Dans « la place du trumpisme dans l’histoire », je défendais l’idée qu’il n’y a pas deux mais trois scénarios possibles : la « normalisation » de Trump, son élimination, ou sa réussite – l’instauration d’un pouvoir national-populiste, fort à l’intérieur et très agressif à l’extérieur. Depuis l’élimination de Bannon, certains pensent que l’éviction de Trump ne serait plus qu’une question de mois, d’autres misent sur sa neutralisation. J’estime au contraire que la troisième voie reste largement ouverte.
Trump a amorcé une courbe rentrante sur la géostratégie et sur le nationalisme économique. L’OTAN n’est plus « obsolète ». Volte-face sur la présence militaire en Afghanistan. « On voit les choses différemment depuis le bureau ovale », a déclaré Trump. Les généraux qui l’entourent (Kelly, Mattis, McMaster) ont piloté cette conversion. En même temps – c’est cohérent – Trump met de l’eau dans le vin du nationalisme économique : exit l’accusation de manipulation monétaire par Pékin, exit la promesse d’une taxe de 45% sur les importations chinoises, le NAFTA n’est pas aboli mais renégocié. Etc. Ce sont des points clés pour le grand capital transnational étasunien et pour son appareil militaire.
Alors, normalisation de Trump ? Non car, en même temps, le Président appuie à fond sur l’accélérateur du racisme et du suprémacisme blanc. Le pardon présidentiel au shériff Arpaio, ce « grand patriote », est significatif. Criminel en uniforme, passible de six mois de prison pour avoir défié les juges qui avaient condamné sa chasse aux latinos en Arizona, Arpaio est un symbole pour l’extrême-droite. Ce n’est pas tout : le président menace de casser le programme DACA (mis en place sous Obama, DACA protège de l’expulsion 800.000 enfants de sans-papiers) et menace de fermer le gouvernement fédéral si le Congrès ne finance pas la construction de son mur.
Le grand capital et ses représentants se démarquent majoritairement de cette politique. Les patrons ont déserté les conseils consultatifs. Plus de cent chefs de grandes multinationales adjurent Trump de ne pas torpiller le DACA. Alors, élimination imminente de Trump ? Non, cette hypothèse n’est pas plausible non plus. Trump reste soutenu par la base républicaine, il la mobilise par son racisme, en se présentant comme une victime et s’appuie sur elle pour tenter de prendre le contrôle du parti. Son but reste d’établir un pouvoir fort. Cela correspond à sa nature de « capital incarné » autant qu’à son narcissisme pathologique… et cela lui permettrait d’échapper aux conclusions de la commission Mueller sur la filière russe, le blanchiment d’argent des oligarques, etc.
Marx décrivait Louis Napoléon Bonaparte comme « maladroit et rusé, gredin et naïf, génial et stupide, hiéroglyphe indéchiffrable pour les gens civilisés, symbole de la classe qui représente la barbarie au sein de la civilisation » [1]. Trump est ainsi. Il a poussé sur le fumier de la barbarie néolibérale et du délitement politique qui en a découlé. La classe dominante fait la grimace, mais n’a d’autre choix que de composer avec lui… En encaissant les dividendes : commandes publiques (infrastructures et armée), cadeaux au secteur fossile (Exxon), privatisation de l’école (DeVos) et… dérégulation tous azimuts. Côté cour, les hommes de Goldman Sachs à la Maison Blanche – Cohn et Mnuchin – se démarquent sur Charlottesville ; côté jardin, ils s’entendent avec Trump pour abolir les timides mesures de régulation bancaire établies après la crise de 2007-2008 [2].
Le tournant de Trump sur la géostratégie et sur le nationalisme économique ne dissipe pas le danger d’Etat fort. Il pourrait même s’accroître. Comme l’écrivait récemment un observateur au-dessus de tout soupçon d’anticapitalisme : « Plus l’enquête Mueller s’approfondit, plus grandit la tentation pour Mr Trump de lancer de scandaleuses diversions. (L’affaire Arpaio) donne un avant-goût horrible de ce dont le président est capable quand il est acculé. (…). Que cela implique de risquer un conflit en Asie du nord-est, de virer un procureur spécial ou de fermer le gouvernement fédéral, peu importe. Mr. Trump pense souvent ce qu’il dit. Nous ne pouvons pas prétendre ne pas être prévenus”[3].
[1] Les luttes de classes en France
[2] Financial Times, 22/8/2017
[3] Edward Luce, Financial Times, 30/8/2017
Ecrit pour l’Anticapitaliste, hebdo du NPA