Intervention de Pauline Imbach sur le microcrédit à l’Université d’été des mouvements sociaux organisée par ATTAC
Les fondateurs du microcrédit expliquent qu’il est un outil de lutte contre la pauvreté. Pour eux, la pauvreté semble être un élément naturel, détaché des rapports de domination et d’appropriation des richesses. Elle serait issue d’une sorte de maldonne hasardeuse qui ne permet pas à tout le monde « d’investir son avenir ».
Le microcrédit fournirait au créateur qui sommeille en chaque être humain une mise de départ pour qu’il puisse enfin saisir sa chance. Théoriquement il consiste en l’attribution de prêts de faible montant à des entrepreneurs ou à des artisans qui ne peuvent accéder aux prêts bancaires classiques. Mais s’il devait à l’origine financer de petites activités génératrices de revenus permettant à l’emprunteur de rembourser son prêt, le microcrédit est devenu accessible sans garantie de revenus et a « bancarisé » des millions de personnes.
Avec la micro-assurance ou la micro-épargne, il forme le secteur de la microfinance. A l’origine aux mains d’associations, d’ONG et de quelques banques mutualistes (sous forme de gestion de portefeuille d’associations ou de fondations), la microfinance est aujourd’hui de plus en plus contrôlée par des banques commerciales dont les objectifs sont très éloignés de la lutte contre la pauvreté.
Les institutions de microfinance gèrent 70 milliards de dollars (dont 25 à 30 milliards d’épargne). Environ 80 % des clients sont des femmes et 70 % vivent en zone rurale. Actuellement plus de 205 millions de personnes sont endettées avec un microcrédit. Le prêt moyen s’élevait en 2010 à 426 euros et le taux d’intérêt moyen à 35 %.
De la dette publique au microcrédit
Le microcrédit s’est développé dans les années 1980 et a accompagné les politiques d’austérité dictées par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale aux pays du Sud pour garantir le remboursement de leurs dettes publiques. Ces politiques libérales ont pour objectif de forcer les pays endettés à abandonner leurs politiques sociales (éducation, santé, transport, emploi, logement, énergie, etc.) et à mettre en place des plans de privatisation massifs.
Parallèlement, la Banque mondiale a placé « l’inclusion financière |1| » au centre de ses programmes de développement et de lutte contre la pauvreté. Pour elle, c’est en les insérant dans le système bancaire que les populations pauvres auront accès aux services de base, services désormais payants. Ainsi, pour que l’ensemble de la population adulte mondiale ait accès aux services financiers d’ici 2020, la Banque Mondiale incite les organismes financiers à mettre en avant des produits qui ciblent les populations pauvres, les femmes et les autres groupes vulnérables. A la suite de ces politiques d’offre bancaire, près de 8 prêts sur 10 sont utilisés en Inde comme crédits à la consommation, pour des dépenses de santé, d’habitat ou d’éducation |2|.
En somme, quand les plans d’austérité détruisent les services publics, d’un côté le secteur privé bénéficie du nouveau marché de la santé, des transports ou encore de l’éducation ainsi créé, et de l’autre, les institutions de microcrédit bénéficient d’une nouvelle masse de clients trop pauvres pour accéder aux services sans recourir à l’emprunt. Et ce système bien rôdé profite souvent d’un bout à l’autre du mécanisme aux mêmes intérêts privés. Par exemple, Philippe De Schrevel, fondateur du fonds d’investissement dans des banques spécialisé en microfinance (Blue Orchard Finance – basé à Genève), a ensuite créé en 2007 un nouveau fonds d’investissement (Bamboo Finance) spécialisé dans des sociétés développant des infrastructures sociales destinées aux populations les plus démunies. « Ces entreprises produisent des biens et services destinés directement aux populations locales les plus pauvres en leur procurant un accès abordable à des biens permettant leur développement comme, par exemple, des soins de santé, l’accès à l’énergie, à l’éducation ou à l’eau, et ce, à des prix raisonnables. » |3|
Pour résumer, le fonds d’investissement de Philippe De Schrevel investit dans les prêts aux plus démunis pour qu’ils achètent des services de base aux entreprises où investit… l’autre fonds d’investissement de Philippe De Schrevel !
Ils n’ont pas d’argent mais ils sont nombreux
Depuis le début des années 1970, la finance est apparue comme un nouveau mode d’accumulation rapide de richesses. La course folle au profit a incité les banques à utiliser sans scrupules et de manière démesurée des instruments financiers basés sur l’endettement. Dans ce système, le microcrédit permet d’intégrer dans le marché financierune part importante de la population mondiale : les très pauvres. Selon la Banque mondiale 2,5 milliards d’adultes sont privés de services bancaires et près de 200 millions de très petites, petites et moyennes entreprises dans les pays en développement n’ont pas accès à des services financiers et au crédit à un coût abordable. Le microcrédit représente donc un marché potentiel important car « les pauvres mènent des vies financières étonnamment actives. Ils gèrent des risques, lissent leur consommation et se constituent des actifs de façon ingénieuse et complexe. » |4| Le taux de croissance du secteur de la microfinance est de 30 % par an, ce qui est très prometteur, particulièrement en période de crise.
La microfinance au profit des banques et des investisseurs
Les banques commerciales sont désormais largement impliquées dans le secteur du microcrédit et intègrent les activités de microfinance à leurs activités classiques. Ainsi, si 10 % du financement des institutions de microfinance (IMF) provient de l’aide internationale, le reste est assuré par le marché local et des investissements privés.
Les banques investissent principalement dans les IMF sous forme de prêts puisqu’ils représentent 70 % du total des engagements en microfinance. Les durées des prêts varient de un à douze ans pour des montants allant de 200 000 euros à 30 millions d’euros. Les banques prennent également des participations directement dans le capital des IMF (environ 20 %). Ces investissements varient de 0,3 à 10 millions d’euros pour des durées allant de cinq à sept ans et sont souvent assorties d’un siège au conseil d’administration de l’IMF financée. Enfin, 10 % des engagements des banques constitue des garanties apportées aux IMF.
L’année 2008 a été charnière pour le secteur qui a connu un boom grâce à de nombreux investissements étrangers, à la privatisation des capitaux, à l’entrée massive des fonds d’investissement et du secteur bancaire. La cotation en bourse des IMF a permis à certaines structures de multiplier leurs profits. Par exemple l’IMF indienne SKS qui compte un peu moins de 6 millions de clients a ouvert son capital le 28 juillet 2010. Cette opération a été un véritable succès puisque le nombre d’acheteurs s’est avéré supérieur au nombre de titres mis en circulation sur le marché et que le prix des actions a augmenté de 42 % en cinq semaines. Elles ont attiré les plus grands investisseurs, comme Morgan Stanley, JP Morgan, ou encore George Soros Quantum Fund. Fort de sa réussite, Vikram Akula, le fondateur philanthrope de SKS, a déclaré : « Nous emmenons les pauvres vers les marchés de capitaux et les marchés de capitaux vers les pauvres. »
Pour finir, l’apparition d’agences de notation spécialisées dans le secteur de la microfinance publiant des données comptables et établissant des comparaisons entre les différentes institutions a également largement contribué à la financiarisation du secteur. Comme le résume Philippe De Schrevel : « Le microcrédit est une nouvelle classe d’actifs qui doit avoir sa place dans le portefeuille d’un investisseur. »
La microfinance connaît peu la crise
Si les banques font du charme aux IMF, c’est que la microfinance s’est avérée être un secteur sûr, générant peu de risque et plus résistant aux crises que le secteur bancaire classique. Rares sont les investisseurs en microfinance qui ont connu des restructurations, des pertes ou des crises de liquidités sectorielle |5|.
Le portefeuille à risque |6| se situe entre 2 et 4 % et aucun impayé n’a été constaté au titre des refinancements accordés aux IMF.
De plus les IMF affichent des performances financières supérieures à celles des fonds d’investissement classiques : dans ce secteur, il est courant d’atteindre un retour sur investissement (ROE – Return on Equity – rendement sur fonds propres) de 20 % |7|. Plus le ROE est élevé, plus une banque sera attractive pour les actionnaires. Dans le secteur « classique », « depuis les années 1990 jusqu’au prélude de la crise en 2007-2008, les banques ont mené une course à un ROE maximum : 15 % était courant mais certaines banques obtenaient de 25 à 30 %. En 2007, il s’élevait à 15 % en zone euro, à 17 % au Royaume-Uni et à 19 % aux USA. » |8|
Le microcrédit est loin de lutter contre la pauvreté et constitue bien souvent un rouage supplémentaire au mécanisme d’appropriation des richesses par une minorité en ouvrant aux banques l’immense marché que constitue les pauvres. Elle est aujourd’hui un outil rentable et sûr au service des investisseurs privés. Il apparaît donc essentiel de faire tomber le mythe selon lequel la microfinance permet de lutter contre la pauvreté et de soutenir l’ensemble des initiatives visant à mettre à mal ce mécanisme de paupérisation.
Notes
|1| L’inclusion financière (ou finance inclusive) est l’offre de services financiers et bancaires de base à faible coût pour des consommateurs en difficulté et exclus des services traditionnels.
|2| http://www.microfinancegateway.org/fr/library/crise-de-la-microfinance-en-inde
|3| Rendement social, Isabelle de Laminne, La libre, 06/ 02/2011
|4| Baromètre de la microfinance 2012 – Le Baromètre de la microfinance est un rapport réalisé pour des banques par Convergence 2015 une plateforme de réflexion entre acteurs publics et privés.http://www.convergences2015.org/fr/Article?id=519&theme=Microfinance
|5| Dans le domaine bancaire, on parle de crise de liquidités lorsque les banques et autres établissements financiers refusent de se prêter mutuellement de l’argent.
|6| Le portefeuille à risque est la mesure la plus acceptée dans les IMF. Il permet aux gestionnaire de mesurer la partie du portefeuille de crédit contaminée par les impayés et présentant un risque de ne pas être remboursé.
|7| Microfinance : l’intervention des banques françaises à l’étranger, Association Epargne Sans Frontière (ESF), Octobre 2009, Agence Française de Développement, Département de la Recherche.
|8| Bancocratie, Éric Toussaint, Aden 2013. http://cadtm.org/Bancocratie
Source : CADTM