La classe capitaliste utilise la crise pour mettre en œuvre des contre-réformes d’une brutalité inédite. Elles sont d’abord testées sur les populations du Sud et de l’Est de l’Europe, destinées à devenir pour le Nord ce que le Mexique est pour les USA. Une fois que ces pays ont subi leur ajustement structurel, c’est au tour des autres de connaître l’horreur de l’austérité.
Chez nous, les pouvoirs à tous les niveaux enchaînent les mauvais coups: coupes budgétaires à hauteur de 23 milliards d’euros, baisse des salaires réels de 0,4%, gel des salaires pour au moins 6 ans, perte de milliers d’emplois dans le secteur public, démantèlement des prépensions, limitation dans les faits des allocations de chômage dans le temps par leur abaissement radical sous le seuil de pauvreté, gel des dépenses en soins de santé, hausse des prix dans les transports publics… Comme si ça ne suffisait pas, il y a les licenciements massifs et les fermetures à ArcelorMittal, Ford Genk, Duferco, Caterpillar,…
PS et Ecolo disent « sans nous ce serait pire ». En réalité, ils pavent le chemin d’un gouvernement encore plus antisocial. La classe dominante ne tolère plus les syndicats que comme prestataires de services et négociateurs du recul social. Elle augmente la pression vers ce but. L’Open VLD et la N-VA veulent enlever aux syndicats la gestion des allocations de chômage. La N-VA attaque frontalement le mouvement ouvrier chrétien flamand (ACW). Or, il n’y a pas que la droite : le SP.a s’en prend au droit de grève dans les transports publics et la ministre SP.a de l’Emploi, soutenue par Di Rupo, menace de sanctions en cas de non-respect du blocage des salaires dans les conventions.
Tout ça ne serait pas possible sans la ligne désastreuse des sommets syndicaux qui démobilisent les travailleuses et travailleurs avec des promenades sans revendications ni plan de bataille clairs. Pour Anne Demelenne et Rudy De Leeuw (FGTB-ABVV) comme pour Claude Rolin et Marc Leemans (CSC-ACV), le rôle des syndicats aujourd’hui est… d’accompagner les réformes néolibérales, de grappiller quelques miettes et de maquiller des reculs en victoires. C’est ainsi qu’on a notamment laissé passer les mesures contre les sans-emploi, l’annualisation du temps de travail et l’engagement en intérim pour « motif d’insertion », sans possibilité de blocage syndical.
Nous crions « casse-cou ». Ce soi-disant « moindre mal » favorise le sauve-qui-peut qui menace le syndicalisme d’une véritable débandade. On approche du point critique. La direction de l’ABVV-Metaal en est la preuve : elle sabote ouvertement la mobilisation parce qu’elle ne veut pas faire chuter le gouvernement, et donne à celui-ci la main pour égaliser les statuts ouvriers-employés. Nul doute que Di Rupo en profitera pour semer encore plus de division…
La gauche syndicale doit présenter une alternative. Il faut lutter, oui. Les travailleurs des grandes entreprises menacées ont tout intérêt à coordonner leurs actions, à la base. Mais il ne suffit plus de lutter, les Grecs en savent quelque chose… Nous avons besoin d’élaborer un programme de revendications anticapitalistes à la hauteur des attaques. Nous avons besoin d’un vrai plan de sensibilisation et d’action élaboré de la base au sommet, pour faire de ce programme un projet social hégémonique. Et nous avons besoin d’une alternative politique à gauche du PS et d’Ecolo pour mettre ce programme en œuvre, contre les diktats européens.
Le chantier est immense. Il s’agit d’œuvrer à regrouper toutes celles et ceux qui souffrent et luttent au quotidien contre ce système et d’articuler leurs luttes sur une alternative politique de classe. Une alternative à vocation hégémonique. Pour relayer les revendications, augmenter leur force de frappe, et donner une perspective permettant de reprendre confiance.
Aucune force politique en Belgique ne peut actuellement remplir une telle fonction. Or, il y a urgence. C’est pourquoi le mouvement syndical doit agir. Il y a un an, la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut appelait à un rassemblement à gauche du PS et d’Ecolo. Cet appel est plus actuel que jamais. Il a reçu un premier début de concrétisation à travers la formation d’un comité de soutien, auquel s’est joint la CNE. Il s’agit maintenant d’élargir la brèche. En ce Premier Mai, la LCR s’adresse solennellement aux syndicalistes conscients : camarades, ami-e-s, ne soyez pas dupes du « gauchissement » verbal et pré-électoral du PS et du SP.a. L’heure de prendre vos responsabilités a sonné. L’indépendance syndicale ne signifie pas l’apolitisme, qui est une politique mortelle. Faute d’alternative anticapitaliste, la lutte des classes, d’un combat de judo, se transformera en corrida. Avec le capital dans le rôle du toréador.
Cet article a été publié comme édito de La Gauche n° 62 du mai-juin 2013