« On a l’impression que les partenaires veulent concilier une stratégie pour frapper fort et une tactique pour éviter d’aller trop vite et trop loin », avons-nous écrit dans un premier article sur la formation d’un gouvernement de droite au niveau fédéral. Le problème est que les directions du mouvement syndical ne semblent pas pressées de dire clairement où sont les limites à ne pas franchir. Du coup, les négociateurs MR-CD&V-NVA-Open VLD s’enhardissent à envisager de frapper de plus en plus fort.
Le contenu précis de la note que Michel et Peeters ont remise à leurs partenaires n’est pas connu, mais les informations qui fuitent dans la presse ne laissent pas d’être inquiétantes. En particulier, les formateurs proposeraient de faire passer les cotisations patronales à la sécurité sociale de 33 à 25% et d’exempter les patrons de cotisations pour les trois premières personnes embauchées. Cette double mesure signifierait un nouveau cadeau de deux milliards d’Euros au patronat. Il viendrait s’ajouter aux dix milliards déjà distribués par les gouvernements précédents (notamment 1,3 milliards offerts par le gouvernement Di Rupo) (qui font que le taux effectif des cotisations patronales n’est déjà plus en moyenne que de 27% au lieu de 33%).
Comme le rappelle la brochure « Dix objectifs d’un plan anticapitaliste d’urgence », adoptée par la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut, la diminution des « charges sociales » des entreprises est passée de 756 millions € en 1994, 1,325 milliards € en 1996, 6,3 milliards d’euros en 2008, 9,254 milliards € en 2010… Le gouvernement de droite veut poursuivre dans la même voie, et l’approfondir.
Toutes ces réductions de cotisations patronales ont été imposées avec l’argument que le « coût du travail » trop élevé nuit à la compétitivité et empêche par conséquent la création d’emploi. En réalité, la lutte contre le chômage n’est qu’un prétexte. Les véritables objectifs des patrons et des gouvernements à leur solde sont 1°) de payer moins pour les richesses qui sont créées par les travailleurs et travailleuses, 2°) de briser la solidarité au sein du monde du travail.
Ces deux objectifs sont liés pour la simple raison que, au moins il y a de solidarité (donc de salaire indirect, socialisé), au plus il est possible de baisser les salaires directs en mettant les travailleurs et travailleuses en concurrence. C’est pourquoi la baisse des cotisations patronales forme un tout avec les autres aspects de l’offensive patronale, notamment l’allongement de la carrière, la chasse aux chômeurs, le blocage des salaires, l’attaque contre l’index (un saut d’index est-il en préparation ?) et la précarisation de l’emploi (celui des jeunes en particulier)- que les négociateurs appellent « modernisation du marché de l’emploi ». Sans oublier les attaques contre le secteur public (puisqu’il constitue, à côté de la Sécu, un autre facteur de solidarité).
Tous ces aspects se trouvaient dans la politique des gouvernements précédents, tous sont repris et approfondis aujourd’hui par la droite. Le dispositif est en train de se resserrer et de prendre le monde du travail en tenailles. On le voit clairement avec certaines réactions patronales. Face aux fuites dans la presse, l’hebdomadaire patronal Trends, par exemple, écrit qu’il est insuffisant de diminuer les cotisations patronales de deux milliards, que c’est de 8,9 milliards qu’il faudrait les réduire pour combler le « handicap de compétitivité » avec les pays concurrents de la Belgique. L’appétit patronal vient en mangeant. Dans les autres pays aussi, de sorte que toute cette course à la compétitivité entraîne le monde du travail à l’abîme.
Face à ces bruits de bottes, les réactions du mouvement ouvrier brillent par leur extrême discrétion. Le président de Beweging.net (le nouveau nom du mouvement ouvrier chrétien flamand, l’ACW), Patrick Develtere, a déclaré que « une réduction de charges est nécessaire, et on doit économiser, mais nous trouvons que cela doit se faire de façon responsable, socialement juste et réfléchie. » Le même son de cloche se fait entendre au PS. Il n’y a rien à attendre de ce côté-là : Beweging.net est prêt à avaler beaucoup de grosses couleuvres pour sauver les garanties octroyées aux 800.000 coopérateurs de sa banque Arco, après la chute de Dexia. Quant au PS, s’il avait le moindre désaccord avec les « baisses de charges », ça se saurait…
C’est le mouvement syndical qui devrait se réveiller. Pour commencer, il devrait refuser ce discours sur les « charges patronales ». Les cotisations patronales à la sécu ne sont pas des « charges » : elles font partie du salaire, dont elles constituent la fraction socialisée. Baisser les « charges » sans toucher au « salaire poche », comme on dit, c’est tromper les gens car cela réduit la masse salariale, donc la part des travailleurs et travailleuses dans la richesse produite.
De là découle un deuxième point : la Sécu appartient aux travailleurs. Le gouvernement n’a pas le droit d’intervenir, ni pour « baisser les charges », ni pour communautariser l’un ou l’autre secteur du système, comme il l’a déjà fait. Au contraire, les syndicats devraient remettre en avant l’exigence d’une « gestion ouvrière » de la Sécu, c’est-à-dire une gestion par les représentants des travailleurs et travailleuses, et sous le contrôle de ceux-ci.
Enfin, il serait grand temps d’informer la masse des travailleurs et des travailleuses des enjeux et des alternatives possibles. Une « opération vérité » est de plus en plus nécessaire pour contrer la contamination de l’opinion publique – y compris l’opinion ouvrière- par la propagande néolibérale. Les organisations syndicales en front commun ont la force d’organiser ensemble une telle campagne dans les entreprises, dans les quartiers, dans les écoles. Il n’y a aucun doute que cela peut changer complètement les rapports de forces en faveur de la gauche, car le mécontentement est grand face à toutes les injustices accumulées, petites et grandes.
Si le mouvement syndical ne se décide pas à changer les rapports de forces en faveur de la gauche, le patronat et ses alliés, eux, continueront à les modifier en faveur de la droite. Les intentions du futur gouvernement en la matière sont assez claires : service minimum et fiscalisation des indemnités de grève montrent une nette volonté de s’en prendre non seulement aux acquis sociaux mais aussi aux organisations du mouvement ouvrier.
Mais la question se pose : veut-on changer les rapports de forces en faveur de la gauche? On peut se poser la question, quand on voit à quel point certains se sont démenés pour tenter d’isoler la FGTB de Charleroi, et à quel point la direction de la CSC flamande continue à coller au CD&V, alors même que celui-ci vire de plus en plus à droite. Quoiqu’il en soit, avec ses forces modestes, la LCR veut contribuer à former un vaste front de la résistance sociale, tout en poursuivant ses efforts en faveur d’une alternative politique anticapitaliste pour la classe ouvrière.