Les feux de la rampe viennent tout juste de s’éteindre sur la 46e édition du Bal des vampires de Davos (WEF), dont le fondateur pronostique le début d’une 4e révolution industrielle particulièrement dévoreuse d’emplois… En même temps, un vent de panique souffle sur l’économie mondiale, grevée d’une dette totale de quelque 200 000 milliards de dollars. A peine remise de sept ans de vaches maigres, la voilà déstabilisée par une nouvelle vague de secousses sismiques d’une amplitude croissante, dont l’épicentre est en Chine.
En 1995, le PIB (au taux de change) de la Chine ne représentait que 2% de celui du monde, contre 12% en 2014. Cela donne une idée de l’impact de cette locomotive planétaire sur la conjoncture internationale de ces deux dernières décennies. Ceci d’autant plus que sa très longue phase de croissance de plus de 30 ans a été portée par le secteur exportateur. D’où son économie fortement extravertie: 70 % des richesses produites ne sont pas destinées à la consommation intérieure (contre 40 % en Inde).
Pour lutter contre l’épuisement d’une vague d’expansion sans précédent, la Chine s’est lancée dans des investissements pharaoniques, en particulier pour le développement d’infrastructures et de logements. Ceux-ci ont été alimentés, dès novembre 2008, par un plan de relance de 586 milliards de $ et par une explosion de la dette publique et privée. De 2011 à 2013, en moyenne annuelle, la Chine a ainsi produit la moitié de l’acier mondial, consommé 30 fois plus de ciment que les Etats-Unis et bâti l’équivalent de la surface habitable du Royaume-Uni… En 2014, elle portait encore sur ses épaules les trois quarts de la croissance mondiale.
En revanche, en 2015, la progression du PIB chinois a fortement ralenti, ne dépassant sans doute pas 4 %. Et chaque jour, la probabilité d’un atterrissage brutal se précise en raison des énormes surcapacités de production accumulées face à des débouchés internationaux en baisse, mais aussi à une hausse régulière des salaires chinois, qui pousse de plus en plus les investisseurs à choisir de déplacer leurs affaires au Vietnam ou au Bangladesh. Ces «mauvaises nouvelles» ont récemment éclaté au grand jour avec la chute de la bourse de Shanghai, dont les titres ont perdu près de 50 % de leur valeur depuis juin dernier.
La crise que connaît la Chine intervient au plus mauvais moment pour le reste de l’économie capitaliste. En effet, la reprise de la zone euro demeure poussive, puisqu’elle n’a pas encore retrouvé ses performances de 2008 ; la croissance des Etats-Unis reste décevante, et ils pourraient même connaître une nouvelle récession en 2016 (65 % de probabilité selon Citigroup) ; la chute des cours des produits de base, avec un pétrole brut en dessous de 30 $ le baril, dévaste les économies de la Russie, de l’Iran ou du Venezuela, et pénalise celles de pays de l’OCDE comme le Canada ou l’Australie.
Les pays émergents sont globalement dans le rouge: le Brésil subit une grave récession qui se double d’un déficit budgétaire explosif et d’un effondrement des cours du real ; la Russie est aussi en récession, ce qui se traduit par une baisse des salaires et des pensions, des licenciements collectifs et une hausse du taux de pauvreté. Ainsi, parmi les BRICS, seule l’Inde résiste encore, même si sa santé économique est de plus en plus menacée par le brutal ralentissement de son grand voisin.
Cette conjonction de «mauvaises nouvelles» a conduit récemment l’éditorialiste vedette du New York Times, Thomas L. Friedman, à s’interroger gravement: «Et si plusieurs ères s’achevaient en même temps? Si nous étions à la fin de plus de 30 ans de forte croissance de la Chine? Si le temps du pétrole à 100 $ le baril était échu […] Si les Etats moyens [issus de la décolonisation] n’avaient plus d’avenir? Si la belle époque de l’Union européenne était révolue? Si l’isolement de l’Iran touchait à sa fin, tandis que le monde arabe explose et qu’il n’est plus question de la solution des deux Etats en Palestine? […] Comment toutes ces molécules vont-elles interagir?» (21 janvier 2016).
Les contradictions fondamentales du capitalisme ont atteint en effet une dimension globale sans précédent: d’un côté un amoncellement ahurissant de richesses qui trouvent de moins en moins à s’investir productivement pour répondre aux besoins de l’humanité dans le respect des équilibres naturels essentiels ; de l’autre, une accumulation de travail sous-payé, de précarité, de chômage, de misère, de destructions, de violences, qui suscite une colère grandissante.
La crise que nous traversons ne se résoudra pas par de petits ajustements. La logique mortifère du capitalisme, fondée sur l’exploitation et le saccage des sociétés humaines et des autres formes de vie, plonge en effet l’humanité dans un cauchemar de plus en plus effrayant. Plus que jamais, nous devons lui opposer un horizon d’émancipation à l’échelle mondiale, fondée sur la propriété collective et sa gestion démocratique, qui permette de réconcilier l’humanité avec elle-même et avec la nature. La lutte s’annonce certes difficile et longue, mais elle en vaut la peine.
– See more at: http://www.solidarites.ch/common/fr/international/227-282-edito-capitalisme#sthash.mDrMGtUG.dpuf
Source : solidaritéS