la composition de l’actuel gouvernement fédéral. Pascal Smet a dépouillé la notion de genre de son contenu féministe et ceci aussi a trouvé sa réalisation dans la législation.
Le comble est que l’accord gouvernemental rétrograde la compétence pour l’égalité des chances au niveau d’un secrétaire d’Etat. L’attention pour la « dimension de genre » masque une indifférence profonde pour le genre. L’image des femmes qui ressort du texte penche nettement du côté des fantasmes masculins sur « le sexe faible » ayant besoin d’aide. « Continuons donc à broder sur le thème de la délinquance familiale et de la violence intrafamiliale, avec ça, on ne peut pas se tromper » : voilà ce qu’ont dû penser les auteurs. Une attention particulière est portée à la punition et au traitement des délinquants sexuels et des auteurs de violence intrafamiliale. Dans ce cadre, les lois des 15 mai et 15 juin 2012 seront corrigées, de sorte que l’interdiction temporaire faite aux auteurs de violence intrafamiliale d’entrer dans leur maison pourra être mieux appliquée. Ce point est évidemment positif, mais ne pèse guère dans l’image d’ensemble.