De nos jours on envoie une équipe psychologique sur place pour s’occuper des victimes et leurs bien-aimés quand survient un malheur : un crash d’avion, une attaque terroriste, un autocar de tourisme qui s’enflamme. Cette équipe est suivie par au moins un ministre, le pays qui, selon les médias, est « tout entier sous le choc » se met en deuil, la télé et les radios continuent pendant une bonne semaine à commenter l’évènement pour ensuite l’oublier dans l’ attente de la catastrophe suivante.
J. Gaillard, dans son livre Des psychologues sur place (2003), avait remarqué que la présence des psychologues « donne la mesure de l’ampleur des dégâts humains, du désarroi et de la détresse. Cette présence rassure aussi, obscurément : voilà des victimes qui ne risquent pas de se révolter ou de se terrer dans un mutisme opaque. On va les faire parler, témoigner, verbaliser. (…) Dès qu’on signale des morts et blessés en nombre, les psychologues sont là, suivis des journalistes, avant que n’apparaissent les experts des assurances et les avocats (…) les victimes – toujours sous le choc, évidemment – « ne pourront pas faire leur deuil tant qu’on n’aura pas retrouvé les corps des disparus, établi les responsabilités, touché les indemnités, sanctionné les coupables ».
De nos jours le deuil n’est plus une affaire solitaire, silencieuse et privée, ainsi en a décidé la culture du capitalisme tardif, avec ses spectacles liés en dernière instance au profit monétaire (les médias, l’audimat) et au profit politique (le président ou le roi sur place). Le deuil est devenu une entreprise collective et publique, en même temps on nous oblige à être heureux. Il s’agit également d’un paternalisme qui sous-estime la résilience des individus, la capacité, pour une personne confrontée à des évènements très graves, de mettre en jeu des mécanismes de défense lui permettant de tenir le coup, voire de ‘rebondir’ en tirant profit de son malheur.
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