Le coeur, pas la rigueur : la déclaration politique alternative
Un pays prospère où chacun peut trouver les conditions de bien-être et de bonheur. C’est l’intention affichée de nos gouvernements à chaque prise de parole, lors de chaque législature. C’est pour ce projet qu’ils ont été élus. C’est par rapport à ce projet que nous sommes en droit de leur demander des comptes.
La Belgique s’inquiète
Des rumeurs sur les mesures d’austérité ont fuité et dans beaucoup de ménages et d’entreprises, l’inquiétude monte. Économiser sur l’enseignement, qu’est-ce que ça signifie pour un enseignant, un étudiant ou un parent ? Économiser dans l’associatif, qu’est-ce que ça signifie pour notre club de sport ou mouvement de jeunesse ? Économiser sur l’accueil des enfants, l’eau, l’électricité, qu’est-ce que ça signifie pour notre famille ? Économiser sur la santé, les maisons de repos, qu’est-ce que ça signifiera pour nos vieux jours ?
L’inquiétude monte parce qu’il semble que chaque famille devrait subir le prix douloureux d’un couperet financier. Une famille avec des enfants en bas âges et des plans concrets pour rénover, devrait sans doute payer quelques centaines d’euros en plus par mois. Même le ministre de la Santé flamand a déclaré souffrir d’insomnies quand il pense à ce qu’on demande aux familles. Et du côté de la formation du gouvernement fédéral, nous n’entendons rien de bon !
Nous, les gens et les associations « populaires », nous voulons parler aujourd’hui d’une seule voix. Nous ne voulons pas que les plus faibles payent les conséquences de ce que d’autres ont provoqué. Nous croyons à une société qui soutient tout le monde, pas uniquement les plus puissants. Notre déclaration politique à nous : « Le cœur, pas la rigueur ».
Tout le monde devrait serrer la ceinture, sauf…
Nous sommes inquiets. Et nous avons des raisons d’être en colère. Les gouvernements régionaux et fédéraux semblent vouloir trouver une fin en soi en faisant des économies sans fin. Des coupes sombres à tous les niveaux, dans tous les secteurs de la société. Des frais d’inscription plus chers pour l’académie de musique et le club de sport ? On devrait accepter. Du matériel de camp plus cher pour nos enfants ? Nous n’aurions pas le choix. L’enseignement réservé aux plus fortunés, des bibliothèques toujours plus chères ? Il n’y aurait pas d’alternative. Même dans les transports publics. Jusque dans les maisons de repos, sans égard pour la santé de nos anciens. Nous devrions tous payer, tout accepter.
Tout le monde ? Pas si vite. Certains, les plus grandes entreprises, les gros capitaux, ne seront pas touchés par la rigueur. En Flandre, pour les entrepreneurs, il existe plus de 150 sortes de subsides différents. Il faut souligner l’énorme différence entre l’impôt de 33 % sur les petites et moyennes entreprises et l’imposition réduite de 4 à 6 % pour les plus grandes entreprises. Ce genre d’exemptions ne peuvent que laisser rêveur une famille, un petit indépendant ou une PME. Mais d’autres voies sont possibles.
Car en soi, il n’y a rien de mal à installer un climat favorable à l’esprit d’entreprendre. Sans les entreprises, pas d’emploi. Mais faut-il vraiment que la compétitivité devienne le seul critère de jugement, effaçant la simple considération du bien-vivre ? La compétitivité, la rigueur pour nous faire rembourser ce que les banques ont dilapidé ? Ça va trop loin ! L’économie doit servir l’homme et la société, pas l’inverse. Nous avons besoin d’air pour le vivre ensemble, tout l’oxygène ne peut être réservé aux entreprises. L’associatif, l’enseignement, la santé, la culture, les services ne sont pas des fardeaux. Ce sont les véritables richesses.
Quelles valeurs ?
Il ne s’agit pas que de la question de l’austérité. L’accord de gouvernement traduit « la valeur » uniquement dans des termes économiques. Les nombreuses dimensions de la riche existence de l’humain – l’homme apprenant, créatif, bienveillant, social, l’amoureux, l’humain en somme, – doivent faire place à l’homme économique. Il est néanmoins clair aujourd’hui que cet économicisme ne nous mène pas vers un monde meilleur. Il suffit de regarder l’Europe. Le chômage explose. La pauvreté augmente. Les inégalités se creusent. Beaucoup de jeunes européens ne peuvent sereinement se projeter dans le futur. La face sombre de ce climat favorable aux entreprises c’est l’individualisme, le chacun pour soi. Qu’on soit sans emploi, en situation de précarité, dans la pauvreté, chacun pour soi. Est-ce que cette société-là que nous voulons ?
L’essence du contrat social, de notre sécurité sociale ce n’est pas la charité envers les plus faibles et le paternalisme du 19e siècle. C’est la responsabilité collective. Entre jeunes et vieux, entre malades et bien portants, entre ceux avec ou sans enfants, entre couples et célibataires, avec ou sans emploi. Au bout du compte, c’est toute la société qui est remise en question lorsque les plus faibles souffrent.
De tous les termes utilisés dans le texte – 191 pages – de l’accord de gouvernement flamand, la solidarité et l’égalité n’apparaissent que deux fois, ce qui en dit long…
Pourquoi devrait-on sacrifier les missions du gouvernement sur l’autel de la compétitivité ? L’enseignement, les hôpitaux, les prisons ne sont pas de service à marchandiser. Notre patrimoine, comme la nature, l’environnement, l’air, les routes l’eau et l’art ne sont pas davantage de simples marchandises pour maximiser le profit de certains. Là où le profit gagne, bien souvent c’est le bien commun qui en fait les frais.
Tous les couleurs et horizons
Nous sommes pour un pays ouvert. Dans notre vie quotidienne, le monde n’a jamais été si proche. L’internet, la télévision et les voyages relativement bon marché semblent faire de notre monde un village. Dans notre supermarché, dans les rues, dans les classes, à l’école de nos enfants, le melting-pot culinaire et culturel est partout. L’horizon des citoyens du 21e siècle est un horizon de liens globaux. À Bruxelles, la richesse de ce brassage culturel est visible. Par conséquent, il faut abandonner l’idée de promouvoir uniquement l’apprentissage du néerlandais à Bruxelles. La nature multiculturelle et polyglotte de Bruxelles et de la Flandre est une belle opportunité à saisir. Et nous le savons : les pollutions, la crise climatique ne s’arrêtent pas aux frontières des États et régions.
Conserver ce qui est bon…
Bien choisir c’est aussi choisir de protéger ce qui fonctionne bien. Nos régions sont enviées à l’étranger pour la qualité de nos services de soins, pour nos services sociaux. Cette qualité est quotidiennement garantie par les citoyens, par les bénévoles et professionnels des organisations sociales, défendue par le riche tissu associatif de la société civile. Nous pouvons être fiers de notre sécurité sociale qui donne dignité et opportunités aux plus faibles. Nos enseignants travaillent tous les jours pour assurer la meilleure formation à nos jeunes. Nos chercheurs et scientifiques travaillent sur les défis de demain et proposent des solutions créatives. Notre vie culturelle et associative est riche et diversifiée. Qui n’a pas connu un club de sport, une académie musicale, ou un mouvement de jeunesse ?
Ces nombreuses associations donnent une voix éloquente à tous ceux qu’on n’entend pas. Notre réseau de bibliothèques est dense. Nos musées, nos archives, nous permettent de prendre conscience de notre formidable patrimoine culturel. Nos centres culturels, expositions artistiques, nos artistes, réalisateurs, acteurs de théâtres, musiciens enrichissent notre expérience de la vie et font l’objet d’une grande reconnaissance à l’étranger. Nos services publics de diffusions audiovisuelles nous offrent quotidiennement quantité de programmes intéressants jusque dans nos salons. Au cours des dernières années, les investissements pourtant nécessaires dans ces services publics ont déjà été fermement réduits. Veut-on mettre ces services de qualités construits par tous ces talents en péril ? « Faire plus avec moins » ce n’est plus possible de puis longtemps. Nous devons investir dans des services publics forts.
… et investir dans ce qui pourrait être mieux
Et bien entendu il y a des investissements et améliorations à faire. Notre enseignement reste inégal et ne parvient pas à donner à chaque enfant les mêmes chances d’émancipation sociale. Trop de jeunes quittent l’école prématurément sans diplôme de secondaire. En Flandre, 10 % de la population a un revenu en dessous du seuil de pauvreté, pour toute la Belgique ce chiffre s’élève à 15 %. Des enfants qui grandissent dans une situation de pauvreté n’ont pas de perspectives d’avenir décentes. Et que penser du chômage des jeunes ? Pour chaque offre d’emploi, des dizaines de jeunes candidats. Trouver un emploi devient le parcours du combattant. Flexibiliser davantage les travailleurs, créer des mini-jobs précaires ne peut pas être la solution pour nos jeunes. Qui voudrait ça pour ces enfants ?
Les problèmes de trafic nous touchent tous. Anvers et Bruxelles récoltent la palme mondiale en termes d’embouteillages. Le nombre de personnes souffrant de problèmes pulmonaires augmente. Les transports publics doivent devenir plus attractifs afin d’inciter davantage de personnes à éviter de prendre leur voiture.
Bref, il y a une longue liste de défis importants. Qu’il s’agisse de l’enseignement, de la science, de l’emploi ou de la mobilité durable, il faut faire des choix raisonnés pour le long terme. Il faut insister sur cette prise en compte du rôle des services publics sur le long terme, car l’investissement financier des pouvoirs publics n’a cessé de diminuer ces 20 dernières années. Il ne suffira pas de donner plus d’autonomie aux pouvoirs locaux pour trouver de nouvelles sources de financement. Le gouvernement prétend vouloir éviter de transmettre la charge de la dette aux prochaines générations, mais est-il vraiment raisonnable de vouloir faire des économies à tout prix, sans vue sur le bien commun ? Couper dans les transports publics par exemple, sans considération pour les problèmes de mobilité, les embouteillages et les problèmes de santé, les questions écologiques, est-ce bien raisonnable ? Va-t-on reporter cette facture écologique et sanitaire sur nos enfants ? Nous devons investir aujourd’hui dans des politiques qui porteront leurs fruits demain.
Les charges et les épaules
On entend : « Qui va payer tout ça ? » Des économistes comme Paul De Grauwe rappellent pourtant que réduire les dépenses en période de crise rend les choses encore pires. Les mesures d’austérité imposées par l’Union européenne à ses membres ont pourtant montré leurs échecs partout. L’austérité aggrave la crise plutôt que de la résorber. Va-t-on copier en Belgique ce même modèle qui ne marche pas ? Non, nous ne payerons pas. D’autant plus que les plus grands revenus sont épargnés par l’effort de rigueur budgétaire. Pourquoi les jeunes, les employés et les familles devraient faire la plus grosse part des efforts ? Du Flamand de la rue au Belge moyen on demande actuellement des efforts disproportionnés. Ceux qui suivent les cours de la bourse sur des écrans, achètent et vendent d’un click des actions ne payent presque pas d’impôts. Pourquoi de riches actionnaires vaudraient plus qu’une famille moyenne ? Sur les revenus les plus élevés doivent peser les charges les élevées.
Le coeur, pas la rigueur
Nous, citoyens et organisations qui se soucient les un des autres, nous défendons d’autres choix, des choix plus humains. Nous croyons que les forces unies sont la base des choix humains. Ce travail commence aujourd’hui. Nous informerons les gens les prochains mois. Nous transmettrons le sentiment que c’est possible : sécuriser l’avenir de nos enfants, notre prospérité et notre bien-être et en même temps investir dans des services sociaux meilleurs et abordables. Chacun doit pouvoir trouver un travail qui lui convient. Voilà le vrai progrès !
Nous voulons faire en sorte que chacun ait le sentiment qu’il ou elle puisse contribuer à une société ou le cœur prime sur la rigueur, si seulement nous nous coordonnions. Agir solidairement en se souciant les uns des autres, c’est ça réellement construire la confiance. Nous attendons du gouvernement qu’il partage cette attention. Les signataires veilleront tous à cela. Ceux qui méprisent l’égalité, la justice et d’autres valeurs du vivre ensemble, peuvent compter sur notre opposition. Ensemble, nous ferons la différence ! Signez sur www.hartbovenhard.be.
Le coeur, pas la rigueur
A l’occasion de la déclaration de septembre dans laquelle le nouveau gouvernement flamand de droite a expliqué sa politique d’austérité, Hart boven Hard (qu’on pourrait traduire par « Le coeur plus fort que l’austérité ») a publié une déclaration alternative. Hart Boven Hard est un rassemblement de plusieurs centaines d’organisations du secteur social et socio-culturel flamand, des syndicats aux Centres pour le bien-être général, aux scouts et à l’association des bibliothèques, contre la politique de coupes budgétaires du gouvernement flamand . LCR Web